PENSEE SARTRIENNE 2 / Vieillir ensemble selon André Gorz
Vieillir ou grandir. Vieillir, c’est accepter la résignation, le fait de ne pas échapper à sa condition. Grandir, ça n’est pas s’ouvrir, mais se fondre dans une nuée non-historique oui si vous préférez devenir imperceptible à Papa-Maman, à l’école, à la reconnaissance, qui précisément vous empêche d’être libre. Grandir, est rendu nécessaire pour qui à un fardeau trop lourd à porter, un peu comme l’angoisse de l’inceste oblige les adolescents à partir du foyer selon les psys. Grandir, revient à accepter le tragique de l’existence, à être face à l’alternative qui nous touchent tous à savoir fuir ou périr.
André Gorz de son vrai nom Gérard Horst, journaliste à L’Express dès 1950 puis co-fondateur avec Jean-Daniel du Nouvel observateur. Il rencontra Sartre et Beauvoir en 1947 et devint philosophe existentialiste. A écrit l’Essai qui fut rejeté par Sartre puis le Traître préfacé par Sartre et qui l’ouvrit aux autres . « Magie de la littérature : elle me faisait accéder à l’existence en tant même que je m’étais décrit, écrit dans mon refus d’exister. Ce livre était le produit de mon refus, étais ce refus et, par sa publication, m’empêchait de persévérer dans ce refus. »
André Gorz vient de publier un livre-déclaration d’amour à sa femme Dorine âgée de 82 ans : Lettre à D. Pour faire le lien avec notre précédent article sur la pensée existentialiste, mettons les choses en tension. « A un extrême Sartre et Beauvoir, que Gorz et Dorine (sa femme) ont bien connus : l’expérience de l’ouverture, la fidélité au pacte conclu d’engagement à vie et du tout se dire des autres relation amoureuses que l’on s’autorise sans trahir la relation fondatrice, priorité des priorités. A l’autre extrême Gorz et Dorine, le même pacte mais cette fois dans l’engagement exclusif, corps et âme, puisque l’âme et le corps vécu. La fidélité réciprocité éthique : je ne te fais pas ce que je ne voudrai pas que tu me fasses » Michel Contat (Le monde des livres, 27/10/06, P. 12)
j’avais déjà employé le "tu" dans le Traître, en m’adressant à moi, pour m’objectiver, me voir tel que je pouvais apparaître à autrui, me décrire dans mes manies, dans cette fuite devant l’existence qui m’avait amener à la pensée théorique et qui m’avait enfermé comme dans une bulle. Le Traître était un travail de libération, mais je n’y donnais aucune place à l’amour, et même je le trahissais,. Mais après avoir pris la mesure de ma position existentielle – singulière comme celle de chacun -, j’ai pu porter ma pensée sur le monde social et y décrypter l’aliénation des producteurs à leur propre produit. Dans cette lettre à Dorine, le "tu" me sert à prendre à prendre une vue vraie sur ma vie avec elle. Dans Le Vieillissement déjà à 38 ans, j’avais compris que vieillir, c’était accepter ce fait d’expérience : on ne fait jamais ce qu’on veut, on ne veut jamais ce qu’on fait. De sorte que chacun est hétéronome. Et pourtant on fait ce qu’on juge devoir faire parce qu’on se sent et donc on se rend capable de le faire. Ainsi s’étend aussi peu que ce soit notre sphère d’autonomie. Il faut donc accepter d’être fini, d’être ici et pas ailleurs, de faire ça et pas autre chose, d’avoir cette vie seulement. Le Socrate de Valéry disait justement : « je suis né plusieurs, et je suis mort, un seul. L’enfant qui vient est une foule innombrable, que la vie réduit assez tôt à un seul individu, celui qui se manifeste et meurt ». Vivre avec Dorine, l’aimer et aimer notre vie ensemble m’a appris cela…