COMBAT / La stratégie océanique
Il y a trois types d'hommes : ceux qui sont vivants, ceux qui sont mort, dont on garde le souvenirs et parfois les
dépouilles, mais surtout ceux qui sont en mer loin du port ou ceux qui loin de la ville où l’on se repaît sont partis côtoyer l’air des montagnes. Les marins, par excellence, ont un cap, une
direction, avant même d’avoir un but, cette direction ne se réduit pas à une conscience qui gouvernerait le navire mais fait état de ce qu’un marin est engagé dans une stratégie. On gouverne
toujours d’après un modèle, en s’appuyant sur des cartes qu’elles soient militaires ou de tarot. Se faire marin c’est se placer face à l’océan tout en sachant que l’on a un cap à maintenir.
C’est un peu différent de l’alpiniste qui lui a un cap bien défini : le sommet où il profite à sa manière de l’air océanique. La mer des neiges éternelles. La stratégie passe par
l’affrontement des forces dont on sait qu’elles sont plus puissantes que soi, dans l’expédition ou la guerre qu’on entreprend. Mais il s’agit à la manière d’un bushi de multiplier les combats et d’apprendre de chacun d’eux, chaque adversaire qui ne constitue pas une armée d’empire devient alors
un maître, même si c’est à lui qu’on ôte « la vie ». Il n’y a là aucun excès dès lors que la guerre est déclarée, dès lors que le duel est relevé. Pour le marin antique, il y a aussi
une dimension de guerre, car la « confrontation aux éléments », au sublime, est ce qui retire toute dimension personnelle. La guerre est ce qui conduit à l’impersonnel et élimine tout
problème aussi bien du quotidien que métaphysique. L’impersonnel n’est ni l’abstrait ni la banalité, mais ce qui met en relation. Dans le combat, où la vue n’est plus stratégique. C’est une
tactique qu’il faut mettre en place, qui consiste toujours à prendre par surprise, à simplement tirer avantage de la situation. C’est pourquoi Hannibal se permettait cette petite phrase à la fin
de chaque combat : « j’aime quand un plan se déroule sans accroc ». Dans le combat, il ne s’agit pas de penser ou de planifier mais agir net en saisissant la moindre occasion tout
en gaspillant le minimum d’énergie en vue du combat à venir. Les vues sur la durée, sur l’avenir sont l’affaire de la stratégie, et donc d’une certaine forme de guerre ou d’engagement existentiel
non d’un combat. Mais la stratégie du combat requiert aussi de ne pas commettre le combat de trop, de ne pas se risquer dans l’inutile. Le stratège n’a aucun combat à mener pour libérer ou
émanciper car il libérera autant d’esclaves réactifs et fidèles, que d’esclaves conservateurs et même d’esclaves apparemment obscurs mais actifs. Cette forme de libération est l’affaire de la
technique qui seule transforme les rapports de pouvoir, pensez à la manière dont on manipule une caméra, dont les nazis ont par exemple inventé leur cinéma. Le stratège doit aussi savoir
sélectionner ses alliés en s’appuyant sur ce qu’ils mettent en avant et en évitant bien entendu les réactionnaires et les conservateurs. Dans le cas de ces derniers tout dépend en fait des
valeurs qu’ils conservent. Les réactionnaires eux sont d’emblée dans la contradiction ; qu’importe l’engagement du stratège, il le nie car il ne correspond pas à leur idéalisme. Le stratège
ne doit pas alors recourir au discours polémique mais à l’acte qui tranche. S’il doit par là commettre des actes terribles, qu’il le fassent, car la peur qu’il saisira par l’affectivité, le
ki celui qui était au fond satisfait de ses « idées », de son confort. La guerre ne triche pas et c’est pour cela qu’il faut dépasser toute subjectivité qui nous vient avant
tout d’une filiation, d’un genos qui nous fait manquer l’ alliance naissante. Il ne s’agit pas de créer dans son petit coin, car toute création est résistance à un présent, résistance
qui s’épuise, mais bien de combattre les forces réactives qui se saisissent d’une époque et en font basculer la part saine dans . Pour cela il faut abandonner orgueil et prétention qui mène droit
au pouvoir qui attriste pour se consacrer à l’augmentation de sa puissance, c’est-à-dire la capacité à acquérir de nouvelles prises. Il faut transformer les affects qui nous animent, le
ki, en actions. Certes il faut s’être préparé tout du long et avoir entretenu tout un nombres de processus physiologiques ou sociaux qui opèrent à notre conservation, mais c’est par là
que l’on sort d’une société du désir délié, de la production effrénée et de la consommation louée, pour une société plus tragique, plus résiliente aussi qui mêle guerre et amour. Cette guerre
dont on a vu qu’elle était affaire de pensée, de stratégie plus que violence prise dans l’excès. Pensez à Gandhi. Alors vous pénétrez "ce dehors informel. C'est une bataille, comme une zone de
turbulence et d'ouragan, où s'agitent des point singuliers et des rapports de forces en ces points singuliers" (Deleuze, Foucault). Ce Dehors, c'est l'océan. S'y engager est un affaire de
stratégie... océanique.
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