La Philosophie à Paris

132. Pourquoi la science a-t-elle tant d’avance sur la philosophie ?

14 Février 2013, 20:25pm

Publié par Anthony Le Cazals

Est-ce parce que la science dépasse nos appréhensions quotidiennes et parce que la science s’est placée plus vite que la philosophie classique (raison suffisante) face à une perte d’intelligibilité de ce qu’elle observe que la science est avant tout un travail collectif de pensée et d’establishment ? On ne peut pas la réduire à un travail théorique sur la mesure ou sur la fonction. Elle ne peut non plus être ramenée à la posture d’un Kant critique transcendantal, d’un Husserl phénoménologue, d’un Heidegger étymologiste. Pour le Nietzsche des écrits de 1872-1873, le savant doit changer de posture. Certes, tous les scientifiques allemands de l’époque sont formés à la méthode critique par l’analyse transcendantale des forces newtoniennes faite par Kant. La physique quantique a été confrontée à une perte d’intelligibilité du monde classique de la matière 431, il lui a fallu donc abandonner les schèmes visuels (représentations, symétrie visuelle), le « comme si », les phénomènes qui supposent l’existence d’une chose en soi. Il s’agit alors pour la physique de changer de  « subjectivité » et de mettre en place une nouvelle appréhension des signes. Kant y vient lui-même peu à peu mais peut-être trop lentement : d’après la découverte si juste de Kant lui-même, la loi de causalité nous est connue, a priori elle est une fonction de notre intellect, ce qui revient à dire qu’elle a une origine subjective SchMV_546. Si l’on change de subjectivité, on peut aussi abandonner une certaine forme de causalité toute spatiale, discontinue et homogène. Il s’agit d’introduire de l’incertain, de la prise de risque de conjecturer en négligeant le vide 432, cette focalisation sur l’invisible, cette outre-vision. Inhumons avec les honneurs les concepts vides et creux qui ralentissent la pensée. Faisons de ce cimetière un champ de course, une fois passé le champ de bataille. Mais comment se fait-il que la science ait tant d’avance sur la philosophie, non pas dans ses mesures, mais dans ses constatations, comme si le sujet et la substance en avaient disparu. Ce n’est pas une boutade de se demander pourquoi ? C’est que la science a œuvré en bonne ouvrière en arpentant la Terre de sa méridienne 433 à l’équateur, reste à la philosophie à lui donner sa dimension, et les mesures pourront être reprises à zéro. La science s’encombre moins que la philosophie de sa tradition historique. Qui reprendrait à son compte la physique des corps graves et légers d’Aristote ? Il ne s’agit pas d’un anéantissement de la science, mais de sa maîtrise. Dans toutes ses fins et toutes ses méthodes elle dépend à vrai dire entièrement de vues philosophiques, mais elle l’oublie facilement NzLP_28.

 

La science n’a certainement plus rien à voir avec la pensée transcendantale : celle-ci pose comme réciprocité, la matière et la substance 431a. La science prétend étudier les potentialités de la matière, mais ce que l’on a appelé jusque là « matière » 431— ce qui n’a pas de virtualité et qui est agi — n’existe pas et demeure une vue de l’esprit. Si le « transcendantal » recouvre la garantie pour une expérience donnée de trouver son objet, cet argument ne nous fait-il pas manquer qu’il faut une certaine dose de désinvolture pour changer les conditions de l’expérience et précisément oublier les données ? Platon ne le suggérait-il pas déjà que d des biens qui nous échoient les plus grands sont ceux qui nous parviennent par un délire ? Cette désinvolture est tout autant une précieuse maladresse, une naïveté qui nous laisse attirer vers de l’imprévu. À trop être respectueux du transcendantal, on tourne en rond, le mouvement linéaire de pensée qu’est la critique ne nous amène pas loin ce qui chez Kant se traduit par des fixations NzBM_211, que les dogmatiques déclareront définitives et indépassables. La chose en soi devient un concept limitatif, Kant ne dira pas que ce concept est creux, car la chose en soi sert d’absolu vers lequel on « progresse » encore aujourd’hui chez bon nombre de savants. Autant dire que comme tout absolu elle n’existe pas, même si on peut la concevoir comme un vide, une chimère et y croire. C’est un peu tout cela que Nietzsche a essayé d’enrayer, le principe de circularité entre les conditions fondamentales et le donné qui ne permet pas de franchir un seuil, sauf par un saut, une rupture avec ce qui est apparemment donné mais qui contient de l’imperceptible et de l’imprévisible. Il a introduit des soubresauts dans l’unité de la pensée et de la vie et la rend un peu plus complexe. On s’éloigne de l’image préconçue de la pensée qui la confond avec un savoir, on s’éloigne des banalités de l’existence. Introduire autre chose que l’habitude et la répétition, qu’un exercice ascétique et discipliné : de l’inéluctable et de l’incertain, de la gana et du gusto comme envie et entrain.

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B
Well science and nature are not in the control man or machines. It is something that we have not yet fully been able to understand, from studies we did even find out the silly but true fact that only 6% of the human brain is just accessed yet. The only man to cross that is Sir Albert Einstein.
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