La Philosophie à Paris

CRITIQUE / Les étudiants de Paris 8 et le CPE

9 Mai 2006, 21:23pm

Publié par Pequecanthropus

Ne sont-ils pas naïfs, les étudiants qui s'exclament après plusieurs semaines de mobilisation et de grèves : « Nous avons gagné ! Nous étions 3 millions dans la rue, et nous avons fait plier le gouvernement », et qui retournent sagement à l'Université à la rentrée se plonger dans des livres de leur discipline pour obtenir leur diplôme ? L'aspiration a supplanté l'inspiration parfois naissante. Qu'ont gagné les citoyens français, sinon des oeillères (outil indispensable aux carriéristes) et un peu de vaseline pour supporter le reste (un rapport de l'INSERM qui explique des problèmes sociaux transgénérationels par la génétique, une loi DAVDSI qui restreint les libertés informatiques, une loi CESEDA pour rentabiliser au maximum l'immigration etc) ? Bref, une foultitude de mesures n'ayant pas pour fin de permettre à tous de mieux vivre ensemble, mais de préserver les intérêts d'une minorité, ceci généralement en voulant supprimer des symptômes sans s'attaquer à leurs causes.
 
Par le retrait du CPE, le gouvernement a sifflé la fin de la récréation. A la grande joie des (actionnaires des) médias et même des syndicats (à qui il faut un système faillible pour voir grossir leurs effectifs), les étudiants ont sagement repris les rangs. Tout peut recommencer comme avant.
 
Le mouvement à Paris 8 ne reflète t-il pas l'individualisme ambiant ? En effet, si les étudiants ne défendaient pas uniquement leurs intérêts, le mouvement aurait continué à l'abrogation du CPE, face au travail de nuit à 15 ans rendu possible par la loi
dite « Egalité des chances », mesure au moins aussi grave que le CPE. Est-ce
que cette jeunesse qui croyait combattre le gouvernement n'a pas finalement joué son jeu ? Sont-ils crédibles, les jeunes (y compris ceux qui se disent « révolutionnaires » -sic !) qui manifestaient contre la précarité avec un cornet de frites de McDonald ou une bouteille de Coca-Cola à la main ? Il s'agit d'un tabou : ceux qui en ont fait la remarque en AG se sont fait siffler... N'est-ce pas une victoire pour le MEDEF (et non symbolique, celle-là) de voir une jeunesse apeurée manifester pour demander des CDI et la garantie d'un certain pouvoir d'achat ?
 
L'écrasante majorité des étudiants mobilisés a critiqué la violence du gouvernement et la pseudo-démocratie. La critique est légitime, mais n'avons-nous pas participé à cette violence ? Ne calquons-nous pas notre comportement sur celui de nos gouvernants ? J'entendais en manifestation des slogans comme : "De Villepin, au karscher" ou encore "Sarko, Villepin, Chirac, votre période d'essai, elle est finie". Le mot slogan en lui-même, employé par les étudiants, est effrayant : s'agissait-il de politique ou d'une campagne de publicité ? D'autre part, en Assemblée Générale, les étudiants à la tribune parlaient de la nécessité de « convaincre », de « persuader » les autres étudiants, et pas de leur expliquer ce qui se passe ou discuter avec eux. Convaincre quelqu'un, c'est le diriger ; discuter et réfléchir avec quelqu'un, c'est construire quelque chose ensemble. En assemblée générale, une personne de la tribune a même dit un jour que l' "on n'est pas là pour discuter du fond". Parce que cela aurait remis trop de choses en question ? Et vivent les débats de forme et le pragmatisme aveugle ! Le mouvement de Paris 8 ne s'est pas émancipé de ses syndicats ; lorsque ces derniers ont obtenu ce qu'ils souhaitaient, le
mouvement s'est effondré.
 
Les étudiants étaient nombreux à s'insurger contre l'usage de l'article 49.3 de la part du
gouvernement, mais beaucoup moins protestent lorsque de telles méthodes sont  tilisées à l'échelle locale, au sein même de notre Université. La présidence a en effet décidé de fermer Paris 8 pendant près de deux semaines et demi, et ceci sans aucune concertation du CA et du CEVU, en invoquant des « raisons draconiennes de sécurité », alors qu'aucun débordement n'a eu lieu à Paris 8. Et ce dans l'indifférence quasi-générale ; est-ce parce que la fermeture de l'Université n'était pas relayée par TF1 ? Ainsi, à la rentrée, les cours ont repris comme si de rien n'était, avec la complicité des
étudiants et enseignants. Si le but de l'Université est d'entretenir notre passivité pour supporter un système totalitaire où le peu d'humanité qui nous reste est étouffé, c'est réussi.
Comment faire à l'avenir pour que Paris 8 ne soit pas un lieu de passage mais un lieu de vie ? Comment faire pour que cette Université ne soit pas qu'un lieu régit par le calcul et l'échange du temps (donné par les étudiants, sous forme de travail) contre un diplôme ? Ne concevons-nous pas notre Université et le monde en terme utilitaires ? Qu'est-ce que le totalitarisme ?
 
Ce mouvement nous a donné le temps qui devait nous permettre de nous informer, de transformer notre regard, voire d'être créatif. Avons-nous saisi cette opportunité ? Avons-nous réfléchi à la société vers laquelle nous nous dirigeons, à travers les choix politiques effectués par le gouvernement ? Avons-nous rêvé à une société meilleure, dans laquelle nous voudrions vivre ? Avons-nous pris du recul sur notre quotidien d'étudiant ? Pas souvent à Paris 8 en tous cas, où la présence d'étudiants (y compris les plus mobilisés) aux forums et cours ouverts était marginale. A ma connaissance, peu d'initiatives ont vu le jour durant la mobilisation (ce qui s'est passé dans le département d'Art plastiques est sans doute l'exception).
 
Quant à nous, étudiants en philosophie, n'avons-nous pas été en dessous de tout ? Paul Nizan disait que « La bourgeoisie gave ses intellectuels dans des murs pour qu'ils ne soient pas tentés d'aimer le monde ». Certains sont mêmes boulimiques, à Paris 8 : leur références culturelles sont impressionnantes, ils suivent des cours de philosophie politique, mais ils ne s'ouvrent pas au monde extérieur. Les premières semaines de mobilisation, une poignée d'étudiants du département s'intéressait à la mobilisation. C'est après quelques blocages, lorsque certains professeurs ont poussé leurs élèves à s'impliquer que la majorité a commencé à se sentir concernée. Est-ce pour ne pas se
regarder en face que certains étudiants comptent publier un bêtisier des affiches vues en manifestations ? Je trouve moins risible et plus authentique avec soi-même d'écrire quelque chose qui semble stupide ou naïf (comme « Nous sommes tous des moutons, mais révoltés ») que de se moquer d'autrui. On reproche aux autres ce que l'on n'ose pas se reprocher à soi-même.
 
Ceci dit, la majorité des étudiants n'est pas l'ensemble des étudiants. Malgré tout, il y a eu une prise de conscience de la situation par certains et des rencontres grâce à cette mobilisation. Cette fin du mouvement, prévisible, a engendré une frustration, une tension d'énergie qui ressortira bien un jour ou l'autre. Retournons-donc en nous-mêmes pour nous préparer à « l'impréparable ».
 

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P
1)"Et puis j'ai l'impression que l'étudiant manifestant contre le CPE était là pour s'amuser, pour dire "ça y est, j'ai 18 ans et je me prononce" sans vraiment être conscient du contexte.<br /> Quand au bout dun moment Papa/Maman ont dit "bon, ça suffit, il va falloir penser à tes études maintenant", tout s'est arrêté, la vie a repris son cours habituel, la "récréation" était finie."<br /> <br /> Mmmm ? Mais le problème c'est que la majorité est consciente du contexte, et que le contexte n'est pas folichon (on l'entend partout, tout le temps, à toutes les sauces), alors même pas besoin de papa/maman ou des flics pour se calmer, les étudiants se raisonnent d'eux-même...<br /> <br /> 2 ) "D'autre part, en Assemblée Générale, les étudiants à la tribune parlaient de la nécessité de « convaincre », de « persuader » les autres étudiants, et pas de leur expliquer ce qui se passe ou discuter avec eux. Convaincre quelqu'un, c'est le diriger ; discuter et réfléchir avec quelqu'un, c'est construire quelque chose ensemble."<br /> <br /> Merci pour le rappel de cours, mais pour "discuter" il faut qu'il y ait échange, et surtout une volonté des deux parties de le faire...Or on ne va pas créer quelque chose qui n'existait pas, et ce serait comique (et ca l'a été) d'essayer d'imposer un échange. Les discussions se passaient entre ceux qui étaient déjà mobilisés. Quel interêt de vouloir forcer les autres à parler ? S'ils ne veulent pas, il ne reste plus qu'à les persuader du bien fondé de cette cause, à coup d'arguments ciblés, scientifiques, rassurants, plutot que de les laisser partir, en espérant qu'à travers cela ils auront une vision plus globale des choses, et qu'on pourra amorcer une discussion ensuite. <br />
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N
C'est une excellent article, courageux, et lucide.<br /> Bravo, j'espère que vous serez entendu.<br /> Nadhéra du collectif  "racailles" de France. 
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L
Il faudrait rajouter l'adresse de votre forum : racailles de France http://racaillesdefrance.net/
U
Face à tout ça, je me permet de vous donner mon (humble) avis, sous une forme assez caricaturale, mais assez réaliste à mon goût. "Ne sont-ils pas naïfs, les étudiants qui s'exclament après plusieurs semaines de mobilisation et de grèves :  Nous avons gagné !" Soit, mais n'est-il pas naïf non plus de croire 3 millions d'étudiants manifestants ont "le coeur pûr" ? S'il y a en avait eu le quart a être là par leur propre initiative, et non pas simplement par le conditionnement des médias provoquant un gros effet de masse, les choses ne se seraient pas déroulées de la même manière. "Par le retrait du CPE, le gouvernement a sifflé la fin de la récréation." Il suffit de stopper les medias. Le gouvernement a une grosse télécommande entre les mains, et c'est lui qui anime (directement ou indirectement) la population. Et puis j'ai l'impression que l'étudiant manifestant contre le CPE était là pour s'amuser, pour dire "ça y est, j'ai 18 ans et je me prononce" sans vraiment être conscient du contexte.Quand au bout dun moment Papa/Maman ont dit "bon, ça suffit, il va falloir penser à tes études maintenant", tout s'est arrêté, la vie a repris son cours habituel, la "récréation" était finie. "En effet, si les étudiants ne défendaient pas uniquement leurs intérêts, le mouvement aurait continué à l'abrogation du CPE, face au travail de nuit à 15 ans" Encore faudrait-il qu'ils sachent quels sont-ils... Je pense que le seul moyen d'aboutir à une vraie solution serait une prise de conscience par tout le monde de l'état du monde qui nous entoure, et surtout une VRAIE implication politique chez les étudiants, afin de limiter le nombre de manifestants du dimanche. Un étudiant de Rennes1
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A
Notons que nombre d'étudiants en licence avaient fait partie des lycéens qui manifestaient contre la loi Fillon l'année dernière. <br />  <br /> Difficile de savoir non plus si les médias incitent à aller manifester, j'aurai plutôt dit l'inverse. En tout cas il n'y en avait pas trois millions et le mouvement s'est bêtement désamorcé à l'annonce de De Villepin du retrait du CPE le lundi 10 à 10 h. Tout est tombé en peau de chagrin
A
Je suis sûr que Peq a apprécié ton commentaire cher Malo-Net.<br /> Pour ce qui est de la prise de conscience, j'aurias un point de vue différent du tien, c'est justement quand il y a prise de conscience que les choses s'arrête. La mobilisation s'est avant tout être pris par le mouvement. Personnellement, si "prise de consicence" il y a eu, je prend cela avec des pincettes, elle a consister à distinguer ce qu'on appelle la révolution de ce que j'ai ressenti être un devenir-revolutionnaire comme l'exigence d'autre chose mais qui n'est pas la volonté de renversement le pouvoir. Mettre quelque chose d'autre en palce qui ne soit plus de la politique représentation. Je pense que dans les décennies ou le siècle à venir quelque chose va remonter dont on a senti les soubressauts en 1968 et 2005-2006 mais qui doit passer par un certains nombre d'impasses avant d'être assimilé. La prise de conscience n'apporte rien, il y avait plus la manifestation de ce qui réclamne une nouvelle subjectivité, ppour être plus clair une nouvelle manière de dépenser son énergie, de vouloir travailler. Je ne pense pas que l'on supprime le travail inutile et coûteux en énergie (qui sert de réprimande) mais on peut peut-être montrer à certains (enfermés dans le moi et leur quête de profit) son aberration, parce qu'au fond il y a partout des emploi qui ne servent à rien et que même le marxisme n'avait pas prévu que l'améloiration de la production conduirait vers un reprot nécessaire de celle-ci qui comme cela n'est fait produit du chômage. Pourquoi travailler si cela revient à casser des petits cailloux comme si on était dans un pénitencier, l'effort peut être dépenser tout autrement vers un autre style de société, c'est ce qu'indique quelque part internet et la physique quantique. Un manière de modifer les liens de dépendances, tout dépend l'usage qu'on en fait pour justement ne pas recréer ces liens de dépendance (par ex. la loi DADVSI)<br /> On mettra le lien plus tard vers un article sur le devenir révolutionnaire.
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S
<br /> Ravie de lire un tel article ici, voix dissonante, en colère, justement sévère et pas seulement vis à vis "des autres les méchants" - merci à vous de nous rappeler que l'ennemi est toujours d'abord au dedans de soi, que transformer le monde suppose aussi, et peut-être avant tout, de se transformer soi-même !
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M
Très bon article dans le fond comme sur la forme.Il résume bien le dépit d'un grand nombre d'entre-nous, aujourd'hui, qui y ont vraiment cru.Mais ce n'est pas la fin d'un mouvement : c'est le début d'une prise de conscience de grande ampleur (que l'on a aussi pu constater lors du débat à propos du TCE), et ce n'était qu'un échauffement
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