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AUTONOMIE ET HIERARCHIE 6 / Celui qui triche et celui qui trahit le système

29 Août 2006, 09:00am

Publié par Anthony

Histoire de mieux comprendre que l'autonomie et la hierarchie touche tos les domaine : voici une petit e distinction que l'on peut faire entre traître et tricheur mais que Jacques Julliard reprend peut-être à Deluze et Guattari. Allez savoir. Mais au biout du compte le traîte est celui qui résilie qson contrat avec la société établie (hiérarchie morale ou hétéronomie) et le tricheur celu qui accepte le contrat social (un peu comme dans les film La Firme ou L'Avocat du diable) avec toute les conséquences que celà impose notamment tricher avec ses désirs les plus profonds, avec ce que réclame la vie. Dans toute hiérarchie on est conduit à tricher. Paris8philo

 

LES TROIS FIGURES DE JUDAS

 


 

p a r J a c q u e s J u l l i a r d

 

 

 

Le traître est moins l'homme de deux mensonges que celui de deux vérités qu'il n'arrive pas à réconcilier entre elles

Qui est Judas ? Judas est d'abord un traître, tout le monde sait ça. Mais tout le monde ne sait pas exactement ce qu'est un traître. Un traître n'est pas un imposteur, c'est-à-dire un homme qui se fait passer pour ce qu'il n'est pas. Tartuffe est un imposteur, ce n'est pas un traitre, bien qu'Orgon, une fois déniaisé, le qualifie ainsi à la fin de la pièce. Tartuffe n'est pas Iago.

 

 

 

 

Un traître est un homme qui livre (du latin tradere, qui signifie « livrer ») sa patrie, son maître, sa cause à leurs ennemis. C'est un révolté qui ne trouve pas d'autres moyens d'exprimer sa révolte que de chan­ger de camp. Et encore. II lui arrive de faire cela pour de l’argent, sans pour autant renoncer à ses convictions antérieures. Quand je travaillais à la Préfecture de Police - pardon, dans les archives de la Préfecture de Police - en ai-je rencontré, au hasard des dossiers, de pauvres diables de syndicalistes qui, au moment de livrer sous pseudonyme les secrets de leur mouve­ment, se croyaient obligés d'ajouter en marge de leur dénonciation : « Et puis croyez-moi, Monsieur le Préfet, les prolos n'ont pas tort de se révolter, quitte à bousculer un peu le bourgeois. Quand on voit le salaire que leur donne le bourgeois... u En un mot comme en cent, le traître n'est pas néces­sairement l'homme de deux mensonges. II est souvent l’homme de deux vérités qu'il n'arrive pas à réconcilier entre elles.

 

 

 

Pour ma part, je ne crois pas que Judas ait trahi pour 30 deniers. Une somme dérisoire pour le trésorier d'un groupe de 13 personnes, sans compter l’entourage. II a trahi parce qu'il était déchiré. Par quoi ? Par le gâchis qui se commettait journelle­ment autour de Jésus, un homme financiè­rement irresponsable.

 

 

 

Judas n'est donc pas seulement un traî­tre, c'est un économe, voire un économiste et un apparatchik. C'est le trésorier de la bande. Il se scandalise quand il voit Marie Madeleine, autre irresponsable, répandre tout un v•ase de parfum hors de prix sur les pieds de Jésus et, de plus, casser le vase, comme on le fait, en signe de respect, de la vaisselle où a mangé un homme éminent que l'on veut honorer. Au cours de la vie actuelle ! Judas réalise qu'il est tombé dans une bande d'adolescents sans repères et d'anarchistes sans cervelle. Ce jean par exemple, qui ne cessera de l'accabler dans son Evangile. Et ce Jésus lui-même, qui, s'il avait eu un enfant de Marie-Madeleine - selon les niaiseries du film que vous savez -, aurait dû être mis sous tutelle pour les allocs.

 

 

 

Mais je préfère céder la plume à Renan : « D'un cœur moins pur que les au­tres, Judas aura pris, sans s'en apercevoir, les sentiments étroits de sa charge. Par un travers fort ordinaire dans les fonctions actives, il sera venu à mettre les intérêts de la caisse au-dessus de l'œuvre même à laquelle elle était destinée. L'administrateur aura tue l'apôtre » (a Vie de Jésus »),

 

 

 

En définitive, ce traître, cet économiste conséquent est peut-être avant tout un in­tellectuel épris de rationalité. Impossible d'avoir avec Jésus une discussion raisonna­ble ; sans cesse il surprend par ses contre-pieds, il déplace le débat, il est là où on ne l’attend pas, ou bien encore il fait un mira­cle. Ce qui n'est pas de jeu. C'est une tricherie. A toute époque, les intellectuels ont été exaspérés par Jésus, à cause de ses continuels changements de plans, sa sensi­bilité si particulière, qui fait tantôt de lui un libertaire, tantôt un social-démocrate, voire un conservateur. Ici, ce n'est pas à Renan mais à Claudel qu'il faut laisser la parole. Voici les griefs qu'il prête à Judas : « Quand j'entends dire qu'il faut tendre la joue gauche, et payer aussi cher pour une heure de travail que pour dix, et haïr son père et sa mire, et laisser les morts ensevelir leurs morts, et maudire son figuier parce qu'il ne produit pas d'abricots au mois de mars, et ne pas lever un cil sur une jolie femme, et ce défi continuel au sens commun, à la nature et à l'équité, évidemment je fais la part de l'éloquence et de l’exagération, mais je n'aime pas Ça, je suis froissé » Mort de Judas »).

 

 

 

Jésus peut bien avoir avec lui le peuple et les habiles. II aura toujours contre lui les demi-habiles, au sens de Pascal, c'est-à-dire les esprits forts, ou qui se croient tels, ceux à qui on ne la fait pas, les petits maî­tres enfin. Autrement dit, les intellectuels. Entre Jésus et Judas, c'était surtout une question d'incompatibilité d'humeur.

 

in Nouvel Observateur du 26 juin 2006, p. 20

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