INFOS PARIS 8 / Propositions pour le séminaire étudiant
Si notre Université et notre département de philosophie veulent donner forme aux désirs de ceux qui s’y investissent, s’ils veulent les concrétiser, ils doivent prendre en main quelque chose. Les forces qui tentent de donner une forme singulière à l’étude à Paris8 sont éparses et inefficaces dans leur lutte contre la tendance de normalisation des universités françaises. Seules réellement efficaces sont les injonctions ministérielles ayant pour effet de formater tristement notre expérience. Puisque le séminaire étudiant est une des réponses à l’hypothèse d’un désir de façonner autrement nos études en philosophie, il ne serait pas illogique qu’il tente d’agir comme un catalyseur des efforts de résistance et de création qui existent déjà en ce sens.
Concrètement les problèmes que ces forces tentent d’affronter et que le séminaire étudiant peut mettre en lumière si ce n’est travailler à résoudre sont :
La disjonction temporelle et spatiale entre la stimulation conceptuelle/philosophique dans les séminaires et l’émergence de questions et problèmes des étudiants. Comment ménager les temps et espaces de réflexion qui permettraient aux étudiant.e.s de participer aux cours de manière plus active et plus féconde pour la communauté ? Pour les étudiant.e.s, la réflexion philosophique n’a pas toujours le temps de se développer dans le contexte des séminaires. Très souvent les questions arrivent après les séminaires, trop tard pour être entendues. Entre le mutisme des étudiants et l’impuissance des professeurs à les faire entrer dans une démarche dynamique, les problématisations ne parviennent pas à dépasser le cadre envisagé par le professeur lors de la conception de son cours.
La variété et l’hétérogénéité des cours qu’un étudiant suit pendant un semestre. Est-ce qu’il y a de parcelles séparées dans les esprits des étudiants dans lesquelles les concepts et problèmes travaillés par chaque cours restent bien circonscrits, ou bien tout se mélange ? Comment ce mélange peut-il ne pas freiner la construction d’une pensée singulière chez l’étudiant, comment peut-il y participer (comment l’étudiant fait-il sienne la distance qui peut exister entre les manières de penser qu’on lui propose de suivre et l’habite – scepticisme, cynisme, ironie, humour, stoïcisme peut-être me semblent être des manières de l’habiter – et construit à partir d’elle une critique ou une pensée) ?
L’absence de communication entre les cours se tenant au même moment, l’utilisation inefficace de la variété des enseignements, de la variété des connaissances des professeur.e.s, qui tendanciellement ne sert qu’à produire une cacophonie. Est-il possible de faire dialoguer les séminaires, y-a-t-il des questions transversales qu’un étudiant puisse poser dans son parcours semestriel, trouve-t-on des sujets, des problèmes des concepts qui traversent les séminaires ? Qu’en faire ?
La timidité des réflexions personnelles éventuellement innovantes des étudiants en liaison avec les séminaires, réflexions qui du fait de l’absence de débouchés vers une « publication » (quel qu’en soit la forme) destinée à un public plus large que le seul enseignant, ne sont pas développés et sont rapidement oubliés. De manière connexe, l’absence de communication entre étudiants au sujet de leurs travaux.
Le manque de continuité et/ou le manque d’imagination dans la production de sujets/thèmes/objets d’étude/investigation. La détermination des prochains séminaires reste exclusivement le travail des professeur.e.s : ils y réfléchissent seuls. Les séquences que forment les séminaires ne sont pas assez pensées ou ne peuvent être pensées efficacement parce qu’elles le sont de manière isolée. La conception des séquences pourrait impliquer, en plus d’une concertation entre professeurs qui, si elle dépasse le niveau de l’opinion et celui du jugement, améliore la pertinence des cours proposés, la participation des étudiants. Les professeurs ayant à inventer un cours pour le semestre suivant pouvant au minimum y puiser de l’imagination.
Pour faire cela l’idée serait d’utiliser le séminaire étudiant comme une sorte de plateforme où convergeraient des questionnements provenant de cours ayant lieu au département de philosophie. Autrement dit, ne pas lui donner la tâche – qui me semble être celle que nous lui avions donnée au premier semestre – de produire par lui-même et en lui-même une étude d’un genre nouveau, « expérimentale », mais d’agir de manière pertinente par rapport à un réseau existant, pour changer quelque chose à l’étude au sein du département dans son ensemble. L’expérimentation ne doit pas avoir simplement un lieu, le séminaire étudiant, mais un champ, l’expérience quotidienne que nous avons des cours, de l’étude.
Le travail de la question :
En philosophie formuler une question est un travail. Il s’agit premièrement d’exposer sa manière de penser aux autres : puisque notre question découle de la rencontre d’une doctrine, une thèse ou un concept avec notre manière de penser, il faut expliquer celle-ci pour être compris. Pour cela encore faut-il que notre manière de penser, le paradigme dans lequel nous intégrons les articulations conceptuelles que nous étudions soit construite et que nous soyons capable de formuler des arguments pour en défendre la cohérence et si ce n’est la vérité, du moins la valeur. Ceci n’est possible que si nous faisons un travail critique sur les modes de pensée propres que nous développons.
Il s’agit éventuellement ensuite de montrer ce que le problème a d’universel, en quoi il se pose dans d’autres paradigmes de pensée que le nôtre.
Mais il semble que ces difficultés-là ne suffisent pas entièrement à expliquer pourquoi si peu de questions sont formulées lors des cours et pourquoi lorsqu’elles le sont, elles amènent à si peu de réponses et de débats. D’un point de vue extérieur tout se passe comme si le problème venait des étudiants qui ne posent pas de bonnes questions. Et en effet il est clair que ce n’est pas simplement à « poser une question » que l’on cherche. C’est à poser une question « juste ». Mais comment s’entendre sur le sens de ce mot ? Emettons une hypothèse : il ne s’agit pas de trouver une bonne question mais de trouver sa question – l’étudiant n’est pas seulement incapable d’exposer sa manière de penser, il ne la connait pas lui-même et ne peut mettre le doigt précisément sur ce qui, dans le discours qui lui est tenu, lui pose problème, motive sa question. Par conséquent la question qu’il pose n’est pas la sienne, elle est toute autre. Ce que l’étudiant est réduit à faire lorsqu’il prend la parole en cours c’est à piocher dans un répertoire très limité de questions (ou d’affirmations) qu’il a entendu, qui sont là, à sa disposition. Trouver sa question, voilà qui est précieux et difficile, voilà qui pourrait faire avancer un cours. Il me semble que ce serait un bénéfice très naturel d’un partage des interrogations des étudiants sur les contenus philosophiques qui leur sont dispensés que de permettre à chacun de savoir un peu mieux quelles questions il veut poser. Si quelqu’un parvient à mettre le doigt sur le nœud problématique qui relie son interprétation des choses aux froids et puissants concepts auxquels nous confronte l’étude de l’histoire de la philosophie, et s’il formule pour lui-même une question qui l’exprime, on peut penser qu’il est en passe de développer une pensée ayant de la valeur, à la fois singulière et philosophique. Le sens de l’acte – poser une sa question – est alors complètement changé. Il ne s’agit plus de l’expression d’une détresse, d’une alarme à laquelle le professeur doit répondre pour que l’étudiant ne soit pas perdu. L’attente n’est plus celle d’une réponse immédiate, ayant le statut et le pouvoir d’une vérité. Il n’y a en quelque sorte plus d’attente. L’étudiant ayant trouvé sa question il peut aussi bien travailler à y répondre lui-même, il a un chemin pour étudier. Ce qu’il fait en posant sa question c’est un don. Il donne au séminaire, à ses participants un problème qui est déjà un chemin et qu’ils peuvent emprunter.
Une autre manière d’explorer l’écart entre trouver une question et trouver sa question serait de dire qu’il y a un ordre, un ordre à construire, une séquence non linéaire de points d’arrêt (de nœuds à étudier) qu’il faut se donner pour que notre singularité puisse travailler à un problème. Trouver sa question ça serait trouver le prochain point d’arrêt.
Comment procéder ?
Il s’agirait donc chaque mercredi midi de recueillir des questions relatives aux contenus des cours dispensés par ailleurs pour les travailler, les problématiser ensembles. Comment récupérer ces questions ? Peut-on compter sur les participants réguliers du séminaire étudiant pour en fournir ? (Cela suppose qu’ils suivent d’autres cours au département – ce qui n’était pas mon cas au dernier semestre par exemple.) Doit-on tenter d’ouvrir le séminaire, de le rendre plus public, pour que s’y mélangent les questions de tous les profils d’étudiants (si l’on tient à « expérimenter » sur le champ le plus large possible) ? Doit-on mandater des « émissaires » pour récolter des questions dans les cours pendant la semaine qui sépare deux séminaires consécutifs ? Ou autre chose… Une idée – par exemple : pourquoi ne pas organiser une sorte de foire aux questions en ligne (sur infophilo – ou par un autre moyen) avec tout le département un jour ou deux avant chaque séminaire en s’engageant à répondre à un certain nombre – par exemple 3 – des questions ainsi rendues publiques, au cours du prochain séminaire ?
Ou bien y-a-t-il des questions déjà en train de se formuler, et des étudiant.e.s qui veuillent les partager, s’engager à les exposer au cours des prochaines séances ?
Et que faire avec les « produits » / « résultats » du séminaire ? Publier les problématisations ? Les faire circuler sur info-philo ? Serait-il utile de se fixer l’objectif d’écrire un petit texte à chaque fois ? Si oui comment écrire à plusieurs ?
Cette proposition se termine par des questions. Elle est à compléter, à confronter à d’autres (notamment celle de Juan), à critiquer ; si vous le voulez bien, à construire.
Cristobal & Gabriel