La Philosophie à Paris

323. Introduction à la physique quantique.

14 Février 2013, 22:28pm

Publié par Anthony Le Cazals

Il y a deux manières d’entrer dans la physique quantique. L’une au travers du « phénomène » de la lumière 435, l’autre au travers de la « structure de l’atome ». Ce sont respectivement les manières dont Einstein puis Bohr avancent dans la théorie quantique, l’une transcendantale, l’autre positiviste. En 1892 Lord Kelvin, dans son célèbre discours inaugural du xxe siècle à la société anglaise de physique, annonce fièrement que la physique est définitivement constituée avec ses concepts fondamentaux. … Il y a bien deux petits problèmes : celui du résultat négatif de l’expérience de Michelson et celui du corps noir. Ces deux petites exceptions et vont rester des problèmes insolubles pour les physiciens classiques dix ans plus tard et tournent autour du phénomène lumineux. Lumière qui pose un dernier problème apparemment sans conséquence .


1°) L’expérience de Michelson consiste à mettre en évidence le mouvement de la Terre par rapport à l’éther immobile en montrant qu’elle influe sur la vitesse de la lumière. Celle-ci ne devrait donc pas être la même suivant qu’elle se propage dans le sens de ce mouvement ou à contre-sens. Cette expérience prouve qu’il n’en est rien et que la lumière va toujours à une vitesse finie et constante. C’est la base de la théorie de la relativité.


2°) L’expérience dite du rayonnement du corps noir essaye de comprendre ce qui se passe lorsqu’on chauffe un morceau de métal et qu’il émet un rayonnement lumineux, par exemple pour le fer, il passe du rouge à 700°C, à l’orange, au jaune et enfin au blanc à 2000°C. Cette expérience vise donc à expliquer l’émission du rayonnement par un corps en fonction de la température. Les physiciens parlent simplement de corps noir, parce qu’ils placent cette matière qui rayonne dans un four dont les parois sont noires. À partir de cette expérience, en 1900, Max Planck apporte une solution au problème à condition de quantifier l’émission du rayonnement à travers des seuils de lumière : la lumière est délivrée par paquets d’énergie et non de façon continue. À ces seuils, il donne une valeur infiniment petite de l’ordre de 6.10-24 joules-secondes appelée constante de Planck qui calibre et découpe la lumière en « quanta ».

 

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Figure 1


3°) Dans une autre direction que celle de Planck, Einstein met en évidence que les fameux quanta de lumière ne sont que le résultat d’une composante granulaire de la lumière 435 : les photons. Dire que la lumière est composée de photons ne veut pas dire qu’elle ne soit pas une onde, un peu comme l’eau qui s’échappe par gouttes d’un robinet et dont on ne peut dire qu’elle soit composée de parties indivisibles : les gouttes. La lumière se comporte,  suivant les situations, comme une onde ou comme un ensemble de particules. En 1887 Hertz et Von Lenard découvrent le troisième problème de la physique : l’effet photoélectrique voir fig. 1. En mettant en place un système électrique constitué de deux plaques disposées l’une face à l’autre dans le « vide 432 » et reliées à un générateur, ils remarquent que ce système qui ne conduit pas d’électricité, laisse passer un courant électrique si on l’illumine d’une lumière bleue — c’est-à-dire à forte fréquence — alors même qu’une intensité colossale de lumière ne provoque aucune réaction. L’effet n’apparaît donc que pour des ondes lumineuses de fréquence élevée et on constate donc que l’émission d’électrons entre les deux plaques dépend de la fréquence de l’onde incidente. En transgressant la dualité onde-particule c’est-à-dire le principe de non-contradiction, Einstein résout les questions posées par l’effet photoélectrique. Il y parvient en reliant la fréquence ν et l’énergie E par la constante h de Planck : c’est la formule E=hν voir figure 2. Les physiciens posaient auparavant l’opposition du continu et du discontinu comme un absolu. Einstein n’hésite pas à faire des diagrammes d’énergie pour expliquer qu’il y a une barrière de potentiel voir fig. 3 en dessous de laquelle l’électron reste lié au métal et prisonnier d’une bande de valence et au-dessus de laquelle les électrons ne partent pas dans le vide. La valence est la faculté qu’un atome a d’entrer en liaison avec d’autres atomes et de créer ainsi des structures cristallines qui sont constituées d’un maillage d’atomes réguliers. C’est ce maillage qu’on nomme communément  « matière ». Mais ce maillage cristallin n’est que partie du réel, il n’y a donc pas « matière » 431.


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Figure 2.                                                 Figure 3.

 

Sans développer plus ce fil de découvertes, nous avons l’une des bases de la physique quantique qui aboutira à l’usage des semi-conducteurs comme le silicium ou l’arséniure de Gallium et à la théorie des bandes — c’est la distinction entre bande de valence, bande d’énergies interdites et bande de conductivité. Cette bande d’énergies interdites c’est le « gap » comme intervalle vide d’énergie qui permet l’échappée des électrons. En excitant un électron par un photon, on peut faire opérer à ce premier le fameux saut quantique qui en physique atomique correspond passage d’une couche d’électrons à une autre KumGR_156-158/273-274. L’existence des sauts quantiques a été confirmée par l’expérience de Franck-Herz en 1914 KumGR_510. Application plus complexe, en jouant sur les différentes barrières on peut produire ce qu’on appelle des puits quantiques voir fig. 4. Ce ne sont nullement des puits sans fond où l’on basculerait dans une autre réalité. Les puits quantiques viennent de ce que l’on met en sandwich des matériaux semi-conducteurs dont celui du milieu à une barrière de potentiel pour la bande de conductivité plus basse que les matériaux semi-conducteurs qui l’entourent. L’électron se retrouve prisonnier.

Qu’est-ce qu’un saut quantique ? — Au niveau d’un atome, les électrons sont répartis en couches concentriques abusivement nommées k, l, m, mais on distingue de suite les électrons de la (ou les) couche(s) centrale(s) des électrons de la couche externe : les électrons de cœur, d’une part, et, d’autre part, les électrons de valence qui permettent les associations entre atomes et notamment les associations en cristaux nommées autrefois « matière » inerte — ce qui est solide est cristallin. Les électrons de cœur ne participent donc pas aux réactions chimiques alors que la couche qui forme, elle, la bande de valence est en cours de remplissage d’électrons — ou vient de l’être. Lorsqu’un électron saute d’un niveau d’énergie supérieur à un niveau d’énergie inférieur, il émet un quantum de lumière, c’est ce qu’Einstein a appelé une « émission spontanée ». Elle ne se produit que lorsque l’atome est excité. Le deuxième type de saut quantique se produit lorsqu’un atome entre en état d’excitation quand un électron absorbe un quantum de lumière et saute d’un niveau d’énergie inférieur à un niveau supérieur. Bohr avait invoqué ces deux types de sauts quantiques pour expliquer l’origine des spectres d’émission et d’absorption atomiques, mais Einstein en révélait maintenant un troisième : « l’émission stimulée ». Elle se produit lorsqu’un quantum de lumière percute un électron de la couche de valence dans un atome déjà excité — poussé vers un niveau d’énergie inférieur et à émettre un quantum de lumière KumGR_184. L’amplification de la lumière par émission stimulée de rayonnement a donné le laser. Mais l’électron proche d’une impureté d’un cristal, s’il est stimulé par un laser peut passer à un niveau d’énergie supérieur c’est-à-dire du niveau d’énergie de la bande de valence au niveau d’énergie de la bande de conduction par delà la bande d’énergie interdite qu’est le gap. La lecture optique de nos disques durs et de nos disques compacts trouve là ses bases, puisque l’on vient vérifier le spin d’un électron qui a effectué le cas extrême du second type de saut quantique et ensuite prisonnier dans la transition inter-sous-bande d’un puits quantique. C’est directement la figure suivante :

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Figure 4. Utilisation de matériaux (a et b)
dont la bande d’énergie diffère pour constituer un puits quantique
qui est l’unité de base (bit) de l’information contenus dans nos ordinateurs.

 

L’autre approche de la physique quantique n’est pas indépendante de la constante de Planck, mais offre une autonomie supplémentaire par rapport à la pensée transcendantale d’Einstein. Remarquons qu’après 1925, Einstein cherche désespérément à unifier astrophysique relativiste et théorie quantique qui ne correspondent pas à la même conception de la réalité 324, l’une étant représentation de possibilités, l’autre expérimentation de potentialités ou capacités. Au début du xxe siècle, par exemple, on pensait que tout pourrait être expliqué en termes de propriétés de la matière continue, comme l’élasticité ou la conduction calorifique. La découverte de la structure atomique et le principe d’incertitude mirent un point final à tout cela HawHT_200. L’étude de la constitution atomique de la matière a révélé en notre siècle une limitation inattendue où sont applicables les idées de la physique classique BohPA_145. Les comportements quantiques avec leurs énergies et impulsions (ondes-particules) échappent aux états classiques de la matière, qui reposent eux sur le principe de permanence. Celui-ci a toujours comme présupposé implicite l’existence de la « substance » voir BohPA_435. La découverte par Rutherford du noyau atomique (1911) révéla aussitôt combien les concepts de la mécanique et de l’électromagnétisme étaient impropres à exprimer la stabilité inhérente à l’atome BohPA_198. Afin d’expliquer la stabilité atomique et donc la prétendue stabilité de la matière, il a fallu chercher en deçà de l’échelle atomique, ce qui a conduit à la découverte du puits quantique contenu dans les bits de nos ordinateurs. La théorie de l’information a reterritorialisé tout cela sur un système binaire, dont le bit est l’élément de base codé par 0 ou par 1, puisque l’on agit sur ce que l’on a longtemps assimilé au sens de « rotation » de l’électron, à savoir le spin HawHT_93-95. Notons qu’un électron ne possède pas de véritable axe de rotation. C’est pour cela qu’on ne parle pas de rotation mais davantage d’oscillation autour du noyau. Le spin est une dimension quantique qui n’a pas d’équivalent classique. Les atomes, comme les électrons, sont dans un champ dynamique et ne présentent pas d’états stationnaires mais des récurrences qui permettent de donner un « vecteur d’état » à toute particule. Toute réaction de l’atome conduisant à une variation de son énergie comporte une transition complète entre deux « états quantiques stationnaires » BohPA_199. Les particules dites quantiques obéissent à leurs propres  « lois » dirait-on de manière classique. Mais ces « lois » ne répondent pas aux critères de la représentation classique. C’est pourquoi les théoriciens scientifiques — néo-kantiens dans leur approche de la science — parlent de perte d’intelligibilité face aux phénomènes quantiques. Ils cherchent à se représenter ce dont la nature est d’échapper à toute représentation. Ce n’est pas en termes de vitesse et de positionnement qu’il faut interroger les particules quantiques, mais en tant qu’énergie et impulsions. Peut-être ne saisit-on pas ce qu’est une énergie ou une impulsion et c’est pourquoi on cherche tant à la mettre dans la case « ondes » ou dans la case « particules ». Mais on ne peut représenter le mouvement sans le dénaturer, c’est-à-dire qu’une autonomie (anomalie dynamique) ne peut se faire voir NzHH2b°320 d’une hétéronomie (loi statique) qu’en abandonnant sa nature autonome. L’apport de la physique quantique est d’avoir remis en cause le modèle atomique qu’elle avait d’abord initié avec les électrons gravitant en orbite circulaire autour du noyau. Répétons-le, ce qui rayonne selon les lois de Newton perd de l’énergie et donc la distance entre le noyau et l’électron se réduirait jusqu’à les faire fusionner. Il en serait alors fini de la stabilité atomique et donc de la structure cristalline de la « matière » 431. En résumé le spin est le sens d’oscillation de l’électron, c’est une dimension uniquement quantique et n’appartenant pas à la physique classique. Cette voie est celle empruntée par l’interprétation positiviste de la physique quantique dont témoignent Bohr, Feynman et Hawking par leurs approches.


Qu’est-ce qu’un transistor spintronique ? — Un transistor classique est un dispositif électronique fait de trois électrodes ou branchements appelés : source, drain et grille. Il agit comme un interrupteur : en l’absence de tension électrique sur la grille entre la source et le drain ; mais si l’on applique une tension négative sur la grille le courant ne passe plus. Il existe des nanotransistors ou transistors à un seul électron. Entre la source et le drain du transistor on ajoute une « île » en matériau semi-conducteur où seul un nombre déterminé d’électrons peut s’accumuler. Quand on applique une tension électrique entre le drain et la source, l’« île » se remplit d’électrons. Une fois atteint le nombre maximum d’électrons le courant ne passe plus : ce phénomène s’appelle le blocage de Coulomb. Si on applique une certaine tension électrique sur la grille, un électron supplémentaire pourra entrer dans l’« île »  Science Revue n°17, août-oct. 2004 _57-71. Il y a encore plus miniature et moins coûteux en énergie avec les transistors spintroniques qui fonctionnent sur l’orientation du spin de l’électron, la grille influençant cette fois l’orientation dans un sens ou dans l’autre du spin de l’électron « solitaire ». La maîtrise de la lumière 435 plus que de la « matière » 431 permet la miniaturisation des circuits parce que la lumière seule, avec ses bosons électromagnétiques que sont les photons, permet l’excitation d’un électron vers un état quantique.

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