431d. Deux définitions admises de la matière.
Enfin la matière serait le corrélat de l' « esprit » pour les spiritualistes et le corrélat du « vide » 432 pour les matérialistes, les naturalistes. Le vide chez Epicure se définit comme ce qui n’a pas de résistance et dont l’existence est prouvée par nos gestes — ce qui se nomme couramment le mouvement. L’air est ce mélange de gaz qui, offrant peu de résistance, permet ces déplacements. Dire que la pensée est matérielle, c'est dire que l'énergie et la force, que reflète la pensée, sont matérielles ainsi que la lumière. Le comportement de la lumière devrait donc obéir aux lois de l'esprit et de la matière, c’est-à-dire aux lois de la causalité. Si l'on pose « la matière comme inerte », comment expliquer qu'il y ait du mouvement ou que le mouvement soit premier, comme disent les philosophes de la tradition, sinon par le recours à un moteur premier et donc à une substance. Causalité et substance sont liées et partir de la matière, c'est partir de l'engourdissement de l'« esprit » et de ses subterfuges comme la « conscience » prisonnière de sa réflexion, celle-ci n’est qu’un atermoiement et une procrastination vis-à-vis de la dynamique des forces qu'en physique on nomme « champs ». Les matérialistes définissent la matière comme l'ensemble de la réalité objective, existant indépendamment de la connaissance que l'on peut en avoir et antérieurement à celle-ci. Ils ajoutent que cette matérialité est « intelligible » toujours de manière partielle, provisoire et révisable. Pour les matérialistes, la seule alternative à leur doctrine est le solipsisme 214. Par commodité, les scientifiques désignent par matière avant tout le réseau cristallin des atomes (baryons), puis les états liquides et gazeux de ceux-ci. La matière n'existe pas, il n'y a pas de Matière sinon sous la forme d'une erreur irréfutable, une simple croyance qui persiste dans nos têtes ; c’est une insistance qui en appelle à des « esprits » qui aiment le statique et les certitudes. On ne peut plus parler à présent de « matière » en tant que telle, de « matière en soi » : ce n'est qu'une abstraction. Abandonnons donc les réciprocités abstraites sans nuances qui existent entre « forme » et « matière », « esprit » et « matière » et mettons-nous non plus à réfléchir à partir de schémas éculés mais à penser :
- En 1°, que matière et substance sont réciproques l'une de l'autre, Schopenhauer en fait la critique à sa manière : La proposition a priori : « La matière se conserve donc sa quantité ne peut ni augmenter ni diminuer », peut s'exprimer ainsi : « La substance est immortelle », SchPP_458. Reste que par commodité on parle encore d'un mouvement de matière mais le terme même n'apparaît pas dans les équations, sinon au niveau de la masse comme dans l'équation E = mc², qui suggère la création de matière à partir de l'énergie HawTN_95 mais dans ce cas, la masse n'est pas la matière mais une forme d'énergie.
- En 2°, que la matière est un crible homogène et qui induit une certaine appréhension classique et non lumineuse de la réalité qui n'est plus adéquate aujourd'hui car trop générale, « trop » universelle. Si l’on pose la Matière (en soi), comment pourrait-il y avoir de l'antimatière, de la matière noire et de l'énergie noire ? Preuve sans doute que de parler de matière est impropre, non exhaustif si l'on veut faire d'elle la réalité objective — à moins de voir la réalité objective comme une réduction visuelle et anthropomorphique. On y retrouve les binarités dialectiques de la forme et de la matière. Si la forme était le fondement de la diversité, en ce qu'elle serait brisure dans la continuité, la matière ne pourrait être pensée que comme un homogène absolu SchMV_717. La même réciprocité se retrouve ici : La matière forme la liaison entre l'Idée et le principe d'individuation SchMV_275 Bref l'hétérogène (la diversité) s'oppose à l'homogénéité et l'on ne sort pas de la pensée dialectique si peu adéquate avec les positivités tacites de notre époque et les processus qui l'animent.
Aussi pour revenir à la distinction qui existe entre intuitions et concepts abstraits, reprenons à la lettre Schopenhauer : la matière en tant que telle ne peut être objet d'aucune représentation intuitive mais seulement d'un concept abstrait SchMV_274. En effet La différence de la matière, pur objet a priori de la pensée, et des intuitions [...] c'est que nous pouvons faire abstraction complète de la matière SchMV_1025. Faire complète abstraction de la matière, c'est, à la lettre, ne pas recourir à ce concept et à son corrélat qu'est la forme. Ceci est tout à fait envisageable si l'on appréhende les choses comme des composés de forces et de matériaux. Si ce qui est matériel c’est ce qui est soumis à l’action ou ce qui agit, alors la lumière à laquelle est associée une constante de la plus petite action possible, serait aussi matérielle or tout montre que le comportement de la lumière est autonome de la loi de causalité. L'« essence » de la matière, selon la bonne vieille métaphysique, consiste dans l'action. La matière est purement et simplement ce qui agit sous la loi de causalité. Si la matière est toute action. Toute l’action n’est pas matière à présent. La lumière aussi produit son action au travers des photons. L’action la plus déterminée n’était jusqu’à présent qu’accident de la « matière » et c’est à présent la lumière qui fait irruption.
S’il n’y a pas matière, il n’y a pas besoin d’esprit pour se la représenter. C’est l’une des conséquences de la chaîne de dominos initiée par Kant quand il sépare le principe de connaissance et la relation d’existence qui fait qu’il n’y a pas de chose en soi pas plus que de « phénomènes » qui viendraient la compléter ; de cette séparation vient que la volonté se nie après s’être affirmée chez Schopenhauer. On pense là à la critique de la volonté en soi chez Nietzsche à laquelle il substitue la volonté qui contribue à la puissance. Comme il n’y a pas de chose en soi donc de substance, il n’y a pas de permanence, donc pas de matière et de là pas d’esprit 410.