Des artistes du monde entier viennent prêter main forte au Lyonnais dans son « musée post 11 Septembre », son « palais du Facteur Cheval du XXIème siècle » pour l’agrandir et faire de cette
demeure bourgeoise et tranquille de l’Ouest Lyonnais une sorte de vision de l’enfer sur terre. Une vision qui attire chaque week-end des curieux qui aiment, sont choqués, apprécient, hallucinent,
détestent, mais qui sont à coup sûr surpris et en ont le souffle coupé. Mais, depuis quelques temps, ce lieu est menacé. En effet, le maire de la commune, soutenu par certains voisins, attaque
Thierry Hermann pour le forcer à détruire cette demeure, qui pour lui est une nuisance visuelle, et à payer une monstrueuse amende. Pour des raisons de permis de construire, d’urbanisme, et
d’autres peut être plus obscures, le pouvoir politique veut faire plier le riche « cinglé » et raser son domaine. Aucune discussion possible, c’est comme ça. Alors, depuis plusieurs mois se joue
une bataille juridique et médiatique qui commence à prendre des proportions nationales. Un peu une guéguerre entre les « artistes » et les politiques « raisonnables ». Alors moi, devant mon PC,
petit locataire d’un appartement dans la pré-campagne Lyonnaise, je ne sais pas trop quoi penser de cette affaire…

Certes, ce Thierry Hermann impose sa vision apocalyptique à un petit village dont la quiétude n’est qu’un lointain souvenir désormais. C’est vrai que sa notion de l’art est discutable, très «
déstructurante », voire destructrice et qu’il est triste de voir une magnifique et vieille demeure se métamorphoser à coups de tronçonneuse, masse et autre lance thermique. Il faut bien entendu
comprendre les voisins, incommodés par le bruit des camions livrant sans cesse béton et métal, dérangés par l’affluence des badauds chaque week-end et qui ont une vue imprenable sur un décor
digne de Terminator 3 chaque matin en ouvrant leurs volets ! Certes, dans cette surenchère médiatique, Hermann en fait des tonnes et ne lésine pas sur la provoc’… Mais d’un autre côté, n’est-ce
pas une forme nouvelle d’art ? N’est-ce pas plus original que de se presser à l’intérieur d’un bâtiment austère et froid, dirigé par des intellectuels de l’art qui en filtre autant l’entrée que
la compréhension des visiteurs ? Le pouvoir politico-judiciaire ne peut-il pas trouver d’autres solutions que d’interdire, menacer, promulguer lois et décrets pour restreindre chaque jour un peu
plus les libertés de chacun ? Finalement, Thierry Hermann, mille fois (au moins) plus riche que vous et moi, se heurte finalement au même problème que nous aurions si nous voulions construire un
petit garage ou rehausser le toit d’une maison : Sous des prétextes d’urbanisme et de « cohérence de paysage », on ne peut pas aménager la maison et le terrain dont on est propriétaire comme on
le veut. Un soi disant vice de forme et hop, il faut détruire le petit muret que l’on a aménagé en bordure de son terrain. Un formulaire 542B jaune oublié, et vlan, le grenier aménagé ne répond
pas aux normes de sécurité mis en place 3 semaines plus tôt dans un arrière bureau de la Préfecture… C’est vrai que parfois, on en viendrait à être heureux de ne rien posséder, un comble non ?
Bref, ce combat du milliardaire un peu fou contre la municipalité d’un village bourgeois n’est pas une affaire bien méchante mais mérite d’y réfléchir. A chacun ensuite de se faire son opinion.
Oui ou non, c’est de l’art, aussi étrange et dérangeant soit-il. Oui ou non, ça n’a pas lieu d’être dans un patelin tranquille qui n’a rien demandé… En tout cas, que l’on soit pour ou contre, ça
ne laisse pas indifférent… Bonne semaine.
Suspension de
Kat et Xeddis dans le bunker e la Demeure du chaos
Le provocateur du Net Marx, Lénine, Mao. On ne s’attend pas à les croiser dans l’antichambre de la nouvelle économie. Pourtant, leurs portraits sont là, dans le hall d’Artprice.com, une start-up
française cotée en Bourse depuis un an. Etrange comité d’accueil dans la révolution de l’Internet ! Mais aux yeux de Thierry Ehrmann, le patron de Groupe Serveur, propriétaire à 60 %
d’Artprice.com, ces trois-là font référence. Bien plus que Bill Gates ou Steve Jobs. S’il fallait un Américain, ce serait Malcolm X, immortalisé sous verre lui aussi. Sur les murs de cette
entreprise installée à Saint-Romain-au-Mont-d’Or, dans la banlieue lyonnaise, le message est clair : il ne faut pas se tromper de révolution. Celle de l’Internet n’est ni économique ni
technologique, mais « philosophique », affirme Thierry Ehrmann. Inconnu du grand public, ce Lyonnais de trente-huit ans est devenu un acteur indiscutable de la nouvelle économie, tout en
affichant un discours provocateur à hérisser le poil de plus d’un incubateur en baskets. « L’Internet est le fils naturel de Proudhon et de Bakounine, aime-t-il répéter. Il est anarchiste au sens
sociologique puisqu’il fait émerger un cybercitoyen capable de répondre à l’arrogance des multinationales. Et il est marxiste du point de vue économique, c’est pourquoi beaucoup de grands groupes
ne le comprennent pas. » A-t-il servi ce discours à Bernard Arnault quand il l’a sollicité pour prendre 17 % d’Artprice.com, juste avant de l’introduire au Nouveau Marché, en janvier 2000 ? Quoi
qu’il en soit, le patron de LVMH ne s’est pas enfui en courant. « Il a craché 50 millions de francs pour un simple strapontin au tour de table », commente un analyste admiratif du talent de
persuasion de Thierry Ehrmann. Celui-ci ne manque pas d’arguments ni d’aplomb. Il s’est enrichi grâce à la nouvelle économie, mais on est prié de ne pas le confondre avec un simple créateur de
start-up : « cela me met hors de moi, dit-il. La nouvelle économie a vingt ans. » Sous-entendu : « Et je fais partie des pionniers ». Bluff ou vraie réussite ? En tout cas, le Groupe Serveur,
qu’il a fondé en 1987, commence à peser lourd : treize filiales, dont deux cotées, et une dizaine de participations minoritaires. Il emploie près de 350 personnes de par le monde (plus de 400 fin
2001) pour un chiffre d’affaires affiché de 480 millions de francs. Thierry Ehrmann est propriétaire à 95 % de ce groupe, qui a prospéré en toute discrétion, mais surtout en pleine indépendance.
Aucune banque ne figure au tour de table de Groupe Serveur, qui s’enorgueillit de 598 millions de francs de fonds propres. La crise des valeurs Internet ne l’inquiète pas. Certes, reconnaît Louis
Thannberger, le patron de la société EFI, qui a introduit Artprice.com en Bourse, « il a été happé comme les autres par le krach, mais il sera un des rares à remonter la pente et, dans trois ans,
il sera au zénith. C’est un futur grand ». En décembre dernier, en pleine déprime boursière, EFI a aussi introduit sans coup férir au Nouveau Marché une autre filiale de Groupe Serveur,
spécialisée dans la traçabilité. Et Thierry Ehrmann prépare, d’ici à fin 2001, l’introduction de son groupe tout entier, dont le périmètre pourrait être porté à plus de 1 milliard de francs par
échanges d’actions. Il n’est pas surpris de voir, « après les effets de lumière de ces dix-huit derniers mois », les espoirs d’argent facile s’évanouir comme autant de mirages : « Internet, c’est
une culture, assène-t-il. On peut être l’homme le plus riche du monde, on apprend pas le russe en quinze jours. » Lui, il parle l’Internet comme une langue maternelle. Ayant eu très tôt
l’intuition de l’importance des contenus, quel que soit le tuyau, il développe depuis plus de quinze ans des banques de données thématiques à partir d’informations publiques qu’il collecte,
enrichit, et met en ligne à la disposition du grand public. D’abord sur Minitel, puis sur la Toile : « Quand j’ai découvert l’Internet aux Etats-Unis à la fin des années 1980, j’ai décidé de
retarder mon suicide de vingt ans », sourit-il. En 1985, il avait lancé la première Bourse électronique de fret, où transporteurs et clients pouvaient entrer en contact directement. La fureur des
intermédiaires, débarqués en commando dans ses locaux, ne l’a pas refroidi, mais au contraire conforté dans l’idée que « la richesse est dans le partage de l’information ». La nouvelle
technologie lui a permis d’améliorer et d’étendre son offre : après avoir bousculé – il dit « déréglementé » - les marchés des annonces légales, des textes juridiques, des conventions
collectives, des faillites, etc., il s’est attaqué, avec Artprice.com, « au plus opaque de tous les marchés, celui de l’art ». Depuis huit ans, Thierry Ehrmann a acquis les principaux livres de
cotes internationaux et autres fonds éditoriaux pour alimenter une banque de données qui donne aujourd’hui la cotation en continu de 183 000 artistes, et prochainement 1 million de biographies.
Qu’en pensent les marchands d’art ? Thierry Ehrmann jubile : « C’est ça Internet, un combat contre les conservateurs, qui ont toujours bâti leur richesse sur la rétention de l’information. »
Autre certitude de toujours : le contenu ainsi proposé a un prix. « La gratuité de l’information est une hérésie. D’un point de vue freudien, le lecteur doit s’acquitter d’une somme pour accéder
à l’info. » Celle qu’il produit n’est qu’une matière première –« Nous sommes tout sauf des journalistes » -, mais elle se vend bien à une clientèle vite captive et accro : « Les banques de
données sont des machines à sous extraordinaires. » Lui-même est un consommateur d’infos boulimique. Il consacre trois heures quotidiennes à la lecture de la presse, selon un cérémonial précis :
« Cela se fait dans un lieu public, sous le regard des autres, loin du bureau et du téléphone. » Alors, chaque matin, il gare sa Jaguar devant un bistrot, étale une trentaine de titres sur la
table, épluche, annote, découpe des dizaines d’articles qui seront ensuite indexés. « L’info, c’est de la came, c’est un shoot. La revue de presse, c’est le bonheur du matin. Pour elle, j’ai
renoncé à des rendez-vous avec des ministres. » Si son goût pour la rhétorique agace parfois ses interlocuteurs, tous reconnaissent son efficacité d’homme d’affaires. « Visionnaire mais pas
rêveur » pour ses amis, il est longtemps passé pour « un fou dangereux » aux yeux de ses concurrents. Il est vrai qu’il parle de la Netéconomie comme s’il était à la tête d’une troupe de rebelles
: ses partenaires et ses réseaux sont des « companeros », sa stratégie est la « guérilla ». Il faut « combattre et évangéliser car, croit-il, 2001 sera une année décisive pour la révolution de
l’Internet. Ceux qui s’entêteraient à n’y flairer qu’un coup technologique ou boursier sont condamnés : « Ils ne comprennent pas que la question n’est pas économique mais idéologique. Internet a
créé une nouvelle caste, celle des seigneurs ou des barbares du Net, martèle-t-il. Le barbare, c’est celui qui transperce le limes de l’empire romain en apportant une autre culture. Etre barbare
aujourd’hui, c’est s’affranchir des données économiques du XXè siècle. Les Européens sont persuadés que les barbares vont s’agenouiller à cause des marchés financiers ; ils ne se rendent pas
compte qu’une révolution a commencé, marxiste au sens de la lutte des classes. Tous les jours sont produites des lignes programmes qui contribuent à ébranler les vieux systèmes. Notre caste est
jusqu'au-boutistes. »Malgré tout, il commence à être invité dans les clubs et les cercles d'affaires, où il promène son look singulier : polo et jean noirs, banane à la ceinture, Rolex en or au
poignet et, sur la nuque, une fine natte confucéenne. " Sa réussite commence à être reconnue, car elle s'inscrit dans la durée ", explique Paul Billon, un patron lyonnais qui est son associé
depuis quatre ans. Cette popularité naissante fait sourire Thierry Ehrmann : " c'est le syndrome Arafat. Quand l'ancien terroriste accède au pouvoir, il faut bien parler avec lui. "
L'establishment lyonnais s'est longtemps méfié de cette personnalité sulfureuse, dont l'itinéraire échappe à toute logique. D'autant plus qu'il entretient à plaisir un halo de mystère : l'homme
ne fréquente pas la jet-set - « je suis timide » - et sort peu du domaine des Sources, un ancien relais de poste du XVIIIè siècle (3 hectares, 7 000 mètres carrés habitables) où sont installés le
siège de son entreprise et son domicile. Il travaille souvent tard la nuit dans son bureau aux murs anthracite, aux poutres sombres, encombré de meubles haute époque qu'il collectionne depuis
quinze ans. Il combat mollement les nombreuses rumeurs qui courent sur son compte, notamment d'avoir des accointances avec les services secrets. Mais il confirme sans détours ce que d'autres
tairaient volontiers, comme son appartenance à la franc-maçonnerie ou son mode de vie " en marge, tribal " : " je vis avec plusieurs femmes sous le même toit, mes deux fils ont plusieurs mamans,
explique-t-il tranquillement. Je l'assume, ayant toujours été un défenseur de l'épicurisme dans l'échangisme. " Lyon se souvient des années 1980, quand la tribu Ehrmann avait élu domicile dans
une immense propriété de Charbonnières, éloquemment baptisée " l'Abbaye de Thélème ". On y donnait sans discrétion des fêtes plutôt libérées. Dans le parc, le jeune homme élevait des kangourous,
qu'il promenait dans sa Rolls. Il avait déjà ses aises, grâce à la revente de deux entreprises créées par lui : une société d'images de synthèse et une messagerie téléphonique, La Voix du parano.
Puis grâce à son association avec le groupe Jet lag, une prospère messagerie rose, dont il détiendra 10 % jusqu'en 1996. Il prenait plaisir à " choquer les bien-pensants ", cette bourgeoisie
lyonnaise du boulevard des Belges où il est né en 1962. Fils unique, il reste marqué par une éducation rigide et des rapports difficiles avec son père. Ce dernier, polytechnicien et docteur en
droit, avait servi l'Etat avant de devenir un industriel de la chimie, propriétaire d'une usine en Allemagne. " C'était un humaniste chrétien très lié à l'Opus Dei ", précise son fils. Il se
souvient que, lorsque certains hommes d'affaires venaient à la maison, la conversation se faisait en latin. Le petit Thierry avait un précepteur dominicain, et interdiction de fréquenter d'autres
enfants. Lorsqu'il fallut sortir de cette enfance recluse pour le collège et le lycée, il écumera dix-sept établissements scolaires, tant privés que publics, avant de faire son baluchon pour
dix-huit mois de petits boulots à travers le monde. « Je crois que je dégageais une aura qui perturbait toute l'école », avance-t-il.Solitaire et taciturne, l’adolescent se croyait fou. «J’ai été
sauvé par un psychiatre juif, qui est devenu mon ami. Il m’a appris la dérision sur moi-même et ma famille. » Après un bac philo passé en candidat libre. Thierry Ehrmann entreprend des études de
droit. Elles feront de lui un féroce procédurier, qui entretient une escouade d’avocats –« je combats les groupes conservateurs à travers le droit, qui est la pierre angulaire du contrat social.
» Parallèlement, il poursuit des études de théologie. A la mort de son père, il n’a que dix-huit ans, doit reprendre l’entreprise familiale, mais la vend très vite –et, dit-il, très bien – après
avoir fait monter la valeur par une campagne d’intox auprès des concurrents : « c’est là que j’ai compris l’importance de l’information. » Appliquerait-il toujours les mêmes méthodes ? Il prétend
avoir laissé le produit de la succession à sa mère, refusant d’être un héritier. Aujourd’hui, il avoue une fortune personnelle « entre 700 et 900 millions de francs ». Il n’a pas d’avion privé,
mais un îlot rocheux à Bora-Bora. C’est cette adresse qui figure sur ses chèques, « parce qu’elle est belle ». Il ne place pas son argent dans la pierre mais investit « sans limite dans l’art
contemporain ». Les locaux de son siège social attestent de goûts éclectiques : ici une statue animalière en verre, là un tableau géant de du peintre Yang Pei Ming. Mais l’essentiel de sa
collection est constitué de photos, qu’il compte montrer au public à travers « L’Organe », un musée privé dont il a le projet pour 2002. Cette structure, d’un coût de 90 millions de francs,
s’installera dans le 9è arrondissement de Lyon, où il a aussi prévu de rassembler toutes les implantations du Groupe Serveur. C’est le fief de Gérard Collomb, le nouveau maire de Lyon, à qui il a
apporté son soutien entre les deux tours, bien qu’il refuse tout engagement politique. Son besoin de reconnaissance est ailleurs. « il a une revanche à prendre vis-à-vis de son père » estime
Louis Thannberger. A la tête de son mini-empire, Thierry Ehrmann dit-il autre chose quand il évoque les « success stories » qui le fascinent ? « C’est souvent la projection d’un homme avec ses
névroses, voire ses psychoses. Ce qu’il crée n’est que l’expression de ses souffrances. »