BENSAID / La trahison des clercs
Son séminaire de 2007 portait dessus. Ce sont nos échanges qui sont à l'origine de la dissolution de l'organisation politique de Badiou, qui a mal intégré le feu nourri de critiques simultanées (n'oubloins pas Mehdi BK), n'appréciant pas de faire de la petite politique. C'est que là que, revirement, il écrira de quoi Sarkozy est-il le nom, pour s'inscrire par opportunisme. Passons. Bensaïd avait pour figures tutélaires Pierre Gatti, Pierre Naville et Maurice Nadeau. Mais la trahison des intellectuels reste un de ses leitmotivs.
Si on lit des vieux communards, on voit bien d’où vient la méfiance par rapport aux intellectuels en France : c’est le sentiment du mouvement ouvrier d’avoir été trahi par les Républicains en 1848 au moment de la Commune. C’est le fait aussi qu’en France l’institution universitaire a une énorme capacité de cooptation par le jeu des grandes écoles, des bourses, et donc aussi d’écrémage de ce qui pouvait apparaître comme source de renouvellement intellectuel dans les classes populaires… Pourquoi le Parti bolchevique en Russie accueille-t-il une élite intellectuelle ? C’est que la société russe était complètement bloquée. C’étaient des gens qui avaient quelque chose d’original, des comptes à régler avec la société. Ils ne pouvaient pas être canalisés dans l’université tsariste.
La solution qu'il donnera, l'attachement à un parti ! Mais il y a dès lors un risque de bolchévisation et de bureaucratisation du parti.
Le vieux Charles Tillon, des FTP, m’avait dit : la bolchevisation, c’est ce qui a étouffé la vie démocratique dans le Parti. Mais souvent on impute à la force organisationnelle des travers qui s’appliquent à toute forme organisée dans la société.
Le danger bureaucratique, personne n’y échappe : ni les administrations, ni les partis, ni les syndicats, ni, aujourd’hui, les ONG. Parce que la bureaucratisation est liée à la division sociale du travail dans nos sociétés. Tant qu’on n’aura pas les moyens de dépasser cette division, notamment entre travail manuel et travail intellectuel, il y aura un effet récurrent de bureaucratisation.
Paradoxalement – et je sais que je suis à contre-courant –, je trouve qu’une organisation est un des meilleurs moyens de résister à ce phénomène. Un parti, ou un mouvement – peu importe le nom qu’on lui donne –, c’est-à-dire une organisation avec un statut, ses délimitations, ses règles de vie interne. Pour moi, c’est un moyen de résister à ce que j’appelle la démocratie d’opinion. J’entends par là la manière dont la logique médiatique sélectionne les porte-parole en fonction de leur image, leur sympathie, leur docilité éventuellement.
Une autre raison de mon attachement à une organisation, c’est qu’un parti est un opérateur stratégique qui organise la politique dans la durée, qui peut prendre des décisions. Il y a des moments de décision.