PRESENTATION / Les signes d'une philosophie à venir
Ce texte porte sur la différence entre pensée intuitive et pensée discurssive.
Je vais essayer par un texte ample mais bref de vous introduire tout notre travail qui porte sur l’autonomie c’est-à-dire la manière
que l’on a de sans cesse retrouver sa propre liberté. Pour cela il faut s’appuyer sur les signes porteurs de nouveauté, s’appuyer donc sur des positivités comme il en existe dans les sciences,
d'où le titre de notre travail : les signes d'une philosophie à venir.
Il s’agit tout d’abord d’éviter certains, écueils, certaines impasses, certaines abstractions propres aux pensées discursives, aux pensées qui réfléchissent plus qu’elles ne pensent
collectivement. Ces pensées discursives reviennent toujours au même, à l’identique et ne perçoivent pas la nouveauté, elles font abstractions des signes, des indices. Les pensées discursives
posent le Sujet, le monde, l’Un, Multiple, le Tout, le Même et l’Autre, tous ces concepts si larges que Bergson disait qu’ils allaient aussi bien à Pierre qu’à Paul, si larges qu’ils ne
parvenaient à saisir la réalité faite de nuance et conduisaient les philosophes à s’en abstraire, à se soustraire de la réalité pour un monde qui leur soit intelligible. Comme le dit Aristote :
La pensée discursive est « la capacité de dire ce qu’appelle une situation et ce qui convient ». Et avec les signes c’est de bien autre chose dont il est question. Je vous redonne une citation de
Guattari que répétait Deleuze : les signes « sont comme des oiseaux qui frappent du bec à la fenêtre. Il ne s’agit pas de les interpréter. Il s’agit plutôt de repérer leur trajectoire, pour voir
s’ils peuvent servir d’indicateurs de nouveaux univers de référence susceptibles d’acquérir une consistance suffisante pour retourner une situation » Guattari DzCC_84.
Nous nous attachons ici à une pensée qui soit intuitive. Il s’agit de dégager une pensée qui porte sur la nuance et non sur les genres homologues comme la dialectique ou le structuralisme. Il
s’agit d’investir une pensée qui soit complexe et tragique, une pensée que l’on nomme du Dehors ou du Surpli, c’est-à-dire qui une pensée qui n’en reste pas à la finitude des hommes (c’est-à-dire
le pli comme chez Leibniz ou Kant) ni à l’élévation à l’infini d’une substance (comme chez Spinoza et Deleuze), mais qui se joue entre tout ça.
Il s’agit là juste d’une pensée non d’une pensée juste. Ce que nous avons relevé avec Nietzsche, avec la hiérarchie, mais que l’on retrouve en partie chez Bourdieu quand il parle des démunis, des
émigrés, bref de ce sous prolétariat qu’il distingue des dominés c’est-à-dire du prolétariat.
Ici il n’est pas question de sujet ou de conscience. Ce sont des fictions, des illusions qui naissent soit du doute et du sollipsisme comme avec Descartes, soit de la peur face à un danger comme
le disait Nietzsche dans un aphorisme du Gai savoir. Ce dont il est question c’est d’une pensée collective mais peu commune, d’une pensée qui se fait à plusieurs parce qu’elle demande un effort
considérable, bien différent de la réflexion que chacun peut pratiquer dans son coin. Penser n’est pas réfléchir, c’est un peut ce que suggère Heidegger dans cette allocution que je vous cite
:
« Nul ne sait quel sera le destin de la pensée. En 1964, dans une conférence je n'ai pas prononcée moi-même mais dont le texte a été lu en traduction française, j'ai parlé de la fin de la
philosophie et de la tâche de la pensée". J'y ai fait une distinction entre philosophie c'est-à-dire la métaphysique, et la pensée telle que je l'entends. Cette pensée est, fondamentalement,
quant à la chose même, beaucoup plus simple que la philosophie, mais, en conséquence, beaucoup plus difficile à accomplir, et elle exige un nouveau soin apporté au langage, et non une
invention de termes nouveaux, comme je l'avais pensé jadis; bien plutôt un retour à la teneur originale de la langue qui nous est propre mais qui est en proie à un dépérissement continuel. Un
penseur à venir… sera peut-être placé devant la tâche d'assumer effectivement cette pensée que j'essaie seulement de préparer. »
Et l’on peut rajouter, que cette pensée Nietzsche l’avait en partie réalisée et que Deleuze et Guattari en ont donné une
expérimentation. Deleuze lorsqu’il pensait seul posait le plan d’immanence comme surface métaphysique, comme surface événementielle qui répartissait d’un côté les états de chose et de l’autre le
langage, en gros, les mots et les choses. Mais là encore comme l’a montré Badiou, il y a quelque chose d’absolu, comme l’Un-Tout, comme un Virtuel en soi, comme une substance spinoziste que
Deleuze ramène à une surface : il l’appelle tour à tour la terre, l’Univers, car rappelons bien que pour Deleuze que l’on soit chrétien ou païen on était porter à croire, à croire sans doute en
un absolu. Ce qui est absolu est soit séparé de nous donc ne nous est pas appréhendable soit ne comporte aucune limite comme un Dieu Tout-puissant.
Or pour activer une pensée qui affirme la Vie et le Travail. Il faut éliminer les absolus, évacuer les vides. De l’autre côté ce qui existe est soit fini, soit limité, c'est pourquoi il faut
amener le concept du fini-illimité qui n’est autre que les processus, les devenirs, les tendances qui existent dans toute situation et que l’on retrouve aussi bien dans la pensée de
Nietzsche quand il parle d’éternel retour, ou dans le comportement des rats quand ils finissent par former des groupes (dès lors qu’ils sont enfermés) ou encore en physique quantique, par les
potentialités des électrons qui finissent par produire des mouvements incompréhensibles par la physique classique. Tout ceci nous force à Penser. Ce sont ce qu’on peut appeler des signes.
Mais avant d’en arriver là ce qui compt c’est de se placer face à notre propre impossibilité de continuer, et à partir de là de développer nos propres capacités. Un problème qui paraissait
insoluble comme l’avènement de l’égalité, que l’on a l’habitude en France de nommer révolution. conduit à des impasses. On croit trop en l’avenir des révolutions. Il faut admettre simplement
qu’il n’y a égalité en droit mais pas en fait. Par contre on peut poser le problème autrement. Après ce que je viens de dire sur les capacités, on peut dire que les gens deviennent égaux dès lors
qu’ils ne sont pas séparer de ce qu’ils peuvent, dès lors qu’ils sont en capacité. Mais la capacité de l’un étant différente de la capacité de l’autre, la liberté et la diversité sont maintenu.
Il faut donc aller jusqu’au bout des choses et avoir confiance en ses nouvelles capacités.
Pour conclure, dans tout ce que nous avons dit il n’a pas été question de sentiments, de passions ou d’affections mais d’affects, de devenir-illimité, de tendances, brefs des polarités qui coexistent dans toute situation. Il n’était pas non plus question de vérité mais plutôt de ce qui a de l’importance pour chaque époque, pour chaque situation. Indiquer ce qui a de l’importance ce n’est pas philosopher, ça n’a pas cette prétention, c’est juste penser. Platon disait nous nous rendons malheureux, parce que nous ne savons ce qui a de l’importance. Les vérités et les sentiments tiennent plus de la prétention que de l’importance. Mme pour Foucault l’essentiel était là sortir de la philosophie et accéder à ces multiples pensées du Dehors ou du Surpli dont nous avons donné quelques pistes. La question que posait alors Foucault était la suivante : est-il possible d’envisager la philosophie comme une pensée ? question déroutante tant nous sommes habitués au point de vue inverse de promotion d’une pensée en philosophie. Comment se fait-il que la philosophie se soit accaparé la pensée, peut-être parce que la philosophie est effort sur soi, c’est-à-dire que la philosophie est avant tout thérapeutique.
DzCC = Deleuze, Critique et clinique.