101. Préambule sur les signes de l’autonomie (1).
1°) Parlons tout d’abord de l’autonomie : c’est la manière que l’on a, en se fixant sa propre conduite de sans cesse retrouver sa propre richesse indépendamment des valeurs fixées par le marché notamment ; c'est vers cette richesse que Nietzsche tourna sa volonté plutôt que vers un quelconque pouvoir : cette richesse est la puissance de l'indéterminé 530, de ce qui ne se laisse pas compter. Suivant les périodes et les auteurs, on nomme aussi cette richesse, capacité d’énergie anomale Dz, nouvelle subjectivité Gua, anomalie sauvage NgAS, vitalité intérieure BdPPF, durée BgMM-EC, auto-institution de l’imaginaire Cst, contingence radicale Mp. Nous développerons cela en première partie. Mais plus clairement chez Nietzsche c’est la volonté tournée vers la puissance, plutôt qu'une volonté en soi qui en vient à se nier. 2°) Pour autant, on peut dire qu'il n’y a pas plus de liberté individuelle que de libre-arbitre. Il n’y a pas de liberté d'autant plus si l'on fonctionne dans un système d’idées, il n'y a pas de déterminisme pour autant, ce dont rendent compte les philosophes français contemporains avec la notion d'événement 643 qui vient, en une éternité vécue, modifier considérablement un parcours de vie. Même l'emploi du terme de contingence enverrait sur un écueil et une impasse métaphysique. On est sujet digne ou fidèle des systèmes métaphysiques, qu’ils soient clos ou ouverts. Fidèle ou digne signifie que d’une manière ou d’une autre on s’y soumet et qu’ils ont une existence idéelle. Pourtant, les systèmes ne sont qu’une délégation de la puissance et de la capacité. La véritable « liberté » ou l’audace, c’est l’autonomie, celle qui consiste à arriver en anomalie ou en dérangeur alors que précisément les tenants du système veulent dépeupler l’imaginaire sous la forme d’une pensée générique à prétention universelle qui comme le font remarquer les Chinois est avant tout occidentale — à la manière du verbe être qui peuple les langues occidentales et fait entrer les peuples qui l’emploient en une décadence ou névrose que compense le système « être » en tant que civilisation. Nous nous attarderons alors sur deux exemples récurrents pour notre travail, Badiou et Deleuze : ils sont les fruits de la tension d’une époque qui entrelaça politique, philosophie jusqu’à l’ontologie remise à la mode. Il s’agit pourtant de sortir de l’ontologie ou discours occidentale, pour mener plus loin une sortie hors institution, hors du conditionnement neurotypique et droitier. Sortir de l’institution qui reproduit ses répétitions comme à l’époque de Descartes-Spinoza-Leibniz sans pour autant tomber dans les systèmes qui garantiraient un gain. Prendre le contre-pied de ce qui est attendu comme une disparition de la philosophie toujours fragile dans ses attendus, toujours clandestine dans ses avancées et dont la menace de disparition est aussi récurrente que l’appréhension de la fin d’une passion. Provoquer les événements plutôt que de les subir. Et nous revoilà comme à la Renaissance : une invention technique liée à un système économique à risques. C’est l’édition liée à la banque et à l’imprimerie, avec la mise en place d’un nouveau réseau de communication qui assurera en surplus la diffusion des Lettres. C’est, par exemple, la libération de la main gauche chez les artistes ambidextres qui souffraient d’une interdiction d’exercer. Tout cela a permis une stimulation plus créatrice du cerveau, etc. ... Ne point subir ne serait-ce même avec dignité et fidélité, c’est aller plus vite que les systèmes, les activer plus que les déranger. Plutôt que de céder aux sirènes du crépuscule, posons qu’il y a chez les francophones une langue travaillée par tout un nombre de penseurs Pascal, Montaigne, Mallarmé, Valéry, Artaud, etc. … Chaque langue a la particularité de structurer le cerveau pour chaque peuple. C’est le travail à même la langue — pour en expulser ce qu’il y a de ralentissement et parfois de vengeance contre qui déborde la langue formelle — qu’il faut entreprendre. L’esprit fut l’une de ces formes de vengeance, tellement vague qu’elle s’insinuait partout avec sa petite sœur la conscience. C’est bien ce genre d’inoculation insinueuse* qu’il faut savoir combattre et c’est tout l’intérêt des théories premières d’en appeler à des ripostes secondes intransigeantes, d’obliger à avancer plus loin ses pensées. 3°) Cela nous amènera à la troisième partie : sortir de la philosophie comme système par la pensée. Faire émerger le sens plutôt que la vérité et par là tenter d’échapper à la décadence et au nihilisme. Cette alternative entre sens et vérité est bien celle de la pensée juive entre d’une part Manitou, Rachi, Abécassis qui prônent la pureté de Dieu, le sens et son versant décadent avec Zagdanski qui prône la vie artiste, la vérité et l’impureté de Dieu. Si la machine philosophique devient boiteuse de subjectivité faut-il pour autant la sacrifier et même la sanctifier. Ce sont avant tout les institutions qui sont touchées n’étant plus dans la mouvance mais se repliant sur la subjectivité prédéterminée et indexée aux grands universaux — Guattari en faisait le constat dans ses années d’hiver qui sont pour partie liées aux années Sida. Subjectivité prédéterminée de repli et « nouvelle subjectivité » de mouvance, complexe en tant qu’elle est un double processus de subjectivation et de dépersonnalisation propre à une époque. Comment alors peut-on soutenir qu’il n’y a pas de liberté ? Peut-être parce qu’avoir une idée subjective n’est pas penser, de bout en bout avec endurance, ce qui n’a pas de rapport. Sommes-nous dès lors réduits à un déterminisme acharné ? Que nenni ! puisque nous montrerons dans une troisième livrée que le combat est à la naissance de chaque chose. Il en permet la naissance et protège l’existence : il libère la base de toute création. La liberté en tant qu’idée correspond malheureusement à une illusion — fixiste ou essentialiste — sur laquelle il est impossible d’embrayer sauf à la voir comme un rêve ou un absolu. Comme d’autres totems, le totem allemand de la volonté est nécessaire pour accomplir le saut dans l’indéterminé. Il s’agit d’investir une pensée qui soit enclin au complexe et tragique, une pensée que l’on nomme encore avec une certaine appréhension pensée du Dehors ou du Surpli, c’est-à-dire une pensée qui n’en reste pas à la finitude des hommes — c’est-à-dire le pli comme chez Leibniz ou Kant — ni à l’élévation à l’infini d’une substance — comme chez Spinoza et Deleuze. Elle joue au-delà de tout ça : la libération de la pensée dans ses diverses façons de s’exercer hors des systèmes et des philosophies.