22 Avril 2025
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La lumière étrangère tourne en cercle autour de la Terre.
C'est le fragment 45 de deux poèmes. Il est une reprise sans doute du frament 14 du poème de Parménide sur la nature. Nous le mettons en exergue, car il y ala tentaive un peu forcée de faire dire à Parménide que l'être est kykos, dans un outrepassement dont la philosophie a le secret (pour créer un espace d'intéractions..
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Il existe un principe de Nécessité, un décret divin,
scellé pour l’éternité par de vastes serments :
quiconque souille ses propres membres par des fautes, par un meurtre,
ou jure un faux serment dans l’ardeur du combat,
doit errer durant trente mille saisons, 5
loin des bienheureux,
renaissant à travers le temps dans toutes les formes mortelles,
poursuivant les dures voies de l’existence.
Car l’éther le rejette vers la mer,
la mer le recrache sur la terre, 10
la terre le pousse vers les rayons brillants du soleil,
et l’éther à nouveau l’engloutit dans ses tourbillons.
De l’un à l’autre il passe, tous le haïssent.
Moi aussi, je suis de ceux-là, exilé des dieux et vagabond,
faisant confiance à la Discorde furieuse. 15
v.1-2. La Νécessité est une force cosmique impersonnelle, plus forte que les dieux eux-mêmes qui établit une loi morale et cosmique, scellée c'est-à-dire inviolable. Le cosmos d’Empédocle est alors réglementé par une justice divine implacable. v. 3-4. La présence de Νεῖκος (la Discorde, ici peut-être personnifiée) suggère que la faute est commise sous l’emprise de la division, opposée à Φιλότης (l'Amour-amitié), deux puissances majeures dans la cosmologie d’Empédocle. Par ailleurs, Le texte évoque deux fautes principales : le meurtre comme souillure ou pollution rituelle et une rupture du lien sacré avec les dieux, Le parjure. v. 5-6. L’errance de l’âme est chiffrée en tant que pénitence cosmique (métanoia qui appelle à une conversion, une remise en coïncidence de l'âme. Il ne s'agit pas d'une chute hors de l’ordre divin, car tout au plus is vivent sur l'Olympe mais ce rejet, cet exil est bien une errance. v 9-12. Le texte décrit un cycle infernal de rejet : les éléments (air/éthrer, eau/mer, terre, feu/soleil) refusent d’accueillir l’âme souillée. C’est une métaphore de l’errance éternelle. Les quatre éléments fondamentaux : ἀήρ (air), ὕδωρ (eau/lique), γῆ (terre/solide), πῦρ (feu/plasma soit la lumière du soleil). Il ne manque plus que les condensats, pas mal opur un physicien.
v. 1
χρῆμα, c'est une chose, un fait, un principe
Ἀνάγκης, c'est le de Nécessité, du destin inévitable, de la force contraignante
ψήφισμα, c'est le décret, ordonnance, décision votée.
παλαιόν c'est ancien, immémorial
θεῶν, rien d'autre que divin, des dieux
Soit : Il existe une chose (un principe) de Nécessité, un ancien décret des dieux,
v.. 2
ἀίδιον c'est ce qui est éternel, immortel, impérissable
πλατέεσσι c'est ce qui est larges, étendus, immenses
κατεσφρηγισμένον c'est ce qui est scellé, marqué par un sceau, enfermé par un serment
ὅρκοις veut dire par des serments, par des promesses sacrées
Soit : éternel, scellé dans de vastes serments.
v. 3
εὖτέ : quand, lorsque
τις : quelqu’un, un être
ἀμπλακίηισι : par des fautes, par des erreurs, par des transgressions
φόνωι : par un meurtre, par un homicide, par un acte sanglant
φίλα γυῖα : les membres chéris, le corps aimé, les membres propres
μιήνηι : souille, pollue, contamine
Soit : Quand quelqu’un souille ses propres membres par des fautes, par un meurtre,
v. 4
Νείκεΐ θ' : ou par la Discorde, la Querelle, le Conflit
ὅς κε ἐπίορκον : c'est celui qui, en parjure, en rompant un serment
ἁμαρτήσας : ayant fauté, ayant commis une faute
ἐπομόσσηι : jure, prononce un faux serment
Soit : ou s’il pèche en parjurant, jurant faussement sous l’effet de la Discorde,
v.5
δαίμονες, ce sont les puissances divines, les esprits, les démons
οἵτε : ceux qui, qui
μακραίωνος βίοιο exprime d’une longue vie, d’un destin durable
λελάχασι veut dire ont reçu en partage, ont reçu comme lot
Soit : les Daimones (génies divins) qui ont reçu part à la longue vie,
v. 6
τρίς μιν μυρίας ὧρας : trois fois dix mille heures, pendant d’innombrables périodes
ἀπὸ μακάρων ἀλάλησθαι : errer loin des Bienheureux (les dieux), être banni des dieux
Soit : le font errer trois fois dix mille heures, loin des Bienheureux (les dieux),
v. 7
φυομένους : étant engendré, renaissant
παντοῖα εἴδεα θνητῶν : dans toutes les formes des mortels, formes diverses d’êtres humains ou animaux
διὰ χρόνου : au fil du temps, au long des âges
Soit : renaissant à travers le temps dans toutes les formes des mortels,
v. 8
ἀργαλέας κελεύθους : des chemins pénibles, des voies dures, des parcours de souffrance
βιότοιο : de la vie
μεταλλάσσοντα : changeant, subissant des transformations
Soit : suivant les voies pénibles de la vie en subissant des transformations.
Vers 9–10 :
Αἰθέριον μὲν γάρ σφε μένος πόντονδε διώκει : la force éthérée le poursuit vers la mer
πόντος δ' ἐς χθονὸς οὖδας ἀπέπτυσε : et la mer le recrache vers la terre
γαῖα δ' ἐς αὐγὰς ἠελίου φαέθοντος : la terre vers les rayons du soleil éclatant
ὁ δ' αἰθέρος ἔμβαλε δίναις : et le soleil le rejette dans les tourbillons de l’éther
Soit : Car la force éthérée le pousse vers la mer, la mer le recrache à la terre,
E(t soit : la terre vers les rayons du soleil, et le soleil le rejette dans les tourbillons éthérés.
v. 11 :
ἄλλος δ' ἐξ ἄλλου δέχεται → l’un reçoit de l’autre, passage perpétuel d’un élément à l’autre
στυγέουσι δὲ πάντες → et tous le haïssent, sont répugnés par lui
Soit : Chacun le reçoit à tour de rôle, et tous le haïssent.
v. 12 :
Τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι → Je suis maintenant l’un d’eux, je fais partie de ces êtres
φυγάς θεόθεν → exilé des dieux, fugitif divin
καὶ ἀλήτης → et errant, vagabond, nomade
Soit : Moi aussi je suis maintenant l’un d’eux, un exilé divin, un errant,
v. 13 :
Νείκεϊ μαινομένωι πίσυνος → confiant dans la Discorde en furie, remis à la haine délirante
Soit : livré à la Discorde furieuse, misérablement égaré.
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Car déjà, dans le passé, je suis né garçon et fille,
plante, oiseau et poisson freillant dans la mer.
C'est déjà le mythe de l'hermaphrodite, le postulat des identités multiples. D'autres voudront y voir un Polymorphisme de l’âme et la doctrine de la réincarnation ou métempsycose d’Empédocle : l’âme, après avoir commis une faute originelle (comme mentionné dans le fragment précédent), est condamnée à errer à travers diverses formes d’existence, humaines, végétales et animales, comme punition et purification. Empédocle affirme ici qu’il a personnellement expérimenté toutes les formes de vie : humaine (jeune homme et jeune fille), végétale (buisson), animale (oiseau, poisson). Cette énumération reflète une vision cyclique de la vie. Toute âme passe par différentes formes d’existence selon sa pureté ou impureté. Il s'agit d'une pédagogie de l’âme où chaque incarnation est un apprentissage.
v. 1 :
Ἤδη : déjà, jadis, autrefois
γάρ : car, en effet (particule explicative)
ποτ’ : un jour, autrefois, jadis (forme élidée de ποτε)
ἐγώ : je, moi
γενόμην : je suis devenu, je fus, je naquis, j’ai été (aoriste moyen de γίγνομαι : devenir, être)
κοῦρος : jeune homme, garçon, adolescent
κόρη : jeune fille, vierge, fille pubère
τε ... τε : et … et, à la fois … et … (coordination)
Soit : Déjà en effet, moi un jour, je suis devenu à la fois un jeune homme et une jeune fille
Vers 2 :
θάμνος : un buisson, plante, arbrisseau
οἰωνός : oiseau, oiseau de présage, rapace (souvent chargé d’un sens divinatoire)
τε … τε : et … et
καὶ : et aussi
ἔξαλος : sautant hors de l’eau, bondissant, hors de la mer (littéralement : « hors du sel »)
ἔλλοπος : marin, qui vit dans la mer
ἰχθύς : poisson
Soit : et un buisson, et un oiseau et aussi un poisson marin bondissant
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Hélas ! que le jour impitoyable ne m’ait pas détruit plus tôt,
avant que je n’aie conçu ces œuvres impies sur mes lèvres.
C'est le thème pathétique de la Grande Défaite ou de la théoriee de l'échec mais qui a son équivalent néo-platonicien ou chrétien dans la chute de l'âme dans son enveloppe corporelle. Empédocle s'inscrit ici clairement dans la tradition orphique et pythagoricienne. L'âme est divine, mais elle est déchue dans le monde corporel. Le but est de purifier l'âme pour retourner au divin. Ce fragment peut être vu comme une confession orphique, proche d’un serment initiatique.
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De quelle haute gloire, de quel honneur je suis tombé,
je roule maintenant, mêlé aux mortels, dans la poussière.
C'est encore la thématique de la Grande Défaite, et à travers elle la prémices du détachement du philosophe. De quel honneur laisse planer en contre-point la honte.
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Et j’ai pleuré, j’ai gémi, voyant cette terre étrangère.
C'est la thématique de l'estrangement et encore de l'exil forcé.
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Pays sans joie,
où règnent Meurtre et Rancune et les races des autres Kères,
les maladies sèches, la décomposition,
les œuvres fuyantes de la Folie errent là dans l’ombre.
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Là étaient Khthonie et Héliopè au long regard,
Déris, ensanglantée, et Harmonie au sombre visage,
Kallistô et Aischrè, Thoôsa et Denaia,
Nêmertès l’amoureuse, Asaphaia à la sombre chevelure.
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Phusô et Phtimenè, Eunaiè et Egersis,
Kino, Astemphès, Mégistô aux multiples couronnes,
Phoryè, Sôpè et Omphaiè…
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Nous sommes descendus sous cet antre abrité…
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Hélas, race misérable des mortels, ô combien infortunée !
Vous êtes nés de tant de disputes et de gémissements.
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Les mains sont serrées sur les membres,
nombreuses misères, adoucissant les peines.
Ayant entrevu l'étincelle de leur propre vie,
ils s’envolent rapidement comme la fumée,
chacun suivant ce à quoi il est tombé,
poussés de toutes parts, tous cherchent l’unité,
mais cela ne se voit, ne s’entend, ni ne se conçoit.
Toi, puisque tu as été détourné ainsi,
tu n’en apprendras pas plus par la ruse humaine.
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Mais vous, dieux, détournez de la langue la folie,
et des bouches saintes laissez jaillir une source pure.
Et toi, Muse blanche aux nombreux soupirants,
je t’invoque pour les choses qu’il est juste pour les mortels d’entendre.
Mène-moi sur le char doux tiré par la Piété.
Que jamais l’éclat de la gloire ne t’arrache aux mortels
ce par quoi il est plus saint de parler,
avec audace et dans la plénitude de la sagesse.
Viens ! observe avec tous tes moyens, là où chaque chose est claire :
ne donne pas plus de crédit à la vue qu’à l’ouïe,
ni à l’éclat d’une parole plus qu’au bruissement d’un son,
et de toutes les autres perceptions du corps,
retenue par aucune, pense avec ce qui rend tout clair.
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Pausanias, écoute-moi, fils du sage Anchitos.
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Entends d’abord les quatre racines de tout :
Zeus brillant, Héra nourricière, Aidonéus,
et Nestis, qui par ses larmes abreuve les sources mortelles.
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Connais premièrement la quadruple racine
De toutes choses : Zeus aux feux lumineux,
Héra mère de vie, et puis Aidônéus,
Nestis enfin, aux pleurs dont les mortels s'abreuvent.
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Je te le dirai deux fois :
parfois l’Un croît à partir du Multiple,
parfois les Multiples se séparent à partir de l’Un.
Double est la naissance des mortels, double est la perte :
l’une vient du rassemblement de tous, engendrement et mort ;
l’autre, de la séparation nourrie, progresse.
Cela ne cesse jamais, en alternance :
parfois tout s’unit sous l’Amour,
parfois tout se divise dans la Haine.
Ainsi, de l’Un naissent les Multiples,
et des multiples, l’Un.
Ainsi ils naissent et jamais ne subsistent à jamais.
Mais la rotation ne cesse jamais,
et dans ce cercle, ils demeurent, immuables.
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Une autre chose encore : il n’est pas de nature propre
à aucun des mortels, ni de fin par la mort funeste,
mais seulement mélange et séparation de ce qui est mêlé.
La nature est un nom donné par les hommes.
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Rien ne peut naître du néant,
et ce qui est ne peut entièrement périr.
Il y aura toujours ce qui est, là où on le cherche.
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Quand les âmes se mêlent aux hommes,
ou aux bêtes sauvages, aux plantes ou aux oiseaux,
on dit qu’alors elles « deviennent ».
Mais une fois séparées, leur sort est malheureux ;
ce n’est pas juste selon la Loi – et moi-même je le dis.
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Insensés ! ils n’ont pas les pensées profondes
de ceux qui ne croient ni à la naissance de l’inexistant,
ni à la disparition totale de ce qui existe.
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Un homme sage ne penserait pas de telles choses :
que tant qu’ils vivent, les mortels « sont »,
et que dès qu’ils meurent, ils « ne sont plus ».
Car même morts, les choses ne disparaissent pas totalement.
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Alors, observe, témoin des paroles anciennes,
Vois s’il restait quelque forme figée dans les anciens, [parmi les choses d’avant, quelque forme au bois laissé]
Vois le soleil lui-même, ardent et lumineux à ta rencontre
et tout ce qui est immortel que l’œil saisit et baigne de lumière,
et la pluie, omniprésente, obscure et glacée,
et ce qui, de la terre, s’écoule — le tendre et le solide.
Dans la Discorde, tout devient dissemblable et séparé,
mais dans l’Amour, tout s’unit et se cherche.
Car de là viennent toutes choses — passées, présentes et à venir :
les arbres, les hommes et les femmes,
les bêtes sauvages, les oiseaux et les poissons nourris par les eaux,
et même les dieux, longs de vie, les plus honorés parmi tous.
Ces choses ne sont que cela : courant les unes dans les autres,
elles changent d’apparence — le mélange seul les métamorphose.
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Comme des peintres, dans leur art savants de ruse,
qui, prenant des couleurs aux multiples reflets,
et les mêlant par la juste harmonie — certaines en plus, d’autres en moins —
font naître ainsi des formes à toutes ressemblantes :
arbres, hommes et femmes,
bêtes fauves, oiseaux, poissons nourris d’eau,
et même les dieux, honorés pour leur grandeur…
De même, que ton esprit ne soit pas trompé à croire
que les mortels proviennent d’autre chose,
ni que ce qui se manifeste en abondance
ait une source étrangère :
mais sache bien cela — tu entends ici la parole d’un dieu.
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Car cela fut, et cela sera ; et jamais, je crois,
le temps infini ne sera privé de ces deux principes.
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Tour à tour ils dominent, selon l’ordre du cercle,
et l’un dépérit quand l’autre croît, chacun à son tour.
Ce sont toujours eux — courant l’un dans l’autre,
ils deviennent hommes et les races des autres bêtes :
tantôt unis par l’Amour dans un seul et même monde,
tantôt à nouveau emportés, séparés, par la haine du Discord.
Jusqu’à ce que, soudés ensemble, ils deviennent un Tout,
et qu’alors du multiple naisse l’un,
puis, à son tour, se sépare pour redevenir plusieurs.
Par ce passage-là, ils naissent — mais leur durée n’est pas stable.
Mais dans l’autre, où tout change sans fin,
c’est là qu’ils existent toujours, immobiles dans le cycle.
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Et quand ils s’assemblèrent tous,
la Discorde se tint la dernière, à l’écart.
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Rien, dans le Tout, n’est vide ni superflu.
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Mais lui [le Tout], égal de tous côtés et absolument infini,
un Sphère, arrondi en cercle, joyeux, repose immobile.
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Là, ni les membres rapides du Soleil ne sont visibles,
ni la force feuillue de la Terre, ni la mer.
Ainsi, par l’art secret de l'harmonie, il est solidement établi :
le Sphère, arrondi en cercle, joyeux, repose immobile.
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Mais lorsque la grande Discorde (Νεῖκος), croissant dans les membres,
parvint à l’honneur, au terme du cycle,
alors elle franchit le large serment, réciproquement...
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Car tous les membres du dieu tremblaient successivement.
Marque de thymos, d'emportement.
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Cela [le corps humain], on le reconnaît comme la plus manifeste des masses mortelles ;
tantôt, les membres, rassemblés par Philia (l'Amitié),
forment un seul tout : le corps, dans la fleur de la vie ;
tantôt, dispersés par les haines mauvaises,
ils errent séparés, au seuil de l'existence.
Et il en est de même pour les buissons, les poissons aquatiques,
les bêtes qui couchent en montagne et les oiseaux ailés.
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Mais moi, je retournerai sur le sentier des chants,
que j’ai déjà tracé auparavant, poursuivant parole après parole,
puisque la Discorde est descendue jusqu’au plus profond de la tourmente
et que Philia s’est formée au centre du tourbillon,
alors toutes choses s’assemblent pour devenir un seul être —
non pas soudain, mais, suivant le désir, elles se réunissent l’une après l’autre.
Des mélanges ainsi formés sont issues d’innombrables races mortelles ;
et bien des combinaisons disjointes subsistent encore,
tant que la Discorde les maintient suspendues ; car elle n’a pas encore
été rejetée tout entière aux confins du cercle,
mais une part demeure, tandis qu’une autre a été chassée hors des membres.
Et, autant qu’elle fuit encore, autant s’approche en douceur
l’élan immortel de Philia, sans reproche.
Alors aussitôt naquirent des êtres qui auparavant croyaient être immortels,
et des vivants qui, auparavant, étaient sans mélange, mais maintenant changèrent de voie.
De ces mélanges surgissent d’innombrables races mortelles,
diverses en formes, spectacle merveilleux à contempler.
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Elle ne réside pas dans une tête d’homme, ni à travers les membres,
ni deux branches ne bondissent du dos,
ni les pieds, ni les genoux rapides, ni les parties velues,
mais le cœur sacré et ineffable seul est devenu,
sillonnant tout l’univers par ses rapides pensées.
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Comme le suc du lait, lorsqu’il s’épaissit et se fige…
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Ainsi, les poils, les feuilles, les plumes épaisses des oiseaux,
et les écailles croissent sur les membres solides.
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Et c’est de ces éléments qu’Aphrodite divine fixa les yeux invincibles.
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Aphrodite les modela par l’art, les unissant avec tendresse.
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Comme lorsqu’un homme préparant sa route allume une lampe
à travers la nuit d’hiver, en allumant la flamme d’un feu ardent,
et place des paravents de toutes sortes contre le souffle du vent
— ceux-ci dispersent le souffle des vents en furie,
mais la lumière jaillit au-dehors, aussi loin qu’elle peut,
et brille sur le seuil avec des rayons invincibles —
ainsi alors, dans les membranes, le feu primitif, enfermé,
par de fines toiles, se fraya un chemin dans le corps cyclopéen,
percé de merveilleux canaux ;
elles retenaient les profondeurs de l’eau qui les entourait,
mais laissaient le feu jaillir au dehors, aussi loin qu’il pouvait.
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… juxtaposant sommet à sommet,
sans jamais mener le discours à un seul chemin…
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… Car il est beau, deux fois, de dire ce qu’il faut.
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Mais viens, je te dirai d’abord l’âge et l’origine,
d’où sont clairement nées toutes les choses que nous voyons aujourd’hui :
la terre, et la mer aux nombreuses vagues, l’air humide,
le Titan, et l’éther qui enveloppe tout le cercle.
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Si vastes sont les profondeurs de la terre et l’éther abondant,
que les paroles en ont été prononcées en vain par beaucoup,
répandues par des bouches qui n’ont vu qu’une infime partie du tout.
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Le Soleil au trait aigu, et la douce lumière de la Lune.
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Mais lui, le Soleil, s’étant jeté dans la mer,
parcourt le vaste ciel tout autour.
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Il réfléchit son éclat vers l’Olympe,
avec un visage sans crainte.
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Et la flamme douce atteignit la terre, mais en un point minuscule.
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Ainsi le rayon, frappant le cercle étendu de la Lune…
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La lumière étrangère tourne en cercle autour de la Terre.
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Comme une poussière autour d’un char tourbillonne le long du bord...
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Car elle contemple le cercle sacré du seigneur en face.
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Il lui a découvert les rayons,
jusqu’à ce qu’il passe au-dessus ; et il a effleuré la Terre
autant que s’étend le disque de la Lune aux yeux brillants.
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La Terre engendre la nuit, lorsqu’elle se glisse sous les rayons du Soleil.
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La Nuit, solitaire et sans regard…
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Et la couleur noire se manifeste au fond du fleuve par l’ombre,
et de même elle est visible dans les antres profonds.
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Beaucoup de feux brûlent dans les profondeurs de la terre.
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Elle mène une race sans Muse, de mangeurs aux nombreuses semences.
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La mer se fige, frappée par les souffles du Soleil levant.
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La mer est la sueur de la Terre.
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Et l’éther descendait dans la terre jusqu’à ses racines profondes.
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Ainsi les dieux se rencontrèrent alors — et bien souvent, autrement encore.
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Et rapidement, vers le sommet...
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Car ces choses sont harmonie pour toutes leurs parties :
le Soleil, la Terre, le Ciel et la Mer,
et tout ce qui, séparé, s’est développé chez les mortels.
Et de même, tout ce qui, ayant une complexion adéquate, est plus disposé à se mêler,
s’aime mutuellement, ayant été rendu semblable par Aphrodite.
Mais ce qui s’éloigne le plus l’un de l’autre par le genre, la complexion et la forme façonnée,
il est tout à fait contraire de les joindre —
ainsi le veut la suggestion de la Discorde, qui a causé leur génération.
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C’est par cette volonté que la Fortune a mené toute chose.
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Et dans la mesure où elles sont tombées ensemble le plus faiblement...
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La Terre accroît leur propre corps, et l’éther accroît l’éther.
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Et la Terre, la plus accueillante à ces influences,
se joignit également à Héphaïstos, à la pluie et à l’éther lumineux,
ayant été conduite par Aphrodite dans ses ports d’accomplissement,
soit plus grande, soit plus petite — selon les proportions ;
et de cela naquirent le sang et les autres formes de chair.
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La terre, hospitalière, dans ses cavités aux larges flancs,
reçut deux des huit parts de la lumière de Néistis,
quatre d’Héphaïstos : et ce sont elles qui formèrent les os blancs,
unis par la merveilleuse colle de l’Harmonie.
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Ayant pétri la farine avec de l’eau...
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Si donc tu as eu peu de foi dans ces choses,
comment, du mélange de l’eau, de la terre, de l’éther et du soleil,
se sont formés les formes et les couleurs des mortels,
telles qu’elles apparaissent aujourd’hui, unies par Aphrodite…
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Comment aussi les grands arbres et les monstres marins...
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Et alors, quand Aphroditeeut pénétré la Terre sous la pluie,
elle donna vigueur à la forme mobile à travers le feu rapide...
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Ceux dont les parties intérieures sont denses et les parties extérieures poreuses,
ayant été façonnées dans la paume d'Aphrodite...
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Ainsi les grands arbres, les oliviers d’abord, enfantent par œufs.
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C’est pourquoi les grenades sont tardives à naître et les fruits ont une peau épaisse.
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Le vin provient de l’écorce ; l’eau, dans le bois, devient putréfiée.
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Car si tu observes cela avec bienveillance,
pressant ces choses sous des pensées intenses,
cela te sera toujours présent à travers le temps.
Et bien d’autres choses encore tu acquerrais à partir de là :
car celles-ci s’accroissent en chacun selon sa nature propre.
Mais si tu t’orientes vers d’autres choses, comme le font les hommes,
ces vains savoirs qui émoussent les soucis,
alors, très vite, ils t’abandonneront — toi qui désires ardemment
parvenir à la race bien-aimée,
car sache que tout possède une part de pensée et un lot de mouvement.
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La Nécessité, difficile à porter, est odieuse.
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Cela, dans les coquilles pesantes des coquillages marins,
oui, et dans les trompettes de pierre des messagers et les tortues,
là, tu verras la terre résider tout en haut de la peau.
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Mais chez les oursins, des poils acérés frémissent sur le dos.
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Dans la paume d’Aphrodite, lorsqu’ils furent engendrés ensemble pour la première fois.
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Le foie, plein de sang.
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Alors, de nombreuses têtes sans cou germèrent,
et des bras nus erraient, privés d’épaules,
et des yeux se promenaient seuls, mendiants de fronts.
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Mais lorsque un daimôn s’unissait plus fortement à un autre daimôn,
et que cela tombait ensemble là où chaque chose se rencontrait,
d’autres encore, en plus de cela, naissaient continûment.
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Beaucoup furent engendrés à deux visages et à deux poitrines,
têtes de bœufs à visage d’homme, et d’autres qui croissaient en sens inverse,
formes humaines à têtes de bœufs, mêlées d’homme
et de femme, ornées de membres ombrés.
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Allons ! comment, chez les hommes aux nombreuses lamentations et chez les femmes,
le feu discerné les éleva, rampant dans la nuit,
écoute cela ; car ce n’est ni un discours aveugle ni ignorant.
Des formes entièrement développées surgissaient d’abord de la terre,
portant la part de l’eau et de la forme de chacune ;
le feu les élevait, voulant atteindre ce qui lui était semblable,
sans encore montrer un beau corps de membres,
ni une voix propre aux hommes du pays.
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Mais la nature des membres était dispersée : une partie chez l’homme…
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Et sur cela vient le Désir, rappelé par la vue.
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Et il fut répandu dans les purs ; les unes deviennent femmes,
ayant reçu la froideur de l’âme ; [les autres au contraire mâles, par la chaleur].
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Dans les prairies partagées… d’Aphrodite.
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Car dans une chaleur plus grande se forme l’utérus mâle ;
et c’est pourquoi les hommes sont noirs et plus virils,
et plus velus.
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Il unit deux articulations.
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Le dixième jour du huitième mois, la lymphe est devenue blanche.
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Ayant compris que toutes choses sont les émanations de tout ce qui fut engendré...
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Ainsi le doux saisissait le doux, l’amer sautait sur l’amer,
le piquant se dirigeait vers le piquant, le proche s’attachait au proche.
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Avec le vin... cela est plus harmonieux ; mais avec l’huile,
cela ne convient pas.
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Ainsi tout respire et expire : chez tous, les veines pleines de sang
sont tendues jusqu’à l’extrémité du corps,
et elles sont percées à leurs ouvertures d’un petit trou,
à travers les narines, aux dernières extrémités, traversées de part en part —
afin de retenir le sang et de permettre à l’éther un passage facile.
Et alors, quand le sang délicat s’élance,
l’éther s’écoule en grondant dans une vague impétueuse ;
et quand il se retire, il expire de nouveau —
tout comme un enfant joue avec une clepsydre de bronze percée :
lorsqu’il pose sa main sur l’orifice bien façonné
et la plonge dans l’eau, le corps argenté,
plus rien ne pénètre dans le vase, car l’air le repousse,
ayant rempli l’intérieur par les trous étroits,
jusqu’à ce qu’il ouvre le courant serré ; puis, ensuite,
quand le souffle manque, l’eau pénètre de nouveau en juste proportion.
De même, lorsque l’eau est contenue dans les profondeurs du bronze,
et que le passage est fermé par la peau mortelle et le pore,
l’air, à l’extérieur, désireux, empêche la pluie d’entrer,
autour des portes étroites bruyantes, contrôlant l’entrée,
jusqu’à ce que la main se retire ; alors à nouveau, inversement,
quand le souffle pénètre, l’eau s’écoule de nouveau en proportion.
De même, le sang délicat, résonnant à travers les membres,
lorsqu’il se retire dans les profondeurs,
un courant d’éther descend aussitôt dans une vague furieuse,
et lorsqu’il se relève, il expire à nouveau en sens inverse.
──
Scrutant avec ses narines les traces des membres des bêtes,
[vivantes] tout ce qu’elles laissaient autour de l’herbe tendre…
──
Ainsi donc, par le souffle et les odeurs, toutes choses sont partagées.
──
Cloche : nœud charnel.
──
Une seule image naît des deux [yeux].
──
Nourri dans les flots du sang jaillissant en retour,
par cela même la pensée est le plus appelée chez les hommes :
car le sang est, pour les hommes, le siège de la pensée autour du cœur.
──
Car c’est au contact du présent que croît l’intelligence chez les hommes.
──
Autant ils ont changé de nature, autant aussi toujours
leur manière de penser leur apparaît différente…
──
Par la terre, nous avons vu la terre, et par l’eau, l’eau,
et par l’éther, l’éther divin, et par le feu, le feu invisible,
et l’amour par l’amour, et la haine par la haine funeste.
──
De cela en effet toutes choses ont jailli, s’étant accordées,
et par elles les êtres pensent, et s’en réjouissent ou s’en affligent.
──
Si, pour quelque chose d’éphémère, ô Muse immortelle,
tu juges bon de venir à ma méditation à travers la réflexion,
présente-toi maintenant encore à moi, Calliope, en réponse à ma prière,
révélant un noble discours au sujet des dieux bienheureux.
──
Heureux celui qui a acquis la richesse de pensées divines ;
misérable, celui que préoccupe la gloire obscure des dieux.
──
Il n’est pas possible d’y parvenir avec les yeux ni de l’atteindre avec les mains,
là où la plus grande force de persuasion tombe dans l’esprit des hommes
comme un char roulant.
──
Ô mes amis, qui habitez la grande cité d’Agrigente la blonde,
sur les hauteurs de la ville, veillant aux œuvres bonnes,
havres respectés pour les étrangers, étrangers à toute méchanceté,
je vous salue : moi, je suis pour vous un dieu immortel, non plus mortel,
je vais parmi tous les hommes honoré, comme il semble,
couronné de bandelettes et de riches guirlandes ;
chaque fois que j’arrive dans des cités florissantes,
je suis vénéré par hommes et femmes : et ils me suivent
en foule, interrogeant où est le chemin du profit,
les uns m’interrogeant pour des oracles, les autres pour la maladie,
ayant entendu ma voix bienveillante
depuis longtemps percée par les peines douloureuses.
──
Mais pourquoi m’étendre ainsi, comme pour dire une chose importante,
si je suis au-dessus des hommes voués à la destruction ?
──
Ô mes amis, je sais pour quelle raison la vérité est auprès des discours
que je vais énoncer : mais elle est difficile à atteindre,
et la foi en elle naît difficilement dans le cœur des hommes.
──
Vêtue d’un manteau de chairs étrangères.
──
La terre toute vivante.
──
Car d’êtres vivants il faisait naître les formes mortes, en les changeant.
──
Il n’y avait chez eux ni Arès dieu, ni Kudoimos,
ni Zeus roi, ni Cronos, ni Poséidon,
mais Cypris [Aphrodite] régnait.
Elle, ils l’honoraient avec de pieuses statues,
des peintures animées, des parfums ouvragés,
des sacrifices de myrrhe pure, de l’encens odorant,
et des offrandes de miel blond jetées à terre ;
l’autel ne manquait pas de sangs purs de taureaux,
mais cela était une très grande souillure parmi les hommes,
qu’après avoir arraché la vie, on se nourrisse des chairs mortes.
──
Il y avait alors parmi eux un homme de savoir exceptionnel,
qui avait acquis la plus grande richesse de pensée,
le plus honoré dans les œuvres de toutes les sagesses ;
car quand il le voulait de tout son cœur,
il voyait aisément chacun des êtres présents
et ceux de dix hommes, et même de vingt générations.
──
Toutes choses étaient paisibles, favorables aux hommes,
les bêtes sauvages, les oiseaux, et la bienveillance rayonnait.
──
Et les arbres produisaient des feuilles et des fruits durables,
en abondance de fruits, dans l’air, toute l’année.
──
Mais cela, la coutume commune, s’étend sans cesse
à travers l’éther vaste et la lumière sans limite.
──
Ne cesserez-vous donc jamais ce meurtre au cri affreux ?
Ne voyez-vous pas que vous vous dévorez les uns les autres, sans souci ?
──
Le père, après avoir changé d’apparence, immole son propre fils,
en priant, insensé ! et ceux-ci viennent
le supplier, sacrifiant ; et lui, sourd à leurs cris,
après le meurtre, prépare un repas misérable dans sa maison.
De même le fils prend le père, et les enfants leur mère,
et, lui ayant arraché la vie, mangent ses chairs bien-aimées.
──
Parmi les bêtes, les lions couchés sur les montagnes
viennent au monde, et les lauriers dans les arbres à belle chevelure.
──
Il faut absolument s’abstenir des feuilles de laurier [consacrées à Phœbus].
──
Misérables, très misérables, il faut s’abstenir des fèves.
──
Ayant taillé cinq [branches] aux sources avec le bronze inflexible…
──
Jeûner de toute méchanceté.
──
Car en errant à travers de dures misères,
vous ne trouverez jamais le repos de vos douleurs misérables.
──
Mais au bout du compte, ce sont les devins, les poètes sacrés, les médecins,
et les chefs des peuples humains qui adviennent.
De là ils repoussent et refleurissent, les plus honorés parmi les dieux.
──
Ils vivent avec les immortels, à leur propre table,
bons envers les douleurs humaines, exempts de malheur, sans faille.
──
Tu apprendras tous les remèdes contre les maux et les atteintes de la vieillesse,
car c’est à toi seul que je révélerai tout cela.
Tu apaiseras l’élan infatigable des vents,
qui, fondant sur la terre, ravagent les cultures par leur souffle ;
et de nouveau, si tu le veux, tu rappelleras ces souffles vengeurs ;
tu établiras pour les hommes, depuis l’ombreuse pluie, une sécheresse opportune,
et depuis la sécheresse estivale, des flots nourrissant les arbres,
qui séjourneront dans l’éther ;
et tu rappelleras de l’Hadès le pouvoir d’un homme défunt.