922. Le métier entre reprise et recours.
Le métier comme conjecture a longtemps été délaissé par les penseurs et philosophes. Seule la tradition juive a permis à Spinoza de s’y insérer, ce qui en modifia pas mal la philosophie, qu’il rendit immanente. Le métier est un des derniers contre-pieds possibles aux quasi-transcendantaux qui définissent les champs de recherche actuels du philosophe selon Foucault. Heureux celui qui a un métier, simplement le métier permet de vivre hors des institutions même s’il s’y insère. Les métiers ne se sont jamais vécus comme des corporations d'après certains historiens. Mettre à mort les jurandes, le mode jurandé des métiers passe par l'assomption des termes corporation et profession. Mais le terme de corporation, s’il apparaît en France avec loi le Chapelier, n’est qu’une importation d’un terme anglais propre au libéralisme. Tous les adjectifs qui se rapportent aux corporations n'apparaissent pas avant le milieu du xixe siècle. Une jurande est ce qui lie une base verticalement jusqu'aux saints et au Roi. Par exemple les puissants métiers parisiens assuraient la protection incendie dans Paris et celle du guet dans les enceintes. Peu à peu les métiers sont sortis des jurandes, mais les professions libérales (médecins, avocats, architectes, notaires etc….) sont le lieu où l’on rencontre le plus cette dimension du métier. Elles sont soumises à un ordre qui les distingue de la loi du marché. Un retour au métier, pour qui est passé par l’école du concept et donc des préjugés, est souvent bien difficile puisque ce sont des facultés non-verbales qui sont requises par les métiers alors que le verbe s’emploie pour s’exempter de faire les tâches, la parole masque difficilement l’inaction mais elle justifie cette posture d’inaction, parfois vengeresse. Les hommes de métier passionnés sont souvent des inconditionnels de la faute d’orthographe. Les gens de métiers s’expriment peu et leur discours n’est pas pris en compte par les dogmatiques, les « symbolistes » NzA°35/37 et autres homonomes qui s’attachent davantage aux significations et aux représentations qu’aux activités et aux inventions. Accomplir son art dans le métier consiste à ne pas gaspiller son talent en répétant les formes établies du passé et à embrayer sur les forces qui agissent et renversent les relations établies. Parler de métier acquiert un certain intérêt si l'on comprend qu'il s'agit d'investir le lieu de l'expertise par excellence et de sortir de la subjectivité comme ressentiment que l'on rencontre au niveau du travail et de la production. Les gens trop braqués sur la notion si large de travail, saisissent moins celle de métier qui par sa nature propre a toujours eu du mal à s’exprimer en son dehors, sans trahir sa nature « pratique ». C’est pourquoi les métiers ont été mis sous le joug de quelque saint ou de quelque pouvoir royal en dernier ressort, on parlerait aujourd’hui de producteurs. Les Allemands saisissent mieux la différence entre le métier comme profession d’emploi et le métier comme savoir-faire qui se transmet. Ainsi pour un allemand avoir un métier (Beruf) ne consiste pas à avoir du métier (Berufserfahrung haben) ni être du métier (vom Fach sein). Être du métier c’est devoir soi-même prendre l’initiative plutôt qu’un autre ne le fasse à votre place. On peut ramener comme le faisaient les Grecs le terme de métier (tekhnè) à la surveillance de la bonne réalisation des ouvrages mais cette fonction de contrôle est par exemple externalisée de nos jours dans des bureaux de contrôle en ce qui concerne la construction et l’agroalimentaire, qui représentent à eux seuls 83% des déchets produits. Ce sont en ce qui concerne la construction ces mêmes bureaux externalisés qui font respecter les « règles de l’art ».
Le métier est pourtant affaire de reprise. « Remettre cent fois son travail sur le métier (Webstuhl) ». Cette reprise est l’analyse de la « nature » qui donne un certain nombre de (ré)solutions aux problèmes techniques rencontrés. Dès lors le métier est affaire d’endurance et de persévérance. Il passe par la reprise, puisqu’il est impossible de changer de conditions d’existence en claquant des doigts. Le changement d’existence est la seule manière de dissoudre un problème. On change donc de métier comme on change de territoire. La critique des poètes par Platon fut celle de la reprise alors que Platon souhaitait apporter la nouveauté pour l’époque des idées. On a couramment réécrit l’histoire en traduisant mimesis par imitation plutôt que par reprise. On critique ainsi l’imitation de la nature. Nous sommes passés en quelques siècles du servage féodal au salariat industriel et c’est le livret ouvrier qui assura la transition entre le servage de la féodalité et le salariat du premier capitalisme. La notion française de profession surgit à travers l’apparition conjointe du salariat et des statistiques avec le retour de l’État en tant que République. Cela fait suite à la disparition du livret ouvrier qui concerne les apprentis et les compagnons, comme palliatif bourgeois à la disparition du servage et à l'apparition des manufactures privées toutes naissantes en France. Le capitalisme paternaliste (ni entrepreneurial ni actionnarial ou financier) naissant en France s’assure donc de 1781 à 1890 l’attachement de l’ouvrier à un territoire. Les professions ont leur apprentissage externalisé vers l’État et sanctionné par un diplôme qui constitue en quelque sorte un passe-droit obtenu par l’assiduité alors que le métier se transmet toujours dans la vie active et l’analyse sur celui-ci dans les « temps morts » qu’offre les discussions animées. Un métier requiert davantage la compétence que le talent ou l’excellence, c’est là la différence avec un art. Le côté pratique du métier et son attachement à un territoire consiste en la résolution avec les méthodes d'une époque d'un problème donné.
C'est la compétence qui annule le recours à toute idée et à toute projection spéculative tandis que l'excellence, par le temps qu'elle requiert ira vers toujours plus de hiérarchie et la protection d'une souveraineté en général comme on la retrouve dans l'art de mécénat au Moyen Âge et à la Renaissance. Les métiers qui passent principalement par la commande et l’accès à celle-ci sont réservés aux familles installées, capables soit de trouver des débouchés soit de financer les premières commandes. Se constituer sa propre commande devient tout un art quand on sort des attendus de l’époque, cela passait par la « médiatisation » d’un discours — presse écrite ou édition d’écrits. Si tout métier est adossé à un territoire, tout art s’en extrait par la constitution d’un désir supplémentaire qui excède le territoire. Dès lors l’hérésie par rapport aux académismes n’est pas forcément un isolement par rapport à la commande PiaCT_14/15/264. Éviter les recours. C’est ce que l’on retrouve dans la haine moderne pour la représentation. Se tenir d’emblée en présence non de la chose mais des forces et des affects qui vous traversent. Trajectoire artistique en somme. « Ne faîtes confiance à personne ; cherchez vous-même », c’est ainsi que l’on peut comprendre le non-recours aux dires des autres : Nulli in Verba. C’est par là que la science procède par connaissance, que l’expérience idéalisée se fait expérimentation, épreuve. S’immerger, s’embarquer d’abord. Une attitude encore idéaliste parlerait de l’expérience poussée à sa limite. Bref il ne faut pas recourir aux expériences rapportées parce qu’elles peuvent être rabattues. C’est tout le problème que l’on retrouve en science où selon certains critères, on rend publiques des conclusions à partir de données et de statistiques déjà retravaillées. Ces données extraites et exploitées supposent déjà une forte part de latéralité et d’impensé. Le recours aux mathématiques existe mais ni Galilée ni Newton dans leurs théories principales et leurs lois n’ont posé directement des équations. La mise en rapport par l’algèbre CapLV_142 est une sorte de circularité qui peut devenir un piège : pour éviter les apories des équations qui comportent des divisions par zéro en physique quantique 325, Feynman a recours aux intégrales de chemin.