La Philosophie à Paris

103. Préambule sur les signes de l’autonomie (3).

14 Février 2013, 19:52pm

Publié par Anthony Le Cazals

On pourrait croire que cette livrée porte plus sur les signes que sur la capacité d’autonomie et d’expérimentation. Ne nous arrêtons pas aux signes (partie 100) qui amorcent un travail, et intéressons-nous à ce qui se joue entre les pensées — contemporaine et antique — et notre époque. Ce sont les signes qui nous forcent à penser cf. DzPS_118. Dans les années 60 et 70, a lieu l’amorce d’un milieu philosophique effervescent (partie 200) dont nous vivons aujourd’hui les retombées et le difficile désert philosophique qui vient en contraste : la zone neutre 702 des pistes singulières. Pourtant, partant de là, de nouveaux devenirs s’offrent à la philosophie (partie 300). La philosophie comme âge des comètes est quelque peu révolue, aujourd’hui, elle semble émerger de ce que l’on peut appeler des constellationss de penseurs épars. La comète persiste sur le mode de l’anomal, du dérangeur, du trublion, de l’intempestif. Elle doit éviter l’enfoncement satirique. La frontière finie des individus s’annule dans les alliances contre nature qui évitent tant l’unanimité des sociétés minoritaires d’« amour » et de « raison » (les groupes 123) que la quête de consensus et ses inévitables dissensus des sociétés démocratiques fondées sur la « majorité ». La finitude s’estompe comme chez Deleuze et Guattari (Zarathoustra, fils de Dionysos) pour dégager de nouvelles richesses, de nouvelles valeurs qui ne sont pas pécuniaires comme « l’argent », qui ne sont pas précieuses, au sens de la rareté fixée par le libéralisme. Portons-nous sur l’activité, sur la vie active, celle qui passe par les métiers. Il s’agit de dégager une pensée qui ne porte ni sur la nuance comme variation infinie ni sur les genres homologues comme dialectique du sujet et du structuralisme, qui les troublerait tous deux. Quelque chose de plus neutre. Il faut éliminer les absolus, évacuer les vides c’est ainsi que l’on sort des idéalismes d’esprit, celui empirique qui varie, qui balise et celui transcendantal qui fonde, qui ancre. Il faut sans hésiter sauter au-dessus des conceptions déterminées par la décadence. Au-delà de la traditionnelle constitution du philosophe en sujet (processus de subjectivation), bien connue depuis Descartes comme arrachement aux opinions communes, il y a un élan (processus de dépersonnalisation) sur lequel joue le signe et qui vient créer un entre-deux un no man's land démilitarisé où se produit la pensée comme appel, intuition, impulsion. Cette impulsion doit se transformer en endurance, en activité : on nomme parfois cela concrétisation, singularisation. Il y a toujours à ce moment un greffage sur l’activité contemporaine, Leibniz et les mathématiciens parisiens, Schopenhauer dans la Dresde artistique, Nietzsche à Bayreuth avec Wagner. Ce sont là des milieux ouverts aux turbulences, souvent artistiques, très différents des milieux décadents avec leurs bornes d’origine et de fin (archè et télos). C’est là l’envie de se dépersonnaliser en s’attachant davantage aux signes, aux intensités impersonnelles qu’aux personnes qui « affectivement » nous entourent : le mouvement aberrant qu’est la déterritorialisation chez Deleuze. Tout en se dépersonnalisant l’un l’autre, les penseurs portés vers les signes se singularisent dans des intensités inouïes, ce que nous appellerons par la suite avec Deleuze l’éternité, l’éternité dans le sens nouveau que cherchent à amener Nietzsche ou Spinoza comme éternité de coexistence. Aussi bizarre que cela paraisse, cette éternité n’est pas de nouveauté, elle ne rentre pas dans un système ouvert, elle n’est que la lettre d’une fulgurance et l’affect ici fabriqué. Il ne s’agit pas d’un récit d’idées mais de ce qui s’active hors de toute discipline, de ce qui est d’emblée en mouvement dans la dynamique terrestre sous couvert de repérer les signes de ce qui a de l’importance. Il s’agit, en relevant les signes d’une nouvelle pensée, de suggérer au-delà une nouvelle capacité à penser collective faite d’autonomies constellées. Heidegger trop pris dans l’orgueil de sa déréliction et de sa réflexion, se demandait si nous étions capables de penser, si c’était l’homme qui pensait ou si c’était davantage un attrait pour ce qui est impensé. D’emblée nous ne sommes plus dans cette contrée ou patrie. En physique quantique on parle de taquiner la matière pour libérer une impulsion lumineuse (onde ou corpuscule). En philosophie on parle d’indiquer ce qui est important (déictique) pour libérer une quantité d’énergie impensée mais surtout une audace qui investit le risque. Sous l’influence de Deleuze, l’art cherche à délirer sur un peuple à venir, c’est-à-dire que les artistes cherchent à affecter les gens de joie et de puissance et à lever les butées et les freins de la pensée, que sont les mots et les choix hérités de la tradition, pour réveiller cette capacité d’enclencher l’inventivité plutôt que la contrainte d’un pouvoir. Se libérer de ce qui pèse comme un fardeau, dégage des intensités inouïes, que tout un chacun n’oserait pas imaginer, et qui sont propres à un collectif d’affects actifs et d’envies partagées. Introduire une bulle d’imprévisible, c’est ce que font les signes. Cette bulle est transitoire, passagère, elle finit toujours par éclater sous l’effet du milieu turbulent avec lequel elle composait. La constitution des acides aminés et animés comme base de construction du vivant s’est faite ainsi.

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