926. Les métiers du sol et la fin du labour.
YHWH Dieu prit le sol et l'installa dans le jardin d'Eden pour le travailler et le garder. Genèse DieSB°Ge,2,15. De là le travail de la terre, le labour et le labeur toutes ces inepties.
Qu’un soc longtemps rouillé brille dans le sillon. … Ne va point vainement enfoncer la charrue. Virgile, Géorgiques, Livre I.
Mettons ici la dimension technique et non les ressorts symboliques du labour, présents notamment dans la Bible où il y a cette dimension sacrée de fendre la terre et d'y fonder l'existence humaine. L’humain, homme ou femme, est le neutre qui peuple le sol, ce complexe argilo-humique. Le labour est une vision archaïque, dont témoignent le poète Virgile et son soc rouillé par la guerre civile. Se basant sur des croyances tenaces, les gens se bloquent sur une image ancienne d’une richesse venue du ciel, « jadis le ciel partagea ses largesses », alors que le sol lui-même est vivant. Le labour n'a jamais amélioré le rendement mais a permis la table rase nécessaire au semis. Le labour permet de « travailler » ensuite la terre, comprenez de planter ou de semer tout en ayant désherbé. C'est un résultat de la sédentarisation alors que le nomade procédait par brûlis et dès que les herbes « mauvaises » devenaient trop envahissantes, il commettait un autre brûlis ailleurs puis semait. Là encore les brûlis n'améliorent pas le rendement par enrichissement du sol mais détruisent la concurrence en permettant à la plante sélectionnée, la « bonne herbe » de se développer en premier. On pourrait voir le labour comme la machine territoriale qui trace des sillons et code les flux sur le corps plein de la terre, c’est en tout cas ce que font Deleuze et Guattari DzAO_311. C’est un sillon qui délimita mythiquement Rome et lui servit de fondation, C’est indépendamment du labour comme rapport scarificateur au sol que se joue la natalité des sols. « La vie » aggrave, complexifie la lignine pour produire de l'humus qui est la molécule biologique la plus complexe que l'on connaisse actuellement. L'humus s'associe aux argiles (silicate de fer et d'aluminium) et constitue le complexe argilo-humique. Ce milieu est le plus riche sur terre : il repose sur une liaison organique-minéral fragile et retient les éléments nutritifs comme la potasse et la magnésie. Un sol « sain » est constitué à 80 % d’humus jusqu'aux nappes phréatiques : 3 à 4 milliards de collamboles à l'hectare qui décompose les feuilles, 3 à 4 milliards d'acariens à l'hectare qui décomposent les parties plus dures. Les morceaux de bois sont attaqués par les ligules ou les cloportes. Tous créent des boulettes fécales qui aèrent le sol et permettent aux microorganismes de se développer alors que l’industrie agro-alimentaire fonctionne sur le mode de l’exploitation des sols jugés inertes et les engraisse avec des nitrates, des phosphates et du potassium (NPK). Les NPK sont issus de la production du gaz moutarde de la première guerre mondiale mais ne représentent que 3 des 28 éléments nutritifs des plantes connus à ce jour. Ce sont les microbes qui permettent aux plantes d’acquérir ces éléments. Ce n’est pas l’humus qui nourrit la plante mais l’eau et les microbes. On cerne encore mal la dimension magnétique de l’existence, en tout cas en devenant vite malade, la plante de l’« exploitation » agricole est traitée aux pesticides puis aux insecticides. C’est ainsi que le système agro-industriel détruit dix millions d'hectares de terre chaque année. En cinquante ans on a divisé par cinq le nombre d’agriculteurs. Deux cinquièmes des blés fabriqués en Europe ne sont pas d’une qualité suffisante pour faire du pain. Ils ne sont pas panifiables et sont alors donnés aux cochons. Autre aberration énergétique, 99 % des tomates et fraises en Europe sont produites en hors-sol et consomment 36 calories pour produire 1 seule calorie de denrée agricole. Depuis 1995 la production mondiale de céréales (1,8 milliard de tonnes par an) n'a pas augmenté tandis que la population mondiale continue d'augmenter alors que les sols se dégradent de plus en plus. La technique moderne d'exploitation des sols conduit à considérer les sols comme inertes et produit leur érosion. On la voit très facilement en Europe et partout sur Terre puisque dès qu'il pleut les rivières sont boueuses. Tous les sols sont emportés. Ça n’est pas normal, on sait pourtant l’expliquer. La destruction des sols se fait en trois étapes. 1°) Mort biologique des sols par l'usage des pesticides et des engrais, ceci fait qu'on est passé en France de deux tonnes de vers de terre à l'hectare à cinquante kilogrammes ; 2°) destruction chimique des sols puisqu'il n’y a plus de remontée des éléments organiques par la faune ; 3°) destruction physique des sols par acidification puis par érosion qui emporte la terre — la lixidation. À titre de comparaison, il faut savoir qu’un sol forestier équatorial absorbe jusqu'à 300 mm d'eau à l'heure. Un sol forestier tempéré, quant à lui, arrive à absorber toute l’eau de pluie soit 150 mm eau par heure. L’agriculture moderne ne permet pas à un sol travaillé d’absorber 1 mm eau par heure et même moins dans certaines régions d’agriculture intensive, ceci se remarque lorsque les eaux d’inondation sont boueuses que les sols ne sont pas fatigués comme le disent les gens ils sont tout simplement morts. Les scientifiques ne décèlent plus d'activité biologique en laboratoire ! Comme le remarque, Jean Druon dans Alerte à Babylone : il est plus facile d'accuser la pluie d'être responsable des inondations, que de dire que c'est un système agricole qui a provoqué ces inondations... En somme, les occidentaux ont inventé les inondations en périodes sèches. Le constat est le même pour la stérilisation de l’homme via les produits chimiques, si bien que certains y voient un complot venu d’en haut. En 6000 ans d'agriculture, l'homme n'a jamais été capable de développer une technique agricole qui protège la terre. Comment répondre au double impératif économique et environnemental ? Par la formulation de la question, la réponse est d’emblée morale : il faut apprendre à cultiver la terre sans l'éroder. Il faut repenser complètement comment fonctionnent les sols et abandonner les modèles de l’exploitation qui en font un support inerte qu'on engraisserait ; ces engrais rendent les plantes malades on les traite aux pesticides et ce cocktail d’engrais et de pesticides appauvrit les sols. Une fois encore, 80 % de la biomasse vivante est dans les sols ! Ce sont des croyances archaïques qui sont enracinées telles des instincts cultivés dans l’ignorance. C’est par la découverte des microorganismes dans le sol qu’on ne connaissait pas avant Pasteur, la fin du brûlis et du labour comme techniques rentables. Un labour dégage une tonne de dioxyde de carbone à l'hectare tandis qu'un semis de graines stocke quatre tonnes de dioxyde de carbone sur une même surface et quatre fois plus encore si on utilise le chanvre. De nouvelles techniques qui s’éloignent de l’exploitation agricole sont donc employées : le bois raméal fragmenté, les techniques de compostage et surtout le semis direct sous couvert. Ce dernier permet au sol de ne jamais être à nu tout en permettant de valoriser la plante cultivée. Que ce soit le brûlis des nomades que l’on retrouve chez les bergers corses ou le labour des exploitants sédentaires, il n’a qu’une fonction : supprimer les plantes indigènes qui concurrencent les plantes cultivées. Le mythe du labour comme fondateur de civilisation devient à présent archaïque, plus que le motif de la mort de l’écriture (biblique) ne devient opérant DaAO_285. Sorti de la vision biblique du labour, c’est comme s’il n’y avait plus de bonnes ou mauvaises herbes. Ce qui est nuisible, ne l’est que dans un « monde » de conservation, dans un « monde » où l’instinct de conservation prime. On peut se dire que les dimensions du labeur et du travail ont leur plus ample développement dans la chrétienté comme cadre idéologique, le socialisme étant une résurgence de la chrétienté par l'affirmation de l'individu, fruit du salut « individuel » et donc « générique » de l'« âme ».