Par le retrait du CPE, le gouvernement a sifflé la fin de la récréation. A la grande joie des (actionnaires des) médias et même des syndicats (à qui il faut un système faillible pour voir grossir leurs effectifs), les étudiants ont sagement repris les rangs. Tout peut recommencer comme avant.
Le mouvement à Paris 8 ne reflète t-il pas l'individualisme ambiant ? En effet, si les étudiants ne défendaient pas uniquement leurs intérêts, le mouvement aurait continué à l'abrogation du CPE, face au travail de nuit à 15 ans rendu possible par la loi
dite « Egalité des chances », mesure au moins aussi grave que le CPE. Est-ce
que cette jeunesse qui croyait combattre le gouvernement n'a pas finalement joué son jeu ? Sont-ils crédibles, les jeunes (y compris ceux qui se disent « révolutionnaires » -sic !) qui manifestaient contre la précarité avec un cornet de frites de McDonald ou une bouteille de Coca-Cola à la main ? Il s'agit d'un tabou : ceux qui en ont fait la remarque en AG se sont fait siffler... N'est-ce pas une victoire pour le MEDEF (et non symbolique, celle-là) de voir une jeunesse apeurée manifester pour demander des CDI et la garantie d'un certain pouvoir d'achat ?
L'écrasante majorité des étudiants mobilisés a critiqué la violence du gouvernement et la pseudo-démocratie. La critique est légitime, mais n'avons-nous pas participé à cette violence ? Ne calquons-nous pas notre comportement sur celui de nos gouvernants ? J'entendais en manifestation des slogans comme : "De Villepin, au karscher" ou encore "Sarko, Villepin, Chirac, votre période d'essai, elle est finie". Le mot slogan en lui-même, employé par les étudiants, est effrayant : s'agissait-il de politique ou d'une campagne de publicité ? D'autre part, en Assemblée Générale, les étudiants à la tribune parlaient de la nécessité de «
convaincre », de « persuader » les autres étudiants, et pas de leur expliquer ce qui se passe ou discuter avec eux. Convaincre quelqu'un, c'est le diriger ; discuter et réfléchir avec quelqu'un, c'est construire quelque chose ensemble. En assemblée générale, une personne de la tribune a même dit un jour que l' "on n'est pas là pour discuter du fond". Parce que cela aurait remis trop de choses en question ? Et vivent les débats de forme et le pragmatisme aveugle ! Le mouvement de Paris 8 ne s'est pas émancipé de ses syndicats ; lorsque ces derniers ont obtenu ce qu'ils souhaitaient, le
mouvement s'est effondré.
Les étudiants étaient nombreux à s'insurger contre l'usage de l'article 49.3 de la part du
gouvernement, mais beaucoup moins protestent lorsque de telles méthodes sont tilisées à l'échelle locale, au sein même de notre Université. La présidence a en effet décidé de fermer Paris 8 pendant près de deux semaines et demi, et ceci sans aucune concertation du CA et du CEVU, en invoquant des « raisons draconiennes de sécurité », alors qu'aucun débordement n'a eu lieu à Paris 8. Et ce dans l'indifférence quasi-générale ; est-ce parce que la fermeture de l'Université n'était pas relayée par TF1 ? Ainsi, à la rentrée, les cours ont repris comme si de rien n'était, avec la complicité des
étudiants et enseignants. Si le but de l'Université est d'entretenir notre passivité pour supporter un système totalitaire où le peu d'humanité qui nous reste est étouffé, c'est réussi.
Comment faire à l'avenir pour que Paris 8 ne soit pas un lieu de passage mais un lieu de vie ? Comment faire pour que cette Université ne soit pas qu'un lieu régit par le calcul et l'échange du temps (donné par les étudiants, sous forme de travail) contre un diplôme ? Ne concevons-nous pas notre Université et le monde en terme utilitaires ? Qu'est-ce que le totalitarisme ?
Ce mouvement nous a donné le temps qui devait nous permettre de nous informer, de transformer notre regard, voire d'être créatif. Avons-nous saisi cette opportunité ? Avons-nous réfléchi à la société vers laquelle nous nous dirigeons, à travers les choix politiques effectués par le gouvernement ? Avons-nous rêvé à une société meilleure, dans laquelle nous voudrions vivre ? Avons-nous pris du recul sur notre quotidien d'étudiant ? Pas souvent à Paris 8 en tous cas, où la présence d'étudiants (y compris les plus mobilisés) aux forums et cours ouverts était marginale. A ma connaissance, peu d'initiatives ont vu le jour durant la mobilisation (ce qui s'est passé dans le département d'Art plastiques est sans doute l'exception).
Quant à nous, étudiants en philosophie, n'avons-nous pas été en dessous de tout ? Paul Nizan disait que « La bourgeoisie gave ses intellectuels dans des murs pour qu'ils ne soient pas tentés d'aimer le monde ». Certains sont mêmes boulimiques, à Paris 8 : leur références culturelles sont impressionnantes, ils suivent des cours de philosophie politique, mais ils ne s'ouvrent pas au monde extérieur. Les premières semaines de mobilisation, une poignée d'étudiants du département s'intéressait à la mobilisation. C'est après quelques blocages, lorsque certains professeurs ont poussé leurs élèves à s'impliquer que la majorité a commencé à se sentir concernée. Est-ce pour ne pas se
regarder en face que certains étudiants comptent publier un bêtisier des affiches vues en manifestations ? Je trouve moins risible et plus authentique avec soi-même d'écrire quelque chose qui semble stupide ou naïf (comme « Nous sommes tous des moutons, mais révoltés ») que de se moquer d'autrui. On reproche aux autres ce que l'on n'ose pas se reprocher à soi-même.
Ceci dit, la majorité des étudiants n'est pas l'ensemble des étudiants. Malgré tout, il y a eu une prise de conscience de la situation par certains et des rencontres grâce à cette mobilisation. Cette fin du mouvement, prévisible, a engendré une frustration, une tension d'énergie qui ressortira bien un jour ou l'autre. Retournons-donc en nous-mêmes pour nous préparer à « l'impréparable ».