SEMINAIRE SPINOZA / L'impérium de Frédéric Lordon
Ce dont il ressort après l'allocution de Frédéric Lordon ce soir à Paris 8, c'est qu'au lieu d'être sur une ligne de crête entre la gauche radicale associationniste et la droite décomplexée avec ses bateleurs médiatiques, celui-ci semble embourbé dans un talweg sinué, jonché d'ornières. Certes il tente de réinvestir la notion de groupe social fini (ou hétéronome, les communautés de tous ordres) . Mais en pose l'assertion il devient coupable aux yeux d'un badiousien d'antiphilosophie, par recours à l'évidence (ce que fait aussi Badiou, après avoir invoqué des contre-parties). Qui plus sa vision marxiste du spinozisme et des rapports sociaux tend à en un économiciste qui ramène tout à l'économie politique de la multitude, oubliant que les rapports de domination ne se réduisent nullement aux rapports d'exploitation, mais aussi aux rapport de domination entre les sexes et aux rapport d'expropriation (que Marx a longtemps réduit à l'accumulation primitive ou accumulation initiale, chapitre 24 du Capital avec la privatisation via les enclosures ou clôturage en parcelle des terres communales en Angleterre ; il fallait pouvoir faire paître les moutons nécessaire à l'industrie textile naissante ; on retrouverait aisément cette privatisation des biens communaux voulue par la révolution bourgeoise comme origine des guerres de Vendée).
Ainsi que la critique de l'accumulation primitive faite par Rosa Luxembourg et reprise Par Hannah Arendt puis David Harvey montre bien que les rapports de domination capital-travail ne se réduisent pas au salariat et à la lutte des classes mais qu'il passent aussi par une multitude de guerre entre les sexes, les races et les subjectivités (au travers des affects Frédéric Lordon s'intéressent aux dernières). Ainsi sont mis de côté toutes les critiques féministes et post-coloniales au marxisme, qui tendait à mettre en lumière la face cachée de l'économie politique et la réduction marxiste de la vision du monde à celle-ci, car les rapports d'aliénation ne sont pas que d'exploitation, mais passent aussi par la soumission des femmes et l'expropriation coloniale et il n'est pas difficile de voir ce qui se passe actuellement en Grèce sous prétexte de dette comme une appropriation coloniale par des puissance étrangères.
A la fois, Frédéric Lordon tend vers une institutionalisation de la société pour sortir les individus de leurs affects posant un principe social comme force morale, qui excède la simple association librement consentie des individualités, et à la fois il pose un vague primat de décroissance en importance des groupes tendant vers l'assiociation (?) (ce qui existait déjà sous le mode artsanal sous la commune de Paris). L’ambiguïté demeure dans sa théorie de l'excédence héritée de deux spinozistes Negri et Durkheim (non pas de Nassim Taleb) de savoir si l'institution découle (survient) naturellement de l'impérium comme puissance de la multitude (potentia multitudonis) ou si celle-ci devait lui-être imposée*. C'est toute l'ambiguité d'une transcendance immanente, oxymore à rebours de ce qu'a pu produire Onfray, une transcendance dans l'immanence. L'impérium de la multitude lui vient de sa capacité à former un affect majoritaire.
Quelle est cette transcendance immanente que prône Frédéric Lordon, cette transcendance sans dieu, cette transcendance descendante qui émane d'en bas ? Nous livrerons ainsi à une attaquer de la crête Frédéric Lordon par les deux versants du marxisme, et vous délivrons cette septième observation de Marx « Les économistes ont une singulière manière de procéder. I ln'y a pour eux que deux sortes d'institutions, celle de l'art et celle de la nature. Les institutions de la féodalité sont des institutions artificielles, celle de la bourgeoisie sont des institutions naturelles. Ils ressemblent en ceci aux théologiens, qui, eux aussi, établissent deux sortes de religions. Toute religion qui n'est pas la leur est un invention des hommes, tandis que leur propre religion est une émanation de Dieu, » bref de la transcendance à partir de la base, une procession faite de conversion, une impérium qui précéderait la constitution d'un nouvel état, une totalisation étatique ! car la question serait de savoir ce qu'il existe en dehors du « il y a des totalités sociale . Certes les groupes se font et se défont mais il ne sont nullement finis sauf à être soumis à une hétéronomie, une transcendance qui en retour produit des interdits de bouche et de couche qui scelle la communauté. Les groupes sont de l'ordre des meutes qui se réunissent par la nécessité du moment, toujours singulière, et, par là, sont porteurs de mutation comme le relève Bergson, l'un des trois grands penseurs du mouvement avec Félix Guattari et Le Corbusier (voir les adresses aux jeunes générations qui accompagne la Charte d'Athènes).
Dans son cours du 17 mars 1976 (p. 229), Foucault écrit : « Dans la guerre, il va s’agir de deux choses, désormais : détruire non pas simplement l’adversaire politique, mais la race adverse, cette sorte de danger biologique que représente, pour la race que nous sommes, ceux d’en face. Bien sûr, ce n’est là, en quelque sorte, qu’une extrapolation biologique du thème de l’ennemi de politique ». Si Foucault avait dénoncé sous le terme de biopouvoir une « étatisation du biologique », Frédéric Lordon qui prône l'assomption d'un homme raisonné, qui découlerait ou viendrait contraindre * l'impérium de la multitude ne fait en sommes que prôner une étatisation de l'affect. Paralogisme scalaire et extrapolation étatique semble aller de pair.
Il semble qu'en introduisant une idée régulatrice, un deus ex machina, une chimère, il aille à l'encontre des réserves de Spinoza, pour qui les philosophes traite de l'homme non tel qu'il est mais tel qu'il souhaite le voir, voulant faire de la multitude des terriens des êtres de raison et non plus des êtres doués d'affect. L'idéalisme de la régulation dont témoigne Frédéric Lordon vise à établir cette impérium, ces états génaux qui précèdent génériquement l'Etat qui selon lui bien qu'anti-institutionnel est nécessaire mais ne prendrait plus la forme bourgeoise actuelle. Mais que peut devenir un état qui repose sur des communautés, des totalités finies sociales ? La question qui pourrait sauver Frédéric Lordon d'une vision totalitaire est que faire de l'indiscernable, des indénombrables, des non-importants ? A l'heure actuelle il semble que ce soient les tenants des multitudes et non le tenant de la multitude dénombrable qui soit en avance.
Dernière remarque adressée à Frédéric Lordon, Badiou n'appartient nullement à ce que vous désignez comme la « gauche radicale », le même jour que votre conférence on pouvait lire sa lettre ouverte à Finkielkraut ceci : « j’ai déjà été critiqué dans ce que vous imaginez être mon camp (une certaine «gauche radicale», qui n’est nullement mon camp, mais passons) pour avoir beaucoup trop dialogué avec vous ». Plutôt que d'affect impérial ne vaudrait-il pas mieux parler d'écoute, à l'heure où les empire n'ont pas encore disparu, il en reste toujours un qui n'en finit pas de s'effondrer, l'empire-jouet des néoconservateurs américains.
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* (il n'a pas encore statué)