811. Machiavel entre virtù et fortuna.
Si tu savais changer de nature quand changent les circonstances, ta fortune ne changerait point. Machiavel MacLP_132.
Le courage naît du combat et la fortune 829 d’un travail sur les opportunités. Il est une chose sur laquelle insiste Machiavel c’est la virtù, ce courage ingénieux. C’est l’audace qui permet de s’en tirer au cœur de l’action, et qui sait entrevoir les prises d’opportunité pour renverser une situation à notre avantage. Cette audace est très loin de la vertu grecque du juste ou du bon, laquelle sert de ferment communautaire à ceux qui se regroupent en écoles ou en hospices, préférant participer peu à la vie active de la société sinon en corrompant tout ce qui est naissant. L’école de la vertu, cette hémiplégie intériorisée de la vertu 135, sert d’office à « l’intériorité », à la contemplation et à l’action prétendue morale 522. La communauté chrétienne parle volontiers de libre-arbitre sans trop savoir qu’il n’a été inventé que pour permettre l’aveu et la confession mais n’a pas d’existence propre. Le mot est souvent employé sans savoir de quoi il en tient. C’est pourtant l’expression d’une pensée décadente que depuis Platon on nomme académiquement philosophie et que les pères de l’Église ont travesti en christianisme sans pour autant confesser les œuvres du Christ NzA, les dogmes ont remplacé les miracles. La sagesse tient davantage de la puissance d’agir que d’une vertu à faire le bien et le salut individuel de l’âme qui mène tout droit à l’individu générique puisque le platonisme n’est pas séparable du christianisme. Celui qui admire la sagesse ne l’exerce pas. De là le réalisme politique de Machiavel.
En penseur réaliste, Machiavel rompt avec le fond de la pensée chrétienne pour laquelle le peu de politique est ramené à un monde humain et à son histoire intégrée à la finalité du règne de Dieu sur Terre — en un mot la Paix. Pragmatique, il biaise l’espérance et la tentation de délivrance par rapport à notre « vallée de larmes » — la Terre — et voit la finalité de la politique dans la prise de pouvoir et sa conservation. Toutefois, la perspective de Machiavel est celle de l’homme supérieur et non du créateur. Il n’y a pas la dimension « artiste » de la personnalité qui donne. Dans le tumulte de la Renaissance Machiavel met l’accent sur le pouvoir nouvellement acquis et sa conservation. La dimension généreuse du prince se résume à la libéralité et au côté permissif de sa politique envers la multitude, mais ce n’est pas lui qui crée les valeurs. C’est pourquoi il a besoin de soutien et dès lors il prend ses dépenses sur ses biens et ceux de ses sujets, ou sur ceux d’autrui MacLP°XVI. Les meilleurs soutiens d’un pouvoir nouveau ne sont pas ceux qui l’ont mis en place car ils peuvent le défaire mais les adversaires qui par intérêts si rallient, ceux qui se sentent entraînés par lui et qui forment dès lors une protection. Ceux qui l’ont mis en place connaissent la nudité du pouvoir. Un prince nouveau n’a jamais désarmé ses sujets ; loin de là, il s’empresse de les armer, s’il les trouve sans armes… Un prince qui désarme ses sujets, les offense et les conduit à croire qu’il se méfie d’eux, et rien n’est plus propre à exciter leur haine MacLP°XV. On conserve plus facilement une ville accoutumée à la liberté en la gouvernant par ses propres moyens MacLP°XV. Être armé, c’est davantage posséder l’art de la guerre que de posséder des armes, lesquelles peuvent être confiées aux populations. En somme, c’est s’armer conceptuellement pour acquérir et conserver le pouvoir. Non seulement Machiavel pose l’art du combat politique, mais il soutient que nous avons avec la politique changé de manière de combattre en passant du « combat avec les forces » à un « combat par les lois » °XVIII. La déchirure au sein de la cité 912 se trouve légalisée. Mais Machiavel ne dit pas comment accumuler un surplus de dépenses autrement que par la conquête chez autrui, la dimension de création est étrangère à la politique. Les amitiés ne s’acquièrent-elles pas dans ce domaine à prix d’argent MacLP°XVII ?