PHILOSOPHIE / La montée de l’individuo-globalisme
Raphaël Liogier a proposé la notion d’individuo-globalisme pour nommer une attitude fort répandue. Alors, il confesse lui-même que la tournure est un peu lourde, mais cela a le mérite d’être parlant : individuel + global. L’individuel, attaché au bien-être, type développement personnel, à la personnalisation ; et le global, l’attention portée au cosmos, à l’harmonie, éventuellement au développement durable. Voilà en somme, la toile de fond qui engloberait ces nouvelles spiritualités.
Difficile de ne pas voir dans cette attention portée au global une conséquence de la mondialisation. Ces nouvelles spiritualités ne sont donc pas l’expression d’une sagesse antique ou exotique comme elles le prétendent, mais bien la plus pure expression de notre réalité contemporaine. Et s’il y a bien un aspect essentiel de la société qui est passé directement dans les nouvelles spiritualités, c’est l’individualisme. Ces nouveaux mouvements consistent en fait bien plus en une « privatisation » de la religion plutôt qu’en un retour au religieux. Il n’est plus question de lien social et d’institution organisant la collectivité comme au Moyen-âge, mais uniquement de satisfaction personnelle. C’est donc bien une idéologie au cœur de la mondialisation, mais en même temps, et étrangement, une contestation de la modernité. Cette idéologie peut aussi être comprise comme une forme de contestation. Le mode de vie et de pensée contemporain, rationalisé par la science et l’industrie apparaît pour l’immense majorité de ces nouvelles spiritualités comme une dangereuse perdition.
Dès le XIXe siècle, le romantisme s’était construit comme un refus du mécanisme industriel et un contrepoids à la modernité. Dans les nouvelles spiritualités comme dans le romantisme, les discours marginaux et anti-académiques sont valorisés. La spontanéité et la subjectivité sont préférées aux démonstrations expérimentales. Parfois le propos fait quand même appel à la logique, ou à des théories compliquées telles que la physique quantique, mais c’est toujours pour en souligner l’aspect mystique et non rationnel. C’est en somme l’opposé de l’idéal humaniste des Lumières, et c’est en cela qu’on peut dire que c’est un mouvement contestataire. La rationalité est vécue, de manière générale, comme un obstacle à la connaissance de la vérité, un obstacle à la liberté, que seules des pratiques spirituelles et mystiques peuvent permettre d’atteindre. Un discours contestataire mais qui devient dominant… ça s’appelle une révolution non ?
On pourrait croire à un point de divergence avec Plinio Prado, qui prône un individualisme atomisé empreigné de spiritualité antique et de transcendance mystique, mais c'est bien l'attention qui se monnayelà. L’économie mondialisée avec le marketing notamment participe en fait de la diffusion de l’idéologie individuo-globaliste. Il est assez frappant de constater d’ailleurs une forme de fusion des discours économique et religieux. La sacralisation des flux, de l’énergie, et au contraire la diabolisation de l’immobilité et du blocage, sont aussi des préoccupations de l’économie capitaliste financiarisée.