715. La résilience ou la manière de se régénérer par l’affectif.
Si la capacité d’autonomie a dépassé ses limites et a transgressé la morale « hétéronome » fixée par les prêtres et les « hommes bons » de tous ordres, alors inévitablement cette conduite d’excédence 517e amène à affronter les traumatismes. Comme le fait vaillamment remarquer Kant, la loi morale est un meilleur abri que l’abri physique contre les événements de tous ordres. Affronter les traumatismes veut simplement dire les surmonter et donc savoir rebondir dans la vie 326c. Le terme que les psychologues ont repris à la résistance des matériaux est la résilience. Voici ce qu’il faut remarquer des traumatismes : ils surviennent toujours en deux fois, comme le font remarquer Cyrulnik et Deleuze DzLS_174+. Ce dernier insiste sur le fait que la blessure ne serait pas l’événement et que c’est de l’événement qu’il faudrait être « digne ». Au-delà de cette dignité toute kantienne et toute humaine, l’événement est bien souvent chez le philosophe l’autre nom du traumatisme. Cet événement corporel comme l’hapax 412g n’a pas lieu par la production de dopamine et d’endorphine. L’endorphine est une morphine endogène produite par l’hypothalamus et l’hippocampe après une excitation (liée à la dopamine), une douleur ou un orgasme. Ce que confirment nombre de sportifs, rugbymen ou boxeurs, en parlant en des termes aujourd’hui archaïques que « le mental transcende le physique » Abdelatif Bennazi. Ces sportifs ne ressentent pas la douleur d’une blessure voire une fracture et continuent à combattre avec ferveur : ce n’est qu’après le match que la douleur est insupportable. Un traumatisme plus existentiel peut conduire à la production d’hormones qui freinent le frayage synaptique — augmentation de la cortisol et donc de la recapture de la sérotonine dans l’espace inter-synaptique, par exemple :
Illustration 1. — La concentration de sérotonine dans la synapse est directement contrôlée par sa recapture par son transporteur qui est la cible majeure de nombreux antidépresseurs dont le plus célèbre est le Prozac®. En empêchant la recapture de sérotonine par les neurones, les antidépresseurs augmentent artificiellement sa concentration et rétablissent une transmission sérotoninergique normale. Joël Bockaert et Philippe Marin, article scientifique du 16 avril 2006.
La résilience n’est que la manière de se régénérer par l’affectif. Ce qui affecte peut être le lyrisme d’un livre, comme on l’a vu avec les différentes vagues romantiques, mais c’est surtout la rencontre avec une personnalité. Le plus précieux des facteurs de résilience : la rencontre qui éveille CyrVC_143. La fantaisie constitue la ressource interne la plus précieuse de la résilience CyrVC_164. Cette fantaisie 538, ce grain de folie et dès lors de grâce, fait pour Deleuze qu’une personne ne s’effondre pas. Une victime, un traumatisé parvient à cicatriser en transformant sa douleur en combat et en activant ainsi d’autres circuits et frayages dans son cerveau. Sans doute est-ce une forme de travail libre et passionné qui permet le plus de se régénérer car la résilience en tant que rebond dans l’existence est avant tout neuronale ou, pourrait-on dire, gliale. Il s’agit d’augmenter la capacité des neurones à absorber le neurotransmetteur — comme par exemple la sérotonine — ou encore de diminuer le taux de cortisol CyrMM_162 qui freine les défenses immunitaires, pour ne citer que deux exemples d’hormones sur lesquelles intervient directement l’activité neuronale.
Illustration 2. — Reste que les proches des traumatisés dont ils partagent les émotions et dont ils éprouvent les souffrances, sont souvent plus altérés que les blessés eux-mêmes. … De même les enfants de survivants de l'holocauste souffrent trois fois plus du syndrome post-traumatique que leurs parents qui l'ont subi. … Le parent traumatisé s'adapte à la meurtrissure par des mécanismes de défense coûteux mais efficaces : le clivage de la personnalité, le déni de mémoire, la compensation par la rêverie, le militantisme et l'altruisme sont les plus classiques ... Mais [le proche] ne peut comprendre la raison des colères, des silences, de l'amour désespéré et du surmenage permanent de celui qu'il côtoie. Cyrulnik CyrMM_162-164.
Avec la résilience, il ne s’agit pas d’une prise de conscience ou d’une prise de responsabilité car toutes deux dénotent une culpabilité propre au système du saint commandement qu’est la hiérarchie. Il ne s’agit donc plus de se réfugier dans toutes sortes d’institutions ou à défaut de substances, les deux sont des narcotiques qui visent à nous faire entrer dans la torpeur ou l’atermoiement de l’inaction. Les institutions n’ont été là que pour créer l’homme bon 518d.
Illustration 3. — Il n'est pas rare qu'une institution qui recueille un enfant exprime son dégoût quand on apprend qu'il est né d'un viol... Il arrive aussi qu'un adulte aime le dégoût qu'il éprouve pour l'enfant de l'Assistance dont il s'occupe gentiment. Dans cette mise en scène où il aide un pauvre enfant, l'adulte se signifie à lui-même qu'il est généreux et supérieur puisqu'il joue le rôle de celui qui est bon avec les malheureux. L'enfant apprend ainsi à être aimé pour son malheur. Et malheur s'il en guérit, l'adulte perdrait sa raison de l'aimer. Cyrulnik CyrMM_54. Voilà ce que cache la pitié.
Nos sociétés, à travers toutes les époques, n’ont fait que subir la morale de l’« homme bon » qui n’a fait que répandre une vision du malheur en elles. La morale est comme une route de caravane qui crée des déserts, voire une autoroute. Comme toute morale, il faut noter ce qu’elle empêche de faire, la morale de l’« homme bon » ne favorise en rien l’homme terrible — l’homme de l’originalité, de la terribilità* à la Renaissance 327. Il n’y a pas de malheur en soi pourtant le jugement moral ne fait que déliter la solidarité active en méprisant l’action et en s’écartant de tout ce qui manifeste de la force et donc sort de la convenance. Le non-conformisme qui participe d’une décence commune s’oppose au regroupement des contemplatifs en une vie faible et imprudente, pour ne pas dire débile et sotte.