814. L’évolution de la question de la liberté selon Bergson.
Pour les individualistes, la liberté est la possession et même la propriété de soi-même et, de là, des moyens et des produits de son travail. Elle va donc de pair avec un sentiment de puissance ou de possession de ses moyens. Pourtant, les semi-décadents comme Nietzsche et Deleuze offrent un autre point de vue selon lequel la maladie libère et permet de ne plus être séparé de ce qu’on souhaite, sous la forme d’une excuse ou d’un rempart qu’elle offre vis-à-vis de la vie sociale. Dès lors, on aperçoit combien ceux qui réclament la liberté n’ont tout simplement pas la capacité et l'envergure pour se coltiner « l’esprit » c’est-à-dire être avec les autres. Nietzsche fait dire à Périandre, le septième des Sages et tyran : Qu’est-ce que la liberté ? – Votre bonne conscience. À un ami qui lui fait remarquer « toi et Deleuze, vous ne parlez jamais de liberté. » et qui lui demande « C’est quoi pour toi la liberté ? », Guattari répond : la liberté c’est qu’on ne nous fasse pas chier DosDG. C’est bel et bien que la liberté en tant qu’idée, en tant qu’espoir non en tant que sentiment de pleine possession de soi, est prisonnière d’une forme réactive qu’est la conscience. Elle est le fruit occidental de la bonne conscience et de la tranquillité retrouvée. Tout cela n’est qu’une impression énoncée par qui est faillible et incapable. Par exemple la liberté est absente du langage japonais. On peut se demander pourquoi les pensées japonaises ne produisent pas de goût pour la liberté, la démographie familiale a une réponse à cela. Qu’importe ! Ayons une pensée pour le pauvre traducteur japonais de Descartes qui se trouve démuni de n’avoir pas de mot dans sa langue et pensons au successeur de Descartes, Spinoza. Selon Spinoza, la liberté comme le libre-arbitre impliquent que la raison prend le pas sur le désir et que le sujet est apte à choisir la « bonne » solution. Il a en tête que l’erreur due à une influence du présent est une preuve d'absence de liberté. Cependant pour un « sujet libre », le fait de croire qu’il choisit systématiquement la bonne solution restreint précisément sa liberté. Un « sujet » doit choisir une solution particulière qui correspond à la grammaire existentielle qu’est le conditionnement instinctif qui le stabilise. Même s'il fait erreur, ce « sujet » ne s’en aperçoit pas ou bien trop tard. Spinoza tend donc à démontrer l'absence de « liberté humaine », de choix. Il y a une restriction imposée par le désir sur le prétendu libre-arbitre qui explique la persistance chez l'homme de l'impression de liberté, comme une « possibilité » de respiration, un besoin métaphysique propre à l’époque classique. Si on passe à l’échelle collective et non plus individuelle, le besoin de liberté est inversement proportionnel à la capacité que se donne une époque pour résoudre ses problèmes. L’anticipation des problèmes lui confère une marge qui est celle qui lui permet de se renouveler. À l’inverse quand une époque décline, d’une part, elle se fige sur ses lois morales et politiques et, d’autre part, elle produit des penseurs détachés et contemplatifs, les hommes terribles ayant disparu. On ne peut combattre pour la liberté et dire par ailleurs qu’on est condamné à la liberté. Le raisonnement est le même que pour la blancheur, il existe des choses blanches mais point de blancheur, de même il existe des hommes libres, libres par rapport aux serfs et aux esclaves mais point de liberté ? C’est ce que fait apparaître la concentration du Capital et que l’on nomme crise économique du seul fait que la dette n’est plus mobile mais infinie envers celui qui détient le Capital…
Pour Bergson il s’agit de voir comment l'intuition détermine la direction par où notre volonté peut s'accroître, et donc notre liberté. Les Grecs, Platon et les philosophes qui l’ont suivi, fonctionnaient sous le régime de la contemplation (transcendance). Les philosophes modernes ont, selon Bergson une tout autre conception de la liberté, puisqu'elle requiert la volonté et le travail de l'intuition. ... il y a, immanente à la philosophie moderne, l'idée du primat de la volonté, non seulement par rapport à l'intelligence. Bergson fait reposer l’illusion d’un primat en droit et en nature de la volonté sur quelque chose de merveilleux et de miraculeux. La volonté est bien une force qui est capable de s'accroître elle-même indéfiniment. ... c'est quelque chose dont la grandeur n'est pas donnée, en ce sens qu'avec un peu on peut faire beaucoup, ou plutôt qu'il n'y a pas de peu, ni de beaucoup ; on peut vouloir, vouloir se donner de la volonté. C’est comme un réservoir d’énergie « spirituelle », car tournée vers la puissance pour y contribuer, c’est la transmutation de l’existence en intelligence sous l’effet de l’enthousiasme. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que cette puissance de la volonté tient avant tout à la direction. Les forces de la nature sont des forces dont l'intensité n'est pas fonction de la direction, ne dépend pas de la direction qu'on leur donne; mais la force de la volonté lui vient de sa direction; si la volonté adopte une direction au hasard, sa force se neutralisera, il y a une direction et une seule, que nous appelons la bonne, où au contraire sa force se multiplie indéfiniment. Voilà une vérité psychologique que les Anciens n'ont pas aperçue ou qu'ils n'ont aperçue que très confusément, c'est ce que nous appelons l'intuition psychologique. ... C'est là, semble-t-il un des points essentiels, une des idées essentielles qui ont passé dans la philosophie moderne et qui expliquent le renversement du point de vue sur la question de la liberté. Ces extraits, tirés de la leçon d'Henri Bergson du 12 mars 1905, traitent de l'interaction de la volonté et de l'intuition avec la question de la liberté. La liberté est bien une idée, une illusion, tout comme le déterminisme. Il faut, comme le fait Montaigne, interroger jusqu’à sa propre lignée ou famille et comprendre ainsi les habitudes qui nous animent. Il faut interroger les textes et par là les valeurs anciennes pour comprendre le formatage des gens ordinaires. Nous ne sommes par notre travail 524, ni libres ni déterminés mais dans un système chrétien de rétribution par rapport à une substance. Que l’époque soit passée d’une économie de la rétribution à une économie de la contribution ou non, nous sommes soumis à l’imprévisible des rencontres. Seulement, le nombre de rencontres explosent dans le second type d’économie. De là aussi, le développement des dispositions qui font que l’on prend telle ou telle voie à la suite de telle ou telle épreuve (« tu craques ? tu te déterritorialises disait Deleuze et Guattari. Chacun a une aptitude plus ou moins grande à rebondir 326c, via l’affection et la confiance en soi héritées de notre éducation plus ou moins tournée vers la sauvagerie 635. Nous sommes principalement l’expression de la folie du père 413 et c’est peut-être pour cela que des orphelins de père comme Genet, Camus et Sartre se sont tant lâchés dans leur nihilisme. Affirmer son côté terrible, ses aptitudes n’est pas permis à tout le monde, dans une société qui pratique l’inceste institutionnel 635 et ne parvient plus à produire de la résilience. Le génie végétatif enclenche peut-être sur plus de choses que le génie qui veut forcer et, par là, crispe ses alliés ou ce qui est sous sa domination. L’indépendance, l’autonomie sont bien autre chose que la liberté. Ce qui est spontané ne dure pas toujours avec intensité et peut être contre-productif, simplement parce qu’il ne s’agit pas de reproduire mais de « générer » de la jeunesse, de produire une nouvelle génération avec tous les risques que cela comporte. Il y a là une continuité entre la pensée cartésienne que reprend ici Bergson et le droit naturel 812 comme renoncement au travers d’un pacte « social » implicite à la puissance de chacun. Ce renoncement est source de castration et de névrose dans les sociétés de souveraineté ou disciplinaires comme les appelait Foucault FcSP. Il n’est pas tout à fait une résignation, mais celle-ci par contre est entretenue par la tristesse que l’État et l’Église, les deux formes de hiérarchies disciplinaires, ont intérêt à produire pour asseoir leur pouvoir en saturant les « ondes », en donnant le « la » triste. On retrouve cette distinction entre renoncement et résignation par exemple quand le philosophe dogmatique parle de renoncer à l’impossible (comprenez dans son optique à la révolution) et faire confiance à sa capacité subjective (comprenez l’action restreinte d’une organisation 335b), c’est-à-dire ne pas se résigner.
Plaisir et déplaisir sont comme les fonctions moralisées de pression et d’appel BgMR en tant que sources de la morale et de la religion. Nous ne rencontrons jamais de « faits » au sens où plaisir et déplaisir ne sont que des phénomènes tardifs et dérivés de l’intellect NzFP°XIII,11[113] des habitudes basées sur nos instincts « symboliques » et non pas métaboliques. Les instincts métaboliques ou d’allure sont basés sur l’insatisfaction 527 et la jubilation 935.