La Philosophie à Paris

Nima Zamar ou Catherine Vitinger

28 Avril 2019, 08:27am

Publié par Les étudiants de Paris 8

La salle de krav maga se situe au deuxième sous-sol au bout du bout d’un dédale de plateaux techniques. Un cul-de-sac… « Bonjour, je suis Catherine. Vous avez fait bon voyage ? » D’origine niçoise, elle parle français avec un accent indéterminé. Ni italien, ni hébreu, ni arabe… Le ton est chaleureux mais un peu brusque, tranchant, direct. Elle nous tend une main énergique pour se présenter. Ouf, elle ne nous a pas broyé les phalanges. Vu la carrure de cette femme entraînée à tuer à mains nues, on n’est pas rassuré. Son regard semble sonder nos intentions. L’ambiance n’est pas à la spontanéité. A nous le coup d’envoi : « Vous parlez français avec une drôle de prononciation… »

 

Elle cherche à détendre l’atmosphère et plaisante : « Devant vous, je ne suis pas en présence ennemie, n’est-ce pas ? Je n’ai donc pas de raison de contrôler mon accent. » Que nous nous interrogions sur l’origine de cette drôle de diction l’amuse. « J’ai parlé tellement de langues étrangères, de dialectes, en faisant attention à ne jamais me trahir. Aujourd’hui, je me moque que les accents se mélangent. » Dans un coin, devant un ordinateur portable, sa fille de 11 ans ne réagit pas. Catherine s’aperçoit qu’on s’étonne du silence de l’enfant : «Elle ne comprend pas bien le français. J’ai opté pour l’anglais à la maison. Et je l’ai inscrite à l’Ecole américaine. »

Les espions sont réputés être de parfaits polyglottes. Restons donc sur la thématique linguistique. Combien Catherine maîtrise-t-elle de langues couramment ? Elle élude. Le jeu de rôle a commencé. Elle ne parle plus le français mais est-elle toujours française ? Elle feint de ne pas avoir saisi : « J’ai conservé la nationalité française. » Deux passeports, donc ? Eclat de rire. « Non, quatre ! » Israélien, français et ? La réponse fuse : « Joker ! » C’est une règle de sécurité en vigueur dans toutes les agences du monde : les passeports sous identité fictive sont toujours restitués en fin de mission. Posons la question naïvement.

S’est-elle servie de faux papiers d’identité ? « Evidemment non, ils sont tous à mon nom. Vous savez, on peut obtenir une nationalité légalement ou en hériter… » A-t-elle tourné la page ? Difficile de trancher. En tout cas, Catherine a conservé des réflexes de « sa vie d’avant ». Il y a un mot qu’elle ne prononcera jamais pendant nos entretiens : Mossad. Dans un premier livre autobiographique, « Je devais aussi tuer », publié sous pseudo en 2003, « Nima Zamar » raconte ses huit années embrigadée dans une « unité spéciale israélienne dédiée à la guerre de l’ombre ». Sans jamais la nommer.

Quand elle veut raccrocher, le Mossad tente de l’éliminer

Son histoire impressionne. A 22 ans, Catherine décide de faire son alya (son retour en Israël). Repérée pendant son service militaire, elle est recrutée par un département spécial. L’entraînement qu’elle reçoit est quasi inhumain. Elle est programmée pour ne plus penser en tant qu’individu mais en soldat-robot. On lui apprend à résister aux plus extrêmes souffrances, physiques comme psychologiques. L’objectif : être capable de tout endurer au bénéfice unique de la réussite de ses missions. Ses huit années d’infiltration en milieu terroriste vont être une descente aux enfers. Elle finit brisée, au bout du rouleau. Une décennie plus tard, Catherine est encore « en reconstruction ». Quelle entité secrète israélienne, à part le Mossad, pourrait infliger un tel lavage de cerveau et briser sans pitié ses éléments ?

On a tenté d’évoquer les mistaravim, ces commandos caméléons de Tsahal, ou encore l’unité Duvdevan, les forces spéciales de l’antiterrorisme, et, bien sûr, le Kidon, le service « action » du Mossad. En vain. Officiellement, Catherine est à la retraite. Bien sûr… Quel service de renseignement voudrait récupérer un élément qui remet en cause la « gestion inhumaine » de l’élite de ses agents ? Elle a néanmoins envoyé le manuscrit à ses supérieurs avant publication. « Je n’attendais pas leur feu vert, mais je souhaitais les avertir. Si j’avais pris en compte leurs corrections, mon histoire se serait résumée à un périple touristique ! »

Elle rit, puis se reprend. « Pourtant, je n’ai livré aucun élément qui pouvait mettre en danger nos opérations et nos réseaux. J’ai pris soin de ne préciser ni les routes empruntées, ni les lieux précis, ni les dates. Les seuls collègues ou relais que je cite sont morts, et il y en a beaucoup ! Ce manque de faits vérifiables a paradoxalement fait dire à certains que j’étais mythomane. Quand elle est trop violente, la réalité dérange. »

Effectivement, dans ce livre paru en 2003, le récit effroyable de ses opérations sous couverture, parfois à la limite du soutenable, provoque le malaise. Froidement, elle y raconte, dans les détails, comment elle a tué sans états d’âme. Des terroristes palestiniens, des combattants du Hezbollah, des membres des services syriens, et même un collègue envoyé pour l’éliminer quand elle a voulu « raccrocher ». Combien de morts ? « Je n’ai jamais compté, ou plutôt je n’ai jamais voulu compter. » Son visage s’adoucit.

« A l’époque où j’ai écrit ce livre, j’étais enceinte. Le père de ma fille venait d’être tué en mission. On faisait le même métier… C’était le mort de trop. » Intransigeante avec sa vérité, même quand celle-ci est effrayante. « J’ai mis dix ans à accepter d’avoir été une “psychotique utile” ; on m’a recrutée justement parce que je l’ignorais. » Elle cite son agent recruteur, devant les conclusions de ses tests psychologiques : « Tu as la maladie qu’il faut pour le job ! » Le masochisme ?

En 2001, à Damas, Catherine, infiltrée dans un groupe du Hezbollah, doit se faire sciemment arrêter par les services syriens. C’est le seul moyen de pénétrer dans des locaux militaires, approcher un ordinateur et y implanter un mouchard destiné à espionner le réseau informatique de la sécurité. « Certains ont prétendu que j’avais inventé cette histoire de mouchard, affirmant que les Syriens en étaient encore au “Moyen Age de l’informatique”… Je crois que les événements actuels montrent malheureusement que mes ­détracteurs sous-estimaient déjà le clan El-Assad. » Une fois l’opération accomplie, elle réussit à tromper ses geôliers et s’évade. Mais le plan de fuite ne se déroule pas comme prévu. Elle est rattrapée dans une ruelle. Pour la faire parler, les militaires syriens lui injectent des substances empoisonnées. Les souffrances décrites sont monstrueuses. Mais Catherine ne craque pas, elle réussit même, entre deux comas, à mobiliser ses dernières forces pour récupérer un dopant puissant caché dans la semelle d’une de ses chaussures ; les militaires ne les lui avaient pas enlevées. Une erreur qui lui sauve la vie.

De retour en Israël, elle décide que ce sera sa dernière mission. « Je ne savais pas si je survivrais aux effets inconnus des cocktails syriens. Pas d’antidote connu. J’étais un patient zéro pour les médecins militaires. » Autrement dit, un cobaye pour le renseignement scientifique israélien. « A 29 ans, j’avais rempli mon contrat et je ne voulais pour rien au monde prolonger, comme on me le demandait. Au cours d’une mission en Europe, j’ai décidé de ne pas rentrer en Israël. Avant d’embarquer dans un avion pour Paris, je suis tombée à l’aéroport sur un collègue qui n’avait rien à faire là. J’ai senti le loup. Mes chefs l’avaient envoyé pour m’éliminer. Avec une mini-seringue de poison, que j’ai retournée contre lui. C’était lui ou moi. Ce fut lui, sans scrupule. Le message a parfaitement été compris à Tel-Aviv. Mes chefs n’ont plus essayé de me retenir. »

Il n’est pourtant pas dans la tradition du Mossad d’éliminer un citoyen israélien hors de son territoire national. Encore moins un des siens. On les envoie croupir dans une cellule ­secrète, comme le « prisonnier X » dont le suicide a récemment fait scandale. Sans se départir de son calme, Catherine rectifie. « La prison est le sort réservé aux traîtres. Ce n’était pas mon cas. » Face à nos mines perplexes, elle concède : « Je me suis interrogée, comme vous, et j’ai compris. L’objectif n’était pas de se débarrasser de moi mais de savoir si j’étais capable de me protéger seule du pire. Si je pouvais me défendre au point de tuer un collègue qui avait trahi la règle tacite entre agents du même service : solidarité indéfectible. Je respectais toujours les valeurs de loyauté. J’étais donc capable de protéger leurs secrets. Ils pouvaient me laisser partir. Un test cynique mais efficace. » Tordu, comme raisonnement, mais qui sait comment le Mossad gère la démission de ses agents, sinon les agents eux-mêmes… On dit que l’on peut quitter le Mossad mais que le Mossad ne vous quitte jamais. Légende ou réalité ? « Trois jours après être rentrée de la maternité, un feu s’est déclenché, à 5 heures du matin, dans ma cage d’escalier. La fumée avait déjà envahi la chambre de mon bébé quand je me suis réveillée. C’est la première fois que je réalisais que, désormais, je ne pouvais compter que sur moi-même. J’avais fait un choix, je devais assumer. Seule. »

« J’ai le même vécu qu’une terroriste que j’ai suivie »

Mais libérer dans un livre tant de colère contre le système, les chefs, les terroristes, cela ressemble à une provocation. Surtout en choisissant comme pseudo d’auteure Nima Zamar, son nom de code opérationnel. « Je tenais à authentifier ma démarche auprès de mes collègues, se justifie Catherine. Le père de ma fille étant mort, je voulais dire à chacun, à mes supérieurs aussi, que, même si nous avons accepté le job, nous avons le droit d’exister en tant que personne, de penser, d’aimer, de vivre et, surtout, que nous avions le droit de dire stop avant qu’il ne soit trop tard. » Un silence s’installe. Pour la première fois, c’est la femme et non l’ex-espionne qui parle, et une mère. « Avant de mourir, je voulais laisser un testament à ma fille. » Elle pensait mourir si jeune ? « A l’époque, j’étais un zombie. Détruite physiquement et mentalement. Et personne n’était en mesure de m’affirmer que je survivrais à l’empoisonnement chimique. »

Elle a survécu. Mais elle se considère en sursis. « J’ai de graves séquelles cardiaques. Mon cœur se met parfois à s’enflammer, une douleur mystérieuse pour les médecins. » Elle hésite. « C’est comme si une torche intérieure prenait feu et brûlait mon cœur. Et je me dis à chaque fois : “Je vais y passer.”» C’est peut-être l’occasion de rebondir sur ses liens actuels avec le Mossad. Il paraît difficile d’imaginer qu’elle est soignée par un médecin civil milanais. Il faudrait qu’elle lui confie l’origine de ses problèmes cardiaques : la torture par injection de produits neurotoxiques. Et lui avouer ses anciennes activités. Confrontée à cette déduction logique, elle n’esquive pas. Donc seul un médecin habilité secret-défense peut avoir accès à son dossier ? « Oui ! » Est-elle suivie en Israël par un médecin référent du Mossad ? Flottement... « Je suis suivie en Israël par une équipe de médecins militaires. » Ses liens avec le Mossad ne seraient donc pas totalement coupés.

Dix ans après le bras d’honneur du bouquin, voilà qu’elle revient avec un nouvel opus, « Les terroristes sont parmi nous ». Mais, cette fois, elle dévoile dans les premières pages sa véritable identité. Nous lui avouons que nous ne comprenons pas pourquoi. Elle prend le risque de se faire tuer, non ? La question la fait rire. « Voyons, si on avait voulu m’éliminer, on l’aurait fait depuis longtemps !» Qui « on » ? Moue entendue. « Les Syriens et les services “amis” de Damas n’ont pas eu besoin de mon livre pour m’identifier et me localiser. Les deux années qui ont suivi sa publication, eh bien, avec les Iraniens et les Russes ils m’ont mis la pression. » Mis la pression ? « Ils vous pourrissent le quotidien à vous rendre totalement paranoïaque. A vous empêcher de dormir… » Elle n’en dira pas plus.

A l’époque, Catherine vit seule à Paris. Elle enchaîne les petits boulots, comme une mère célibataire lambda. Ces fameux services auraient pu vouloir se venger... « M’éliminer pour se venger ? Vous croyez que mes anciens employeurs laisseraient, pour l’exemple, un ex-agent se faire tuer en Italie sans bouger ? Dans notre milieu, tout est une question de rapports de force, et il y a toujours une réponse proportionnée à l’attaque subie. » Proportionnée… On ne la déstabilise pas aussi facilement, cette Catherine. « Restons modestes, je ne suis pas importante au point d’être un enjeu des services. »

Quand même, pourquoi révéler son identité au grand jour ? Catherine se décontracte enfin. « C’est la conclusion de dix années de psychanalyse. Une reconstruction douloureuse. Pour continuer à vivre, je dois assumer mon passé. Sans me cacher derrière un anonymat qui arrangeait bien mes problèmes d’identité. » Son regard se durcit : « Maintenant que j’ai fait un travail sur moi, j’ai compris que je possédais les mêmes pulsions destructrices que les terroristes que j’ai côtoyés, trompés, manipulés, utilisés, ou même tués. Sauf que j’ai été formée à mettre ces pulsions au service de la mère patrie, comme on dit. »

Coup de froid autour de la table. Catherine réalise que son propos est glaçant. Elle réchauffe l’atmosphère par un trait d’humour juif : «En Israël, on se demande toujours en quoi tu peux être utile au pays. Si tu es barjot, tes failles deviendront des atouts, parce que, chez nous, on a toujours besoin d’un barjot utile ! » Pas vraiment rassurant d’imaginer que des agents du Mossad sont choisis malgré leur psychisme défaillant. Lucide, Catherine nous explique qu’on l’a obligée à remuer les souvenirs douloureux de son enfance : « Jusqu’à ce que je quitte la maison, j’ai vécu un enfer. Ma mère, déportée enfant dans un camp de la mort, a sombré quand mon père nous a quittées. Devenue maniaco-dépressive, elle était incapable de travailler et de s’occuper de moi. A 11 ans, je faisais des petits boulots pour ramener de l’argent à la maison. Je mentais, je disais que je gagnais mon argent de poche. Ma mère m’avait dit : “ Débrouille-toi pour être première en classe et nous n’aurons pas les services sociaux sur le dos.” Pour mon malheur, elle avait raison. Une élève excellente qui cumule les absences scolaires, cela n’inquiète personne ! Qu’est-ce que j’allais faire de cette vie de merde ? Ma mère m’avait si bien appris à refouler mon besoin d’exister, à m’effacer derrière ses besoins à elle que je n’avais aucune revendication personnelle. Je ne savais même pas ce que signifiait la reconnaissance. C’était parfait pour devenir agent d’infiltration : je n’étais personne, j’étais destinée à rester dans l’ombre. »

"Merah ne serait certainement pas devenu un terroriste si, plus jeune, on avait décelé ses tendances suicidaires…"

Sauf qu’une violence intérieure bouillonnait en elle. Les psychologues du Mossad l’avaient détectée. L’entraînement devait permettre de la canaliser pour l’exploiter au mieux : bingo ! Ce travail sur l’origine du mal qui la rongeait, le masochisme, Catherine l’a accompli dans la douleur. « Il y a deux ans, j’ai réalisé que j’avais connu le même parcours de vie qu’une jeune terroriste suisso-palestinienne que j’ai suivie pendant presque vingt ans. Elle s’appelait Nadia. Elle est morte en kamikaze, à la sortie d’un tunnel, à Gaza. Comme elle, j’avais été violée par mon père. Comme elle, j’avais refoulé ce traumatisme. Quelques mois avant qu’elle ne bascule complètement, son frère, que nous avions recruté, m’avait livré ce secret de famille. »

Catherine a un point de vue intéressant sur la métamorphose d’un être en terroriste : « Le terrorisme étatique est fini, aujourd’hui la menace s’appelle “le terrorisme maladif”. Ce sont les mêmes ressorts psychologiques à partir des mêmes ruptures émotionnelles qui font basculer des individus comme Merah ou Tsarnaev. Le problème de l’absence de père, au sens propre comme au figuré, récurrent sur plusieurs générations, développe des difficultés identitaires. C’est la raison qui m’a poussée à écrire ce dernier livre. En Israël, nous savons analyser le parcours des terroristes à partir d’études psychologiques. Le problème identitaire ne se noue pas dans la religion ou la nationalité, mais dans la filiation. Je viens d’une famille de Juifs errants, sans port d’attache, et je ne suis pas pratiquante. Je suis partie inconsciemment en Israël pour me trouver. Je ne serais pas devenue agent d’infiltration pour un service israélien si la voisine de l’appartement niçois où nous vivions m’avait ouvert sa porte quand ma mère me hurlait dessus. Pendant des années, elle a préféré monter le son de sa radio. Ainsi Merah ne serait certainement pas devenu un terroriste si, plus jeune, on avait décelé ses tendances suicidaires… »

Quelle démonstration ! L’argumentaire paraît un peu facile. In fine, quel est vraiment le message ? « Pour anticiper le mieux possible les actes terroristes de demain, il faut que tous les services de lutte antiterroriste adaptent leur grille de lecture. On ne peut pas mettre un agent derrière chaque individu, mais chacun, dans la société, peut tendre la main à un jeune en perdition. L’urgence dans les services est de redéfinir les critères de dangerosité, et donc de détection, non plus de groupes mais d’individus potentiellement prêts à commettre des actes terroristes. » Pas faux. Pour pénétrer l’ennemi, l’art de la manipulation est indispensable à un bon agent secret. Le propos pourrait sembler tout droit sorti d’un mémoire d’études fondé sur l’analyse du Mossad devant réviser ses classiques. Catherine assume.

De retour à Paris, une dernière question à l’ex-espionne nous taraude. Dans la salle de krav maga où elle nous avait donné rendez- vous, y a-t-il une issue de secours cachée ? Coup de fil à Catherine, qui comprend immédiatement le sens de la question. Elle jubile. « Evidemment ! Derrière l’affiche au-dessus du bureau, il y a la porte d’un cagibi dans lequel le fond ouvre vers la cave. Idem dans les toilettes. De la cave, on accède à la rue par un escalier. » Nous voilà… rassurés !

Catherine Vitinger, 37 ans, niçoise d'origine et ingénieur en géologie de formation, se consacre au krav maga. Depuis 2003, elle enseigne dans sa salle à deux pas de Piazzale Loreto les techniques de défense apprises dans l'armée israélienne

Catherine Vitinger apprend à ses élèves à avoir des réactions plus nerveuses lors d'une agression ( photo LPJ)

Lepetitjournal.com : A quoi sert le krav maga ? (en hébreu : "combat avec contact")
Catherine Vitinger : Lorsque je suis arrivée à Milan, les gens ne pensaient pas avoir besoin de se défendre. Puis une policière a été tuée, les agressions se sont multipliées sur les pages de faits divers et on a compris qu'il était important de savoir comment réagir dans certaines situations. Dans cette ville, les gens recherchent plutôt l'élégance, une certaine attitude, et la violence est rejetée. Mais le stress quotidien fait qu'ils ont tout de même besoin d'une soupape de décompression.
On travaille donc à gérer sa violence et celle des autres.

Pourquoi la dimension psychologique a-t-elle une aussi grande importance dans votre discipline ?
La violence est toujours une rupture, qu'elle soit physique ou non. Et en cas de situation émotive forte, comme peut l'être une agression, les muscles se remplissent d'acide lactique et finalement ne servent pas à grand-chose s'il n'y a pas une maîtrise psychologique de la situation. Si je frappe ou si j'insulte quelqu'un qui m'a poussée à bout, je suis en quelque sorte sa victime, or il faut éviter d'être une victime. C'est-à-dire n'avoir le choix ni du moment, ni du moyen, ni du lieu. Pour vivre avec les autres, il faut des limites. Il y a un temps pour tout, un temps pour se défouler et un temps pour prendre sur soi. La krav maga est donc également utile pour gérer des situations de violence non physique, des situations de stress intense au travail ou en famille.

Un petit truc par exemple ?
Les pieds ont une grande importance en situation de peur. Se concentrer sur ses pieds change la chimie des neurones et nous fait échapper aux emprises. Il faut se retrouver les pieds bien sur terre.

Avez-vous déjà eu recours à ce système de défense dans un vrai combat au corps à corps ?
J'estime être la seule enseignante sérieuse de krav maga à Milan, car je suis la seule à avoir vécu une vraie expérience de terrain. Un professeur qui n'a jamais mis quelqu'un K.-O. peut être excellent jusqu'à un certain point, mais il lui manquera toujours quelque chose. La discipline est plus une disposition globale qu'une technique : il s'agit de savoir prendre des décisions, d'assumer une responsabilité, d'avoir conscience du danger tout en maîtrisant sa peur. Et de donner une réponse à l'agression proportionnelle à la situation, en choisissant où se placer sur l'échelle de la violence. 

Qui prend des leçons de krav maga ?
Le public est composé de personnes d'une certaine maturité, entre 35 et 45 ans pour la plupart, même s'il y a aussi quelques jeunes. Les hommes sont un peu plus nombreux, mais tout le monde vient pour régler un problème, et non pas pour faire du sport, car pour cela il y a les palestre. Mes élèves sont aussi bien des dirigeants, que des gardes du corps ou des femmes qui souhaitent se sentir plus en sécurité? Certains ont déjà eu à se défendre, mais n'ont pas été satisfaits de leur réaction.

Comment se passent les leçons ?
On recrée les situations émotives, en traitant tout ce qui peut impressionner. On s'entraîne progressivement avec de vraies armes. Au bout de deux semaines on a déjà les rudiments. Passé le cap de quatre mois de cours, il y a en général un vrai changement, et on peut se considérer opérationnel.

Vos élèves ont-ils déjà fait leurs preuves ?
Bien sûr. Par exemple, une jeune femme de 1m50 de la police a mis hors d'état de nuire un homme de plus de 90 kilos.
Propos recueillis par Marie MALZAC. (www.lepetitjournal.com - Milan) Rediffusion (article initialement paru en mars 2008)

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