La Philosophie à Paris

LECTURE / La némésis médicale d'Ivan Illich

24 Mai 2007, 00:04am

Publié par Paris8philo

Propre citation d"Ivan Illich sur la contreproductivité de l'instution de santé : La némésis médicale.

En 1974, j’ai écrit la Némésis médicale. Cependant, je n’avais pas choisi la médecine comme thème, mais comme exemple. Avec ce livre, je voulais poursuivre un discours déjà commencé sur les institutions modernes en tant que cérémonies créatrices de mythes, de liturgies sociales célébrant des certitudes. Ainsi j’avais examiné l’école, les transports et le logement pour comprendre leurs fonctions latentes et inéluctables : ce qu’ils proclament plutôt que ce qu’ils produisent : le mythe d’ Homo educandus, le mythe d’ Homo transportandus, enfin celui de l’homme encastré.

J’ai choisi la médecine comme exemple pour illustrer des niveaux distincts de la contre-productivité caractéristique de toutes les institutions de l’après-guerre, de leur paradoxe technique, social et culturel : sur le plan technique, la synergie thérapeutique qui produit de nouvelles maladies ; sur le plan social, le déracinement opéré par le diagnostic qui hante le malade, l’idiot, le vieillard et, de même, celui qui s’éteint lentement. Et, avant tout, sur le plan culturel, la promesse du progrès conduit au refus de la condition humaine et au dégoût de l’art de souffrir.

Je commençais Némésis médicale par ces mots : « L’entreprise médicale menace la santé. » A l’époque, cette affirmation pouvait faire douter du sérieux de l’auteur, mais elle avait aussi le pouvoir de provoquer la stupeur et la rage. Vingt-cinq ans plus tard, je ne pourrais plus reprendre cette phrase à mon compte, et cela pour deux raisons. Les médecins ont perdu le gouvernail de l’état biologique, la barre de la biocratie. Si jamais il y a un praticien parmi les « décideurs », il est là pour légitimer la revendication du système industriel d’améliorer l’état de santé. Et, en outre, cette « santé » n’est plus ressentie. C’est une « santé » paradoxale. « Santé » désigne un optimum cybernétique. La santé se conçoit comme un équilibre entre le macro-système socio-écologique et la population de ses sous-systèmes de type humain. Se soumettant à l’optimisation, le sujet se renie.

Aujourd’hui, je commencerais mon argumentation en disant : « La recherche de la santé est devenue le facteur pathogène prédominant. » Me voilà obligé de faire face à une contre-productivité à laquelle je ne pouvais penser quand j’ai écrit Némésis...



source de l'extrait : http://www.monde-diplomatique.fr/1999/03/ILLICH/11802
voir
la lecture faite de ce livre par Florentino

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