Le film commence par cet énoncé, en voix off : « S’il y a bien quelqu’un qui peut remercier la vie, c’est moi ! ». Exergue d’un long entretien avec M. Vaujour : 27 ans de prison, dont 17 en QHS et une demi-douzaine d’évasions. La plus spectaculaire a défrayé la chronique en son temps : un hélicoptère, en vol stationnaire au-dessus de la Santé lui donne la clé des champs.
Etranger aux clichés sur le grand banditisme, le film de Fabienne Godet invite à un parcours de vie : nécessité et hasards tissent les liens d’une existence qui se réfléchit grâce à cette autre inflexion qu’est la rencontre de la cinéaste et de celui qui est le sujet du film. Sujet en deux sens : à la fois ce dont il est question, ce dont le film parle, et celui qui parle, qui se fait auteur de ce qu’il dit, en disant son devenir maître de sa propre existence, s’efforçant de maximiser la puissance d’exister qu’il est, s’efforçant dans le devenir actif.
« Quand je me suis évadé, j’ai vraiment cru que j’avais gagné. J’ai compris bien plus tard que j’avais perdu quelque chose d’essentiel… C’était la capacité de la joie. J’avais repris une liberté qui n’était pas joyeuse. Je ne savais pas aimer. » (M. Vaujour).
Comment se faire vivant ? Comment être fidèle à soi-même ? Comment échapper aux impasses dans lesquelles on s’engage, en croyant faire son salut ? Que le désir de toute-puissance soit le piège dans lequel la liberté succombe, Vaujour en fait expérience et réflexion, jusqu’à ce point où l’innocence se perd.
Et quand on l’entend parler de la voie qui le conduit hors de prison, on pense à Spinoza : « Qui donc s’emploie, et par seul amour de la liberté, à maîtriser ses affects et ses appétits, s’efforcera autant qu’il peut, de connaître les vertus et leurs causes, et de s’emplir l’âme du contentement qui naît de leur vraie connaissance ; et de contempler le moins possible les vices des hommes, ainsi que de dénigrer les hommes et de tirer contentement d’une fausse espèce de liberté. »
(Ethique , V, 10, scolie. Trad°, B. Pautrat).
Gérard Bras