721. Dire qu’il n’y a ni matière ni esprit, tout au plus de la perte d’énergie.
Laissons de côté et l’idéalisme et le matérialisme, vieux rivaux. Il n’y a pas plus d’« en soi » des idées que de matière permanente qui se conserverait en soi. Il en a toujours été ainsi, c’est par facilité qu’on pense avoir des idées mais en restant aux beaux discours, on se coupe de l’action. C’est par fatigue qu’on perçoit les matériaux inertes qui ne forment qu’une masse infime de l’univers comme étant de « la matière » 431. Affinons notre pensée. Substituons aux modes de la substance et des circonstances ou encore de l’essence et de l’accident, le registre de l’effort vital et du combat. Activons autre chose. Aux corrélats des « Idées » et de la « Matière », posons non l’énigme de la vie, mais les exceptions du vivant (ou organique) — qui s’alimente d’information et plus encore d’énergie — et du vif (ou démonique). C’est là, la grande différence entre le vivant et la machine. La machine ne sait pas trouver seule son mode énergétique. Mais on oublie vite la nature du vivant qui échange de l’information et surtout de l’énergie, par la complexité qui lui est inhérente. La complexité est encore une fois l’indexation de l’information sur de l’énergie et de la masse. L’information sert d’orientation au sein d’un système pour débusquer ce qu’il en est de sa rareté*, à notre époque, à savoir l’énergie. Autrefois dans la hiérarchie séculière, c’était le sens qui se faisait rare. Mais dans tous les cas, répétons-le, il n’y a ni idées ni matière.
L’Esprit a bel et bien existé comme une construction de l’Église et tout spécialement du jésuitisme, comme un outil de domination des corps 412, de même que Dieu a existé comme croyance en ce qu’il est « amour de dieu » comme le manifestent les mystiques et rien de plus BgMR. Ce sera Descartes, élève des jésuites, et à sa suite Spinoza et Pascal, qui introduiront la dimension de l’esprit et toute sa détresse dans la philosophie dite moderne. Cette dimension a compté jusqu’à Goethe et Nietzsche, Voltaire étant le grand libérateur de l’esprit mais lui aussi comme élève des jésuites. C’est cette lignée pleine d’esprit que finiront d’accomplir Goethe et Nietzsche. Malgré la persistance des prêtres idéalistes-matérialistes dans le seul microcosme francophone, faut-il être visionnaire pour voir ceci : l’esprit n’est plus ce qui forme le sens ou qui informe nos sociétés. Non, depuis le forfait de la Raison comme principe de suffisance, l’esprit a été remplacé par un immense appareil technologique. La posture du visionnaire, de l’homme à idées est avant tout celle de l’anomal, de l’outsider, du schizophrène, c’est-à-dire de l’entité en marge de la société. Les idées creuses se maintiennent comme autant de fuites par rapport à l’entrain et au combat qui permettent d’exercer un métier ou une activité. La posture d’intellectuel est donc avant tout un effort orienté pour se conserver comme tel et ne pas se dépenser. Produire de beaux discours qui par commande de direction et de transmission donneront des procédures. Frilosité crépusculaire qui ne parvient pas à faire émerger de nouvelles sources d’énergie. Forces réactives qui s’éternisent en longues disputes. Au final, chacun aura manqué la nourriture explosive qui le fera être tranchant et incisif face à l’adversité. Nourriture terrestre, Gai savoir, nouvelle source d’énergie, les valeurs sont cela, des indicateurs de dépense, des critères stimulants d’énergie et d’action. On est loin des anciennes sources d’énergie dites « spirituelles » qui s’appuyaient sur un « en soi » comme autant d’origines perdues. Atermoiements vis-à-vis de l’action, inertie de la prière, impénétrabilité des idées et de la matière 431c.
Substituons-y d’autres valeurs et nous nous écarterons d’une tradition philosophique qui pose d’un côté le monde sensible et de l’autre le monde intelligible. D’un côté la sensation et de l’autre le discours qui met en rapport tout ce qui est. Ce discours déclamatoire hiérarchise, capture et castre plus qu’il ne libère, intensifie, éduque. C’est la part attristante de la philosophie, son logos prophoricos. Il se trouve qu’aujourd’hui avec Mathusalem, notre précieux photon 350, la lumière nous est apparue comme n’étant régie ni par les lois de la matière comprise par la mécanique classique, ni par celles de l’esprit 411+. Toute idée, selon laquelle il existerait une chose en soi — Vérité, Bien ou Matière — et une loi la régissant, est balayée. Une conscience prend toujours forme face à un danger : elle naît du besoin de se rassurer et de l’urgence à communiquer face à ce danger. Il faut pouvoir se stabiliser ou l’affronter en nombre. Instinct grégaire de la conscience, toujours faite de communication et d’information. Elle ne rentre ni dans l’ordre de la production, qui se fait machinalement, ni dans l’ordre de la création, qui se fait, quant à elle, par audace et par inconscience suivant la perspective adoptée. La nécessité d’une synthèse apparaît quand on a en tête qu’un homme ou une femme, avec toute la bonne volonté du monde, ne lira jamais plus de 30 000 ouvrages — ceci est peu comparé aux millions produits par l’humanité. Par synthèse, il ne s’agit pas de fabriquer une métaphysique systématique ou de réunir un savoir absolu, mais de poursuivre la simple chimère, d’indiquer ce qui pour une époque donnée a son importance. S’il demeure une tâche pour la philosophie, ce n’est pas celle d’informer des savoirs d’une époque, mais de former, voire de déformer par une éducation à la sauvagerie 635, ceux qui ont une approche et une sensibilité différentes. Faire qu’il n’en reste pas au dialogue intime (logos endiathetos) et qu’ils embrayent sur la création. Faire qu’ils combattent dans la gaieté plutôt qu’ils ne se résignent. Ainsi laisse-t-on de côté le plan symbolique et non métabolique des systèmes et la création de concepts qui s’articulent en eux. Puisque l’enjeu est de percevoir ce qui a de l’importance et de générer, de facto, de nouvelles capacités d’énergie là où une impossibilité à rebondir se faisait jour. Il s’agit bien de changer d’approche et de substituer aux idées et aux idoles de la tradition, des valeurs qui permettraient de dénicher de nouvelles sources d’énergie et donc une capacité de plus ample envergure. Si nos nous en tenons aux idées et aux idoles de la tradition, toute vie déclinerait en une corruption. Si l’énergie à venir est difficile à percevoir, comme le moteur à explosion difficile à appréhender avant son invention, notre capacité physiologique à nous régénérer, incline vers une nouvelle génération.