La Philosophie à Paris

643. Sur ce qui surprend : l’événement.

16 Février 2013, 00:07am

Publié par Anthony Le Cazals

Ils sentaient bien que toute philosophie antérieure n'avaient été qu'un songe stérile, et que la génération nouvelle était en train de s'éveiller. Schopenhauer.

 

Il faut un certain événement, un certain hapax 412g pour vous faire pénétrer dans la pensée. C’est l’inéluctable, auquel Nietzsche prépare des générations entières. L’inéluctable, c’est-à-dire l’événement inattendu qu’on ne peut pas éviter. Il fait passer de l’expérience banale à la résilience, à la nécessité de tisser différemment sa propre dimension affective parce que l’ancienne est cassée ou trahie. Puisqu’elle pousse au dépassement de soi et au rebond, c’est elle qui est recouverte du terme de « génie » SarSG. Ainsi appelle-t-on de manière classique ce qui échappe à l’entendement par son « originalité », par sa terribilità 327. Mais cet inattendu met, tôt ou tard, le monde d’accord. S’il se manifeste comme un effondrement, il rend alors inepte les prétentions orgueilleuses. L’inéluctable n’est pas tant le résultat de notre curiosité que de l’évitement du risque par le déni de réalité, ces œillères — nommé « expérience » ou attachement au monde — que l’on porte face à l’existence pour éviter tout rebond. L’inéluctable, c’est par exemple l’immanquable blessure que l’« avenir » ou l’« éternel retour » propre à l’existence réserve à tous les vivants quitte à en faire des penseurs. Dépasser la résignation et se confronter à l’inéluctable, c’est cela que l’on pourrait recouvrir du métabole « amour du destin », bref l’envie.


L’amour de l’inéluctable. — Ma formule pour ce qu’il y a de grand dans l’homme est amor fati : ne rien vouloir d’autre que ce qui est, ni dans le futur, ni dans le passé, ni dans toute éternité. Ne pas se contenter de supporter l’inéluctable, et encore moins se le dissimuler — tout idéalisme est une attitude de mensonge face à l’inéluctable — mais l’aimer NzEH°10 ou NzFP°XIV,16[32]. Par mensonge, comprenez ce que Fred apportera comme le déni. Le déni comme « mensonge » fait à soi-même est plus fréquent et dommageable pour Nietzsche que le mensonge fait aux autres, qui n’est que la marque d’un grand besoin de stabilité.


Ainsi sont les extrêmes conséquences de textes épars et d’inventions, rejetons issus d’Anaximandre, d’Héraclite, d’Empédocle, d’Anaxagore, de Platon et d’Aristote, un peu d’Archimède, du Vinci, de Montaigne, de Spinoza,  de Pascal, de Voltaire, de Goethe, de Schopenhauer, de Tolstoï et de Dostoïevski, de Nietzsche, de Bergson, de Tesla, de Foucault et de Deleuze. À un moment donné, leurs notes et leurs écrits sont marqués de fulgurances, c’est-à-dire d'accélérations de la pensée qui ne peuvent que nous affecter d’énergie, nous « saisir au corps » auraient dit les Anciens : nouveaux métabolismes. Ceci n’a à voir ni avec l’objectivité — déterministe voire structuraliste — ni avec la subjectivité 711 — sensibilité qui cherche à imposer sa loi et la raison de sa « logique », par exemple que p impliquerait q par suffisance de la raison. L’« objectivité » provient d’un déterminisme collectif qui ne retient que les productions humaines et non les intentions qui y ont abouti. La « subjectivité », quant à elle, est une sensibilité qui s’ignore, en ce qu’elle n’est jamais donnée à l’expérience par ex. FcMC_256 et Badiou 13 novembre 1996 tant la finitude 215a se replie sur elle-même FcMC_329. Ni objectivité, ni subjectivité : on a davantage affaire par l’attention portée aux fulgurances 914 à des tempos, des allures, des métabolismes 919 dividuels 937. Il faut d’abord reconnaître le vertige du destin pour lequel depuis les stoïciens puis à travers Nietzsche on comprend qu’obéir c’est diriger. On insuffle d’autant plus un avenir qu’on se situe au foyer des forces plutôt qu’à vouloir les dominer par le sabre. C’est le constat que fait Bonaparte à la fin de sa vie et que rappelle Camus dans L’été, en exergue de Les amandiers : « Savez-vous disait Napoléon à Fontanes, ce que j’admire le plus au monde ? C’est l’impuissance de la force à fonder quelque chose. Il n’y a que deux puissances au monde : le sabre et l’esprit. À la longue le sabre est toujours vaincu par l’esprit ». Reposons ce raisonnement scabreux depuis la dégaine hors du fourreau : l’esprit n’étant rien de plus qu’une force de domination, il est impuissant dans son pouvoir et se trouve vaincu par l’affect et le cœur. Bonaparte dit du cœur qu’il participe des entrailles. Il y a plus simplement une impossibilité à fonder autrement que dans le sol. « Forcer » n’est que le synonyme du parasynonyme institutionnel et philosophique qu’est l’acte classique de « fonder » 955. On fonde toujours un système sur un appareillage ou un échafaudage comme autant de béquilles à l’existence. Parasynonyme veut dire qu’il y a un sens commun ou exotérique et un sens d’initié ou ésotérique plus imagé, comme il en existe dans tous les jargons de spécialistes PerVM. C’est par ce double code que les groupes fermés sur leur intensité opèrent leurs propres mutations selon leurs propres résolutions. Leur aptitude à être mus par les dynamismes est d’autant plus importante que ces groupes de haute résolution sont capables de synthétiser leur mutation dans un parler qui, s’il est écrit, leur permet de répéter la recette de ces accélérations que sont les valeurs tranchées. (Re)naissance puis classicisme. C’est la synthèse de valeurs puis l’analyse de celles-ci et des règles de leur élaboration, comme le rappelle Plinio Prado.


Un jour, la lumière et le mouvement, que nous avons conçus comme des accélérations pour la pensée en seront les freins puisqu’ils ne sortent pas d’une forme de dynamisme. Le dynamisme n’est que l’ouverture du dogmatisme, le décentrement de la spirale deleuzo-guattarienne. Simple conservatisme de l'élan, le dynamisme n’est en rien la transmutation d’un métabolisme 919 mais sa perpétuation harmonique ou étatique 816. Ce qui compte c'est d'offrir à ses contemporains une image des plus saisissantes de leur époque. Appelons cela la petite synthèse dans le texte qui n’est pas la grande dans l’existence 721. C’est ainsi que l’on pousse la génération mûrissante à se replacer dans son propre dynamisme, où tout lui apparaît comme naissant (natalité vs. futilité). Les idées de matière et d'esprit sont à présent l'écume d'un navire qui avance. Les philosophes nostalgiques d’une prétendue origine perdue surdéterminent l'esprit et la matière ; ils voient se séparer l’énergie figée en son résultat (ergon) de l’énergie en acte (energeia) et de l'énergie en puissance (dynamis). L’origine est un autre nom pour l’événement dont les dogmatiques n’ont jamais su comment provoquer les intensités, la source d’énergie en acte. L’effervescence de notre époque est toujours menacée par de possibles coups d'arrêt réitérés propres à la réaction, comme cela est arrivé aux Grecs ou aux Mayas. Castoriadis, nomme du nom de vérité l’effervescence grecque constitutive du premier stade de pensée, pour sortir de la vérité égocentrée du Sujet CstMI/CstCG. Il n’est guère éloigné de ceux qu’il fustige sans les nommer : Foucault et Deleuze.


La question de toute mutation n'est pas de savoir « Qu'est-ce qu'on a perdu ? » mais plutôt « Qu'est-ce qu'on est en train de gagner ? ». Elle n’est pas de savoir « Qu’est-ce qui s’est passé ? » qui demeure comme toute analyse une question crépusculaire. Pour aller plus loin et dissocier la synthèse des valeurs de leur analyse et de la répétition des représentations qui en découlent (le temps et l’espace), on peut faire remarquer qu’il n’y a jamais eu de classicisme grec, au risque de ne pas pouvoir reproduire la forge des valeurs comme l’ont fait les Grecs. Je m’explique, ce que l’on nomme les classiques Grecs sont pour l’essentiel des hommes de lettres comme Platon, Aristote, Euripide mais ce sont avant tout des décadents : on pensera une fois encore à Aristote pleurant l’hellénisme sur son lit de mort. C’est ainsi que l’on peut comprendre ce qu’est participer à un événement et lui faire prendre de l’ampleur. Apprécions l’événement car l’accompagner semble être important.


Au moment où Pseudo-Denys nous fait comprendre que son nom est compréhensible si on lit le russe ë io et si l'on connaît les dionysokokales d'Épicure, la communication en phreaking est interrompue.

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