401. Hyperboles et métaboles : les compréhensions.
Cet ouvrage est le parcours successif de trois textes aux registres différents (Manifeste, Traité parodié, Programme) qui portent chacun un régime de pensée ou métabolisme nuancé pour éviter les hyperboles — les hyperboles sont toutes ces quêtes métaphysiques d’un idéal :
- En premier vous avez un manifeste Livrée A, pour que les signes du bouleversement de notre époque soient aperçus et l’explication de leur effraction soit évidente. Cette livrée sert d’introduction de connivence : « nous nous sommes compris ». Cette connivence étant la curiosité pour l’autonomie, qui n’est plus l’autonomie des individus mais de la société comme démocratie, car la société comme le peuple n’est ni personne morale ni personne physique ; peuple étant alors ce qui subi l’appel.
- En deuxième, vous avez un traité de l’entendement infini Livrée B, où l’on comprend que c’est la Terre qui, seule, est sans appui, en ce qu’elle n’est pas idée, donc qu’il n’y a pas d’échafaudage. Par la présence satirique de Pseudo-Denys vous comprendrez que c’est un simili-traité : dès lors l’entendement n’est plus divin (Esprit), il est terrestre. C’est comprendre que l’idéal d’une vie sans appui, sans la solidarité des « terribles » est inutile puisque la seule chose qui soit sans appui c’est, pour nous terriens, la Terre. Elle est donc sans appui divin leitmotiv RovAM : « la Terre flotte dans l’espace » et sans lieu pour les âmes débat indiqué en note KtRT.
- En troisième, vous avez un programme d’existence Livrée C, qui remet la puissance au sein de la connaissance. C’est poser la figure de la grande synthèse 921 en une nature généreuse qui donne de la valeur de plusieurs types ou personnes. Ainsi vivre n’est plus défaillir mais se transformer pour être apte à un plus grand nombre d’activités. On oublie l’homme faillible pour aller directement à l’homme capable, pour court-circuiter la trajectoire de Paul Ricœur. L’un des ressorts de ce parcours est la reconquête du paradigme métier et son dépassement par l’art 923, où se joue le vertige qui consiste à embrayer, à comprendre avec Nietzsche et les stoïciens qu’obéir c’est commander. L’autonomie perd là toute dimension individuelle et idéaliste pour celle de l’autolimitation et de la hiérarchie infinie. Nous sommes reconnaissants les uns les autres d’être libres où ceux qui commandent ne sont pas ceux qui dirigent, qui donnent la direction de l’avenir. C’est la différence déjà posée entre le stade de l’homme supérieur et celui du créateur.
Enfin, nous laisserons de côté la compréhension pré-phrastique, non verbale et non littérale comme pour le comique. Elle est propre à l'hémisphère droit de notre cerveau, là où l'occident, par sa grammaire de « l'être », a développé notre hémisphère gauche. Elle joue un grand rôle comme connaissance par fréquentation sous le nom d'intuition ou de sympathie et qui a son importance lors de toute rencontre. Par ce qui apparaîtra comme une dispersion ou une pensée de la divergence par rapport à l'ordre rationnel suffisant et non complexe, il s'agira de faire converger ces deux hémisphères, prouesse qu'on attribuait autrefois au « génie », mais qui n'est qu'en tant que sens de la Terre que la pensée du Dehors 900 par le Surhomme 822, l'homme appareillé de sa nouvelle mémoire.
Voilà pour la petite synthèse. Il y a donc une philosophie dont le présent dispositif d’inscription est l’iceberg émergé. Bien qu’il ait été écrit sous l’ère d’acculturation Badiou-Sarkozy, elle porte tout du long les mêmes intuitions ou refus, qui l’on conduit à certaines voies. Elle s’est située au départ dans la reprise de l’axiomatique minoritaire indiquée par Deleuze, puis très vite Deleuze lui-même en a indiqué les limites. Elle reçoit l’appel de Nietzsche, via l’indifférence aux idées et à leurs succédanés que sont les symboles. Il faut s’embarquer sur les métaboles que sont la fortuna et la virtù ou l’envie et l’entrain (la gana y el gusto) ou encore la jubilation et l’insatisfaction. La terribilità 327 Vasari ne mène plus l’honnêteté docile et chrétienne mais au vertige où ceux qui savent-faire et qui savent obéir dirigent. On passe des symboles, que sont aussi les figures et les concepts d’un système, aux métaboles. Ce sont tous les modes antérieurs de compréhension, qui sont revisités et balayés d’un coup : la compréhension phrastique infinie ; la compréhension par appareil et par échafaudage, qui vise l’existence autonome et sans appui de la philosophie ; la compréhension divinatoire des signes de l’avenir. « Divin », « Système » et « Aurore » mènent tous à une pensée du Dehors comme assomption de l’usage convergent de nos deux hémisphères cérébraux. Il s’agit de constituer une double synthèse, l’une petite prise dans ce livre, comme somme décadente de connaissances, l’autre grande prise dans les risques et les accomplissements de l’existence. Ce va-et-vient est déjà anticipé par Deleuze comme étant le « cours-circuit de l’image-cristal », à ceci près que les connaissances mises en œuvre ici n’ont rien de virtuelles et que leurs accomplissements n’ont rien d’actuel (ergon ≠ energeia). Ces connaissances ou informations hypertextuelles reposent sur des indications ou des signes n’ont rien d’inaperçus. S’il y avait un appareil « affectif » avec cet ouvrage, il tiendrait à ce qu’en font les lecteurs et qui affectera en retour la suite de manière contemporaine. À la science, à l’État et à la poésie, se substituent la connaissance, le métier civil et la fantaisie, réunis en un homme. Ces types sont rassemblés en une « nature » humaine. Elle serait Vinci se substituant à Goethe, la Renaissance et sa synthèse reprenant le pas sur le classicisme et sa lente analyse des découvertes. Les trois dimensions sacrées ou hyperboliques du Divin, du Système et de l’Aurore sont là profanées. Mises en notions communes, les métaboles se substituent aux hyperboles classiques car elles ne sont ni des symboles mystiques (figures) ni un jargon ésotérique (concepts). Par la délibération en « forums » et le tirage au sort, ce feu démocratique constitue une quatrième hyperbole : la discussion fini-illimitée qui chasse le divin Détienne 1966, Vernant.
« Toi, qu’as-tu d’intéressant à m’apprendre ? Nous, qu’avons d’important à faire ? » Interpelle quelqu’un sur l’agora et dans la boulée.