La Philosophie à Paris

AUTONOMIE ET HIERARCHIE 3 / Au-delà de l'hétéronomie : homonomie et autonomie

18 Juillet 2006, 22:28pm

Publié par Anne Vernet, Docteur es-sciences du langage.

Au-delà de l'hétéronomie
Anne VERNET, Docteur es-sciences du langage. juin 2005.

"Beaucoup de choses importantes sont advenues depuis l'Aufklärung qui ne se limitent pas à l'application de ses idées. Surtout, si une nouvelle période d'activité politique tendant vers l'autonomie devait survenir, elle nous mènerait bien au-delà non seulement de l'Aufklärung mais aussi de tout ce que nous sommes aujourd'hui capables d'imaginer"
Castoriadis(1)

Cette réflexion prolonge le débat ouvert par "Qu'est-ce que les Lumières aujourd'hui"(2), "Au-delà du capital"(3) et les commentaires que ces articles ont appelés, notamment la question posée par Valéry Rapslus : qu'est-ce qui peut éclairer une sortie du capitalisme et doit-on attendre cet éclaircissement du pouvoir ou du vouloir ?

Le point de vue développé dans "Au-delà du capital" visait une critique de "l'état des lieux" politiques susceptible de soutenir l'espoir d'une sortie radicale du capitalisme (et non de promettre le paradis). Il est heureux, du point de vue de la praxis que je défends, qu'une théorisation de ce propos pratique vienne en SECOND : il s'agira d'explorer les conditions idéologiques déterminant les créations intellectuelles qui prétendent éclairer nos choix d'avenir et de préciser les concepts qui pourraient soutenir la volonté d'une telle sortie.

-  Du choix des mots et de la duplicité de nos langues

Je reformulerais le problème, sur le plan philosophique, en opposant l'autonomie à l'hétéronomie comme mode d'organisation sociale. La raison de ce recadrage tient au fait que, si l'on en reste à poser l'éventualité d'une révolution en termes de "vouloir ou de pouvoir", on bute aussitôt sur un obstacle linguistique majeur. En effet, LE pouvoir et LE vouloir sont, comme "L'être", abus de langage : translation de verbes en substantifs capables de constituer des objets et de se constituer grammaticalement comme SUJETS(4). Cela interdit à ces hybrides toute validité comme concepts - "l'être" étant encore pire puisque la dimension EFFECTIVE de "personne" est censée y être active - du moins pour qui s'en fie à la tradition religieuse(5). On ne peut réfléchir sereinement avec, pour référents, de tels éléments erratiques, tantôt verbes, tantôt substantifs voire "sujet effectif" de la subjectivité même de celui qui pense : cette volatilité traîtresse appelle aussitôt l'ingérence d'affects (morale, subjectivité) qui, voulant fixer la compréhension, la brouillent. Je n'entends évidemment pas par là que les affects soient "mauvais", je parle de la sérénité indispensable à une réflexion cohérente : sérénité qui, elle aussi, est un sentiment.

La question devient : le mode d'organisation sociale à viser pour sortir du capitalisme doit-il être autonome ("vouloir") ou hétéronome ("pouvoir") ? S'il répond à l'autonomie, il s'auto-constitue dans la praxis. S'il est hétéronome, il se soumet à une "loi venant de l'extérieur" (hetero : autre, nomos : loi). Or, aujourd'hui, l'hétéronomie s'infiltre partout, de plus en plus dévorante au point qu'une compréhension claire du mot s'affronte aussi à un obstacle majeur, de nature sémantique et psychologique : le radical "hétéro-" est polysémique, offrant plusieurs sens incompatibles : autre, externe, différent, divers, mutliple et sexuellement déterminé. Par cette dernière analogie l'hétéronomie prend le sens de "norme naturelle" - en renvoi à l'hétérosexualité. L'opacité devient totale. Ici, j'entends EXCLUSIVEMENT par "hétéronomie" la définition qu'en donne Castoriadis :

"L'autocréation de l'humanité, l'auto-institution des sociétés sont, presque toujours et partout, masquées, dissimulés à la société par son institution même. Et presque toujours, presque partout, cette institution contient la représentation instituée de sa propre origine extra-sociale : ce caractère hétéronome de l'institution de la société réside dans le fait que la loi sociale n'est pas posée comme création de la société mais perçue comme ayant une origine hors d'atteinte des êtres humains vivants"(6).

"Hétéro/NOMIE" a donc peu à voir avec la collection de termes parents formés sur la même racine : si "hétérogène" implique l'idée d'une diversité, l'hétéronomie prétend au contraire fusionner ce multiple sous la loi unique d'une autorité externe à celui-ci. Si "hétérosexualité" implique la mise en oeuvre des deux sexes que l'état-civil reconnaît comme identifiants, l'hétéronomie ne contient, elle, en aucun cas, l'idée d'une dualité coopérante. Au contraire, le radical [hétéro-] liant ces deux termes cheville à notre conscience l'idée que la différence des sexes serait, par sa "nature" même (hétéro) soumise à l'unification forcée par "l'autorité extérieure" (hétéro) : le machisme ne prétend-il pas nous en convaincre ? Cette confusion des sens n'est pas propre au français : elle est active dans la plupart des langues occidentales. La duplicité fonctionne donc à plein. Or, ce n'est pas "l'homonomie" (loi du "même" ou loi du sujet), comme le voudrait la logique de l'amalgame sexuel, qui s'oppose à l'hétéronomie, mais L'AUTO/NOMIE, c'est-à-dire une loi d'organisation SOCIALE inter-individuelle surgie de sa propre nécessité COLLECTIVE et auto-générée. Joli tour de passe-passe...
L'institution politique actuelle (hétéronome) perpétue la confusion en ramenant l'autonomie au seul individu, contraint de "s'assumer" de manière à ne rien coûter à la circulation privée des échanges cumulant les capitaux. Ainsi nous voilà paralysés par un subtil réseau de contradictions et de confusions sémantiques. Comme on le voit, nous sommes "faits de langage"... et particulièrement de ses pièges. Avant de commencer à réfléchir, il convient de s'extirper de ces pièges. Je conjure le lecteur, que j'ai peut-être déjà découragé, de ne pas jeter l'éponge... Allons-y.

Le problème qui se pose à ceux qui veulent "penser l'avenir pour changer le monde" réside dans ce fait : la pensée de l'autonomie doit s'inscrire d'abord dans une réflexion consciente de l'hétéronomie. Corollaire : une pensée de l'autonomie qui ferait l'économie d'une critique de l'hétéronomie, y compris sur le plan philosophique et qui, au contraire, transigerait avec elle ne sera que leurre. Or, le système actuel de production universitaire, médiatique et économique dont dépendent les créations conceptuelles s'enfonce de plus en plus dans l'hétéronomie : les conditions institutionnelles qui autorisaient il y a dix ans à Castoriadis une audience ne peuvent plus être réunies(7).

En usant des termes "domination, dominant, dominé", Bourdieu pensa éviter le piège sémantique. Mais l'idée de "domination" reste inexorablement reliée à la sphère individuelle - et seulement par extension à la classe. Elle est absolument impraticable du point de vue de l'examen de l'organisation sociale "en soi" comme expression du collectif constitué - dans son "hétérogénéïté" même de classes, de cultures, etc. : l'idée de la domination comme loi d'organisation sociale et fondement hétéronome serait une monstruosité. C'est là tout le problème de la réflexion sociologique par rapport à la philosophie. Or la tentation bourdieusienne fut bien hélas de laisser croire ( ?) que la réponse sociologique pouvait être validée par la philosophie (politique). Cela se révèle faux. Brecht, philosophe, l'avait prévenu, qui nommait la sociologie "théorie du laid", stigmatisant par là ce qui en caractérisait à ses yeux la nécessité : l'absence de médiation directe, autonome, entre les hommes.

-  Autonomie et hétéronomie

Le religieux est le premier modèle de la fondation hétéronome : Castoriadis parle du "lien quasi indissoluble entre religion et hétéronomie"(8). Ab/solutisé, mis "hors la loi commune", le fondement hétéronome (concept ou dieu) devient "sacer" : séparé et sacré.

Dernières instances et moteurs de l'histoire, invariants anthropologiques et constantes sociologiques sont autant de tentatives de fonder l'hétéronomie de l'institution politique : qu'il s'agisse du dieu, du père des peuples, de la nature, du gène, de la technologie voire de la démocratie, la dernière instance reste par définition première, imposée par une minorité pour justifier son hégémonie et décrétée hors d'atteinte de la volonté des humains. Le fondement hétéronome s'impose en médiation entre les individus et les groupes. Ce faisant il dévore, voire interdit ou mutile leur coopération créative. Ainsi, dès lors que l'hétéronomie pseudo-démocratique absorbe jusqu'au "vouloir" collectif en extrapolant ce dernier comme absolu extra-social originant le "pouvoir" qu'elle s'arroge, le "vouloir" collectif ne peut plus alors se dire, se faire et se constituer que dans une sorte d'illégitimité radicale. Voilà le point où nous en sommes. Voilà en quoi nous sommes dans l'oeil du cyclone et pourquoi nous sommes idéologiquement impuissants. Or ce vouloir collectif persiste, et d'autant mieux qu'il constitue la seule véritable instance productrice de l'autocréation sociale-historique : processus que Castoriadis désigne par autonomie.

La problématique a ceci de neuf en ce qu'elle s'impose par la mondialisation réalisée. C'est bien là aussi la raison de la formidable résistance réactionnaire qu'oppose à l'autonomie, qu'elle a elle-même favorisée par sa cupidité, l'offensive délirante de l'hétéronomie actuelle : brandi par elle comme moteur extra-ordinaire de l'histoire, le prédicat technologique coagule aujourd'hui les chimères les plus aberrantes (biotechnologies, etc.). Mais, qu'il s'agisse d'éducation, d'information, de culture ou de science, l'hégémonie occidentale a eu un effet positif dont nos pensées ne peuvent faire l'impasse sans se scléroser (au mieux) ou se fasciser (au pire). Les outils imposés par l'Europe au monde ont favorisé la constitution de savoirs, de propositions et de critiques formidablement créateurs. La culture occidentale se garde bien de les diffuser, qui inonde les rayons de ses hypers des "Pensées pour moi-même" de Marc-Aurèle : un empereur chez Auchan, voyez la démocratie, et philosophe "de chevet"... Ah, ces pensées "pour moi-même" seulement ! Qui ne déborderont jamais le halo sur l'oreiller de la veilleuse du despote en chambre : parfait vade mecum de l'individu solipsisé par la norme du "battant certes et killer faut bien, mais attention, propre dans ma tête : moi mon modèle c'est Marc-Aurèle"...

Penser l'hétéronomie, c'est-à-dire la perversion politique du milieu humain, est nécessaire à l'autonomie de la réflexion et à toute pensée de l'autonomie. Néanmoins, une condition à une critique de l'hétéronomie et à la réhabilitation de la multiplicité - des approches, des vérités et des réalités, des systèmes et des propositions, etc. - s'impose : celle de la conscience que, pour pouvoir être intellectuellement prise en compte, la pluralité doit exclure toute hiérarchie de valeur. L'hétéronomie ne peut être déconstruite que par l'égalité des multiples éléments qu'elle prétend écraser au moyen de sa loi, loi que la règle du marché aujourd'hui subordonne à ses intérêts comme autrefois le religieux aux siens :

"Ramener le "marché" à des comportements maximisants d'individus rationnels fait d'une part tomber du ciel de tels individus et néglige d'autre part les conditions social-historiques de la véritable IMPOSITION du "marché" comme INSTITUTION"(9).

-  Jalons historiques

La pensée de l'autonomie, celle de la légitimité du multiple EN TANT QUE TEL, disséminé, polysémique et ouvert (et non fantasmé comme reflet dégradé d'une unité close dans la perpétuité de sa perfection), n'est pas absente de la philosophie et cela bien en aval de Kant. Sans remonter aux présocratiques et aux matérialistes hindous antiques(10), la base en serait selon Agamben "l'averroïsme, avec la pensée de l'unique intellect possible commun à tous les hommes, très précisément en ce point où Dante, dans le "De monarchia", affirme l'inhérence d'une MULTITUDO dans la puissance même de la pensée"(11). Le premier essai, éclatant, d'une conception structurée et dynamique de l'autonomie suit de près avec la théorisation de la pluralité des mondes de Giordano Bruno(12). Dans le champ de l'Humanisme renaissant (qui n'a rien à voir avec notre humanisme de la tolérance molle), Bruno s'oppose alors aux Utopies (Cité du Soleil de Campanella, Utopies de More et Bacon) qui garderont, elles, le haut du pavé de la tradition philosophique officielle en transmettant leur pattern hétéronomique aux utopies révolutionnaires : exaltation de l'élite éclairée DONC autoritaire, condition sine qua non de la "bonne gouvernance".

C'est Vico, précurseur italien des Lumières (il meurt lorsque Kant a vingt ans) qui pose, dans ses "Principes de la philosophie de l'histoire", les prémisses d'un concept de praxis historique auto-créante impliquant l'autonomie. Certes, en affirmant que le vrai et le fait humain se convertissent l'un l'autre et que seul tout ce que nous avons fait est intelligible, Vico ouvre l'ère de la rationalité toute puissante que Hobbes consacrera. C'est l'extension immédiate du Cogito à l'agir collectif. La psychanalyse et la linguistique n'auront pas de peine à contredire Vico - il ne nous est pas nécessaire de ³faire² quelque chose pour comprendre cette chose : à preuve le langage qui, bien que création collective humaine, n'a pas été "fait" consciemment par les hommes - il les fait plutôt et n'a pas besoin d'être refabriqué pour être compris(13). Néanmoins, Vico, dans les limites que l'épistémè de son époque lui autorise, ouvre une brèche immense aux pensées d'émancipation collective face à l'hétéronomie alors ancrée en Europe - tant par l'Eglise et l'absolutisme que par les courants néoplatoniciens et néoaristotéliciens hérités d'un humanisme rechristianisé par la Contre-Réforme -, en posant l'existant simultanément comme objet et limite du champ de connaissance et récusant tout présupposé essentialiste directeur.

Dans les hypers j'ai cherché Bruno, Vico, Démocrite. Rien. J'ai cherché Fanon, M'Bembe, Saïd, Gloria Munoz et sa quête "d'un monde dans lequel peuvent tenir tous les mondes"(14). Nada. J'y ai découvert Spinoza, Hobbes et Locke cotoyant les Lumières, de Kant à l'amoureux de Frédéric qui légitime un despote hégélien sans doute éclairé par les cyniques lueurs voltairiennes et en passant par ce pauvre Rousseau devenu assistant d'éducation (alors que son oeuvre concentrait à l'époque le potentiel révolutionnaire). Le Léviathan et Marc-Aurèle prototype du despote individuel éclairé : la philo des hypers meurt en 1788. S'ouvre alors sur les rayons le règne du Roman. La date n'est pas gratuite.

Il fut une révolution des Lumières autrement plus porteuse d'autonomie que les contenus des philosophies connues sous ce terme. Les Lumières françaises voulurent conjuguer deux courants, en fait déjà inconciliables, l'un réformiste, à partir du modèle de la monarchie parlementaire rétabli par la Restauration anglaise (1663), dominé par Hobbes et Locke et guidant l'évolution capitaliste, l'autre qu'on qualifiera de révolutionnaire et qui porta, en pratique et pour la première fois dans l'histoire, un coup fatal à l'hétéronomie : il s'agit de l'Encyclopédie(15). La révolution encyclopédique consista en trois innovations. La première fut d'abolir toute hiérarchie dans l'ordre du langage en choisissant l'ordre abstrait et neutre de l'alphabet pour décliner chaque élément de l'épistémè que l'Encyclopédie s'efforçait de constituer. On a peine à imaginer que l'ordre alphabétique put constituer une révolution. Or, il rompait avec la hiérarchie lexicale imposée par l'Eglise et dominée par l'EXCEPTION A LA REGLE, le "Verbe-Personne" Être (16) qui générait de subrogation en subrogation tous les objets linguistiques (Robespierre réinstituera cet avatar du divin par le culte de l'être suprême). Par l'Encyclopédie, les objets propres à un peuple colonisé (sagaie, totem et minaret) ou relevant de la sphère, elle aussi "inférieure", de la technè (du plan de l'architecte à l'anatomie du vagin) se retrouvèrent à égalité avec la croix, l'Etre et le trône.

La seconde innovation, corollaire à l'égalité alphabétique, fut celle du "portatif", autrement dit l'ancêtre du livre de poche. La troisième, celle de l'art du fragment qui, en littérature, brisait lui aussi l'organisation hétéronome du "beau".

Ces innovations ne furent pas des "applications" des théories des Lumières : initiatives autonomes, créations sociales immédiatement pratiques, elles furent des actions directes écloses à la faveur d'une ébullition sociale engageant les gens dans l'intellect. Hélas : le renversement alphabétique reste éclipsé par le scintillant Dictionnaire philosophique de Voltaire qui réduisait l'alphabet au spectacle - déjà - du gag croustillant.

Européens, nous sommes psychiquement et socialement constitués par ces innovations de la praxis des Lumières bien plus profondément que par les théories qui leur sont associées. Car c'est dans les démêlés de la praxis instituante avec l'hétéronomie de l'ordre que nous nous constituons comme individus sociaux, penseurs et créateurs. Ce n'est pas l'hétéronomie, fût-elle bien pensée ou bien pensante, qui nous constitue. Ce fut en permettant d'inscrire la praxis dans le champ social pour le transformer que les Lumières furent éclairantes. D'ailleurs ne sont-elles peut-être "lumières" qu'à ce titre. Il est curieux qu'on ne se tourne que vers leur aspect théorique, en clair hétéronomique - "vérité" fondant un juste pouvoir -, et qu'en soient occultés cet essor, cette réalisation de la volonté pratique, autonome et collective, sans laquelle aucune révolution n'est possible(17).

On peut réinventer les Lumières, on peut les réactualiser. Mais cela ne reproduira pas ce qu'a généré l'Encyclopédie. L'hétéronomie certes peut se répéter - d'ailleurs en général, effectivement elle radote. Mais pas l'autonomie, par définition même.

Il faut s'arrêter sur la justification de l'hétéronomie par les Lumières, dont l'un des leviers fut, rappelons-le, l'urgence d'une démocratisation nécessaire à l'expansion capitaliste. Il y eut là-dessus consensus total entre tous les auteurs : peu remirent en cause le principe extra-social, ontologique, d'une fondation hétéronomique de l'ordre social. "L'Esprit des lois" se borne à déplorer la tendance "naturelle" (nature sémantique ?) de tous les pouvoirs : tendre mécaniquement à l'abus de pouvoir(18). Seuls Marivaux et Rousseau oseront poser la question (Lessing d'ailleurs, à ce titre, reconnaîtra en eux les seuls auteurs dignes d'intérêt des Lumières françaises). Marivaux reste exceptionnel, d'abord parce qu'il n'est pas philosophe mais dramaturge (Bruno le fut aussi) et que le théâtre lui permet de mettre en place un dispositif, véritable laboratoire d'exploration qui met en jeu égalitaire tous les éléments du langage (jusqu'aux déictiques), les catégories sociolinguistiques et par là les conditionnements de classe. L'attaque de Rousseau reste timide, qui paraphrase Platon en mettant en doute, dans la première version du Contrat social "celui qui se CROIT capable de former un peuple...", supposant l'incapacité de l'hétéronomie à générer une organisation socialement juste(19). A leur suite, Saint-Just développe une étonnante réflexion libertaire mais fige la liberté en la réduisant à la "crise" et en sacralisant l'institution, garante ad perpetuam du fondement nouveau que l'autonomie aura généré(20). Cela provoquera la première des grandes catastrophes hétéronomiques issues d'une révolution : la toute-puissance des institutions impériales dont la France est encore pétrie et qui persistent à être soustraites à la critique. Associées aujourd'hui aux exigences libérales du capitalisme en Europe, les superstructures conjuguées héritées du despotisme éclairé (en Allemagne) et de la rigidité institutionnelle (en France) menacent d'accoucher d'une nouvelle monstruosité hétéronome - clairement autoritaire.

-  Actualité et perspectives

Depuis les Lumières, la critique de l'hétéronomie a été largement approfondie par la philosophie : de Wittgenstein et sa déconstruction de l'ordre du discours comme structure de prédétermination des contenus de la conscience à Deleuze qui brise la stabilité illusoire de l'unité conceptuelle, en passant par Agamben méditant sur la mortalité génératrice du langage et le principe d'auto-création sociale-historique via les significations imaginaires sociales de Castoriadis. Ceci pour ne parler que de quelques lumières européennes du 20e siècle parmi beaucoup d'autres. Mais, pas plus qu'Arendt, Benjamin ou M'Bembe, on ne les trouve sur les démocratiques rayons - il y a visiblement des lettres de l'alphabet qu'ils ignorent - des hard-discounters.

Voilà au contraire qu'on ressort l'Ethique spinozienne. Quelle en est la pertinence ?

"Chez Spinoza, Multitude, au SINGULIER, est un concept de composition de puissances, source de tout pouvoir politique en tant qu'il suppose toujours des puissances en action, concept qui autorise en même temps de penser la résistance au pouvoir lui-même, pouvoir d'Etat qui exprime les puissances (pouvoirs de pensée et d'action des individus) et s'en sépare à la fois. Un pouvoir politique, "pouvoir sur", qui peut à tout moment tenter de couper les puissances d'elles-mêmes, affaiblir les individus, les priver de leurs potentialités. Dans le concept spinoziste de multitude, le politique comme "pouvoir sur" les individus et la politique comme "pouvoir de", puissance des individus, s'affrontent, mais sur fond d'une ontologie de la puissance qui reste première. [...] Qu'est-ce qui fonde ces puissances ? De quoi sont-elles l'expression ? Il faut alors penser la Substance, la Nature, un Dieu immanent"(21).

La tentative spinozienne d'une approche de l'autonomie reste donc soumise à un principe transcendantal fondant l'hétéronomie. Et comme le remarque Castoriadis, le mythe de la (re)fondation relève aussi, en philosophie, de la tentation hétéronome. Cette mythification répondrait à une bien étrange angoisse, à laquelle a priori on ne s'attendrait pas :

Dans la position philosophique traditionnelle comme dans le préjugé populaire, ce qui va de soi et ne demande pas d'explication c'est que les choses se corrompent, meurent et passent. Ce qui fait scandale, c'est la création ; donc, la création n'existe pas - si ce n'est comme acte divin une fois pour toutes à l'origine des temps. L'idée que l'histoire de l'humanité puisse être une création continuée est rigoureusement impensable dans la pensée héritée. En revanche, que les institutions et les régimes disparaissent ne semble poser aux gens que des questions solubles. Or, la mort des formes pose un problème aussi formidable que leur émergence. L'institution de la majorité des sociétés connues a été hétéronome. Dans certaines, dont la nôtre, ont été créés des germes d'autonomie. Qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui la plupart des significations imaginaires qui tenaient cette société ensemble semblent s'évanouir sans que rien d'autre ne vienne à leur place ?" (22).

Autrement dit, nous savons que nous mourrons mais nous ignorerions que nous naissons (voilà qui pourrait éclairer le "noeud gordien" articulant dans nos psychismes l'hétéronomie à la sexualité - hypothèse que nous n'avons pas la place de développer ici).

Si, paraphrasant l'affirmation adornienne "tout artiste doit pouvoir disposer de la totalité du registre atteint par son époque"(23), tout individu pensant doit aussi disposer, pour penser librement et EFFECTIVEMENT, de la totalité de ce qui est pensé, alors les bras nous en tombent d'épuisement. L'hétéronomie dévorante du rationalisme capitaliste interdit cette universalité et condamne la pensée au morcellement isolationniste. Autant pourrait-on conclure que, destruction de l'instruction publique aidant, elle est vouée à peau de chagrin entre culte de l'intersubjectivité et de la communication (de Husserl à Habermas et dont Raffarin se pare (24)), bidouillages techno-bourdieusiens de l'accomodation déplorative qui banalisent le capitalisme par l'extension abusive du terme, ainsi vidé de sa portée fonctionnelle, en parlant de "capital culturel, capital social, capital intellectuel", emboîtant là le pas à la stupidité médiatique la plus sordide (votre "capital-santé, capital beauté", etc.), philomédiocrates à la botte de l'ordre (Comte & Ferry), coopératives libertaires de la surface émancipée (Onfray) et autres refondations de sentiers lumineux qui relookent Looke. Les cafés-philo se sont effondrés dans l'abîme séparant les prétentions théoriques à établir une vérité porteuse d'organisation sociale du sentiment collectif de la totale impuissance pratique de ces vérités : la praxis en Europe n'est qu'embryonnaire, elle se constitue pour l'instant dans le rejet de l'arbitraire hétéronome et n'a pas franchi le cap de l'autonomie. En revanche, le pas se franchit en Amérique du Sud et en Afrique : d'où les terribles pressions que ces continents subissent de la part des ³démocratiques lumières² occidentales pour leur imposer la solution du vieil Hobbes qui inspira la Constitution américaine :

"La multitude, AU SINGULIER, est pour Hobbes un vrai concept dans un système de pensée rigoureux qui avance, logiquement, vers le principe d'autorisation ("nous autorisons le souverain à gouverner à notre place"), la création artificielle du souverain, l'édification de la grande machine étatique moderne. La multitude, au singulier, [...] n'est même pas encore le peuple. C'est le pré-peuple. Entre la multitude et le peuple apparaissent les citoyens au moment où fictivement (par le jeu d'élections démocratiques), ils quittent volontairement l'état de multitude pour autoriser un souverain (un Etat absolu) à gouverner. Selon Hobbes, la multitude pré-existante ne saurait disparaître : rien ne peut empêcher que les hommes manifestent le désir de persévérer dans leur être et agissent en conséquence, visant à s'approprier les objets de leur désir. Dès lors, comme image, la multitude (au singulier), devient le risque de chaos, le désordre toujours potentiel. [...] Le grand problème soulevé par la solution qu'il propose : l'asservissement du peuple au nouveau pouvoir d'Etat, qui, pour lui, ne peut gouverner que sur la base d'un pouvoir absolu"(25).

L'hétéronomie ne reconnaît de pluriel qu'au singulier. La corruption bat son plein et X-Files martèle que la vérité est ailleurs. Nous voilà "enfermés dehors"(26) - NOUS, volonté collective ici et maintenant auto-constituée et créatrice au nom de laquelle l'hétéronomie s'auto-justifie. Elle nous a exilés en Absolu. Elle ne nous a pas volé seulement "tout ce qu'ils ont", elle nous a volés NOUS. Mais voilà qu'ainsi le dieu dévoile son néant : nous comprenons enfin, dans nos chairs broyées par le mensonge quotidien d'un ³pouvoir² qui vampirise nos existences pour alimenter sa légitimité, comment s'élabore l'inutile escamotage de nos libertés, dans ce temps si court qui devrait être celui de nos bonheurs, par le dieu, l'essence ou le principe, seuls censés être sources d'ordre par enchantement, dans l'illusion de la magique, souveraine et singulière autonomie du seul concept...

Et dire que ce sont des "autres" que nous traitons d'animistes... Or, cette division et cette exploitation conceptuelles qui retournent la démocratie contre elle-même et peu à peu la détruisent constituent le corollaire exact, imaginaire et symbolique, de l'exploitation capitaliste du travail :

"C¹est la société du travail qui abolit le travail. [...] L¹histoire du capitalisme est l¹histoire du remplacement du travail vivant, humain, concret, par le travail abstrait en tant que source de valeur et par des machines : ce qui intéresse le capitalisme n¹est pas seulement le travail en tant que tel mais le travail productif de valeur, le travail abstrait [...]. Le système capitaliste, dès le départ, sape donc ainsi ses propres bases, scie labranche surlaquelleilest assis. [...] La technologie ne permet de réduire le nombre de travailleurs productifs que parce qu¹elle permet d¹augmenter la productivité - mais en même temps cela diminue la valeur du travail abstrait [moins d'heures de travail = moins de valeur marchande, donc il faut augmenter la consommation, NDLR]. [...] Ainsi les travailleurs des secteurs publics n¹effectuent pas de travaux productifs au sens capitaliste, parce que l¹argent n¹y est pas investi : il n¹y a pas de retour de capital"(27).

Cette convoitise d'un champ de travail concret vierge de toute exploitation abstractive vient de gouverner la colonisation du secteur public par le capitalisme via l'AGCS. L'effondrement des institutions démocratiques qui s'ensuit obéit à une logique implacable, l'Etat (l'hétéronome en place) s'étant promulgué garant de la chose publique. Or le "jeu démocratique" est impératif à l'expansion du marché - à l'accumulation. C'est donc la base même du capitalisme qui est dans une crise grave :

"Et ceci parce qu'il s¹est sabordé lui-même - non par volonté suicidaire mais parce que cela était écrit dans son code génétique, dès sa naissance : dans une société qui posait le travail abstrait comme source de richesse, il y avait déjà un contenu, une dynamique, qui devait, un jour ou l¹autre, mener à la situation d¹aujourd¹hui, où seul le travail crée la richesse mais où le processus productif n¹a plus besoin de travail"(28).

L'abstraction qui détruit le travail en l'opposant à lui même et celle qui déchire individu ET collectivité en s'arrogeant leur valeur (leur liberté) sont une seule et même logique. C'est aussi ce que prouve la faillite des Etats marxistes : elle met à nu le vice constitutif de l'hétéronomie auquel ces Etats sont restés référés et qu'ils ne purent détruire. Car, de même que l'abstraction du travail en valeur abstraite détruit le travail, l'abstraction hétéronome de la praxis sociale en "démo/cratie" dissout le social institué : nous voici nous-mêmes, Demos "avatarisé" en Kratos, dans la posture - l'imposture - du dieu, de l'essence, du principe : l'hétéronomie révèle sa nature en nous engageant à nous dévorer nous-mêmes. Elle nous dissocie chacun de manière perverse, soumettant nos libertés à cette part abstraite de nous, sacralisée en fondement extra-social et nous obligeant à déléguer du "pouvoir" - en réalité notre capacité même à créer le social. Cette déchirure se propage et nous morcelle en fragments atones :

La scission marxienne de l'homme et du citoyen est remplacée ainsi par celle entre la vie nue, porteuse ultime et opaque de la souveraineté, et les multiples formes de vie abstraitement recodifiées en identités juridico-sociales (l'électeur, l'employé, le journaliste, l'étudiant, mais aussi le séropositif, le travesti, la porno-star, la personne âgée, le parent, la femme)(29).

La dérive, aujourd'hui, de ce morcellement dans l'ostracisme et l'onoma ("sans-nom" des séropositifs, des sans-papier, des RMAstes...) éclaire tragiquement alors, pour qui a des yeux pour voir, la nature réelle de l'hétéronomie : "la tradition des opprimés nous enseigne que L'ETAT D'EXCEPTION dans lequel nous vivons EST LA REGLE"(30).

Comment retourner cet envers, sortir de l'exil et réintégrer le monde ? Toute transaction avec l'hétéronomie ne fera que reculer l'inéluctable échéance de la révolution qui devra réaliser en une seule et même libération l'abolition du capitalisme et de l'hétéronomie. On est mal partis, contraints à ignorer, avec les acquis à l'oeuvre dans la praxis sociale depuis des siècles, les percées des penseurs de l'autonomie de tous horizons. S'il est nourri au seul fast-food autorisé, celui qui s'affronte à Différence et répétition de Deleuze, aux Carrefours du labyrinthe de Castoriadis ou à la Post-colonie d'Achille M'Bembe(31) aura illico le sentiment de ne savoir plus ni lire ni écrire. Ou, plutôt, qu'on ne lui a jamais vraiment appris à lire. Cela, je l'ai ressenti. Et si NOUS ne faisons rien, cela nous sera de moins en moins appris - voir les normes éducatives du libéralisme à l'oeuvre. Il n'y a rien à attendre de l'hétéronomie. Nos multiples pensées sont vitalement nécessaires à l'humanité entière et PAR ELLE à chacun d'entre nous. Cela, on le sait au moins depuis Dante :

"Puisque la puissance de la pensée ne peut être intégralement et simultanément réalisée en acte par un seul homme et par une seule communauté particulière, il est nécessaire qu'il y ait une multitude à travers laquelle cette puissance soit réalisée"(32).

-  Agamben concluait - en 1993 - :

"Face à la souveraineté de l'Etat, qui peut s'affirmer seulement en séparant dans chaque domaine la vie nue de sa forme, (les pensées) sont la puissance qui incessamment réunit la vie à sa forme ou empêche qu'elle s'en dissocie. La différence entre la simple et massive inscription du savoir social dans les processus de production et l'intellectualité comme puissance antagoniste passe à travers l'expérience de cette inséparabilité. Partout où se montre l'intimité de cette vie inséparable, dans la matérialité des processus corporels ainsi que dans la théorie, et seulement là, il y a pensée. C'est cette pensée qui doit devenir le concept-guide de la politique qui vient"(33).

Mais prétendre à une pensée "vraie" de l'autonomie serait un piège vicieux. Ce qu'il faut construire, ce sont DES pensées des CONDITIONS COLLECTIVES DE L'AUTONOMIE - et réaliser l'inventaire des formes de l'hétéronomie, les traquer dans les prétentions théoriques dont notre humanisme mou est si généreux. Car en aucun cas l'autonomie auto-instituante, "vouloir" humain créateur, n'est l'application de présupposés théoriques aussi lumineux soient-ils. Elle se tisse dans, à travers et par le vécu collectif et concret des gens. La praxis n'est pas application de vérités d'expertise mais auto-création sociale. C'est EN ELLE que grandit la philosophie, ainsi que le montre l'histoire de la philosophie même : "la pensée est quelque chose qui succède aux difficultés et précède l'action"(34). La pensée n'est pas "ailleurs", en dehors ou au-dessus. Elle ne serait alors qu'autoproclamation de ces "quelques-uns qui se permettent de penser pour les autres"(35).

Le chaos n'est pas où on le dit : si chaque individu est capable d'inventer des lois, nul ne saurait en inventer seul L'IDEE, précise Castoriadis. C'est la praxis sociale en soi, auto-instituante en tant que collectif, qui IMPLIQUE l'idée de la loi. L'idée de la loi ne tombe pas du ciel, vérité hétéronome révélée à des initiés : elle est collectivement produite par les sociétés polymorphes comme la condition même de leur autonomie. Le chaos consiste donc dans la confiscation, par l'hétéronomie et à son profit, de cette idée collective de la loi. Et certainement pas dans l'expropriation de cet abus et l'exclusion de l'hétéronomie.

Il faut diffuser dans la plus complète égalité les propositions produites par les millions de penseurs au monde (le nombre étant, malgré nos temps d'âneries, espérons-le, en augmentation). La théorie de la critique de la valeur élaborée par la revue allemande Krisis témoigne de la réalité du travail entrepris en Europe. Nous ne sommes donc pas, ici et maintenant, dans l'obscurité. Mais j'accorde qu'il faut VOULOIR regarder du "côté décrété obscur" par la tradition de l'hétéronomie garnissant les rayons des hypers.

Penser, cela implique aussi de nous réapproprier le temps que le système nous vole. Il faut du temps pour penser. Il faut faire grève pour penser. Cela implique de lui reprendre les moyens d'existence qu'il nous dévore car il faut être en sécurité physique pour penser. Cela implique de briser toute forme de sujétion et d'ignorance - notamment celles opprimant les femmes : il faut être libre pour penser. Cela implique d'assumer l'illégitimité à laquelle l'hétéronomie démocratique condamne nos existences, en tant que collectif créateur, en nous renvoyant à l'état d'abstraction qu'elle manipule à son profit. Illégitimité d'un combat légitime ( !) qui renverra définitivement l'hétéronomie à l'iniquité. Car nous n'avons plus le choix : c'est d'une véritable castration collective dont cette mutilation nous menace. Elle est d'autant plus effroyable qu'elle se dévoile sans issue, invivable et d'abord fondamentalement idiote :

"L'état de choses existant est intenable à long terme parce qu'il est POLITIQUEMENT autodestructeur. Il produit une glaciation grandissante faite d'apathie et de privatisation ; il disloque les significations imaginaires sociales qui assurent la cohésion des institutions. Une société cynique et apathique est incapable de maintenir longtemps même les quelques institutions libérales qui subsistent aujourd'hui. En outre, une société libérale fondée sur la quête implacable de l'intérêt personnel relève de l'absurdité pure et simple"(36).

Il n'est pas besoin d'UNE philosophie, méthode ou modèle de l'autonomie : ce serait un non-sens. Ce qu'il faut élaborer, pardon de me répéter, ce sont DES pensées DES CONDITIONS de l'autonomie. C'est au-delà que surgiront, de la praxis de ces conditions, le langage et les pensées qui permettront AUX GENS de "penser leur pluriel pensant" à l'écart des vains fétiches de l'unité. Ces formes sont pour l'instant hors de notre portée, tant aveuglés d'hétéronomie nous sommes. La rupture avec la tradition officielle de la philosophie comme production de vérités perpétuant l'hétéronomie s'impose à chaque esprit libre. Le prototype en eut lieu au 19e siècle dans le "clash" Marx/Bakounine, entre hétéronomie marxiste et "poïétique" libertaire (terme grec par lequel Castoriadis définit la praxis) :

"L'homme n'est homme que comme collectif - sa liberté même produit de la collectivité [...] Il ne devient homme que par la société, et le plus grand génie que par le concours de tout le monde [...], le fonds accumulé du travail des générations présentes et passées. [...] Aucun individu ne peut reconnaître et réaliser son humanité qu'en la reconnaissant et en concourant à sa réalisation dans autrui. Je ne m'émancipe qu'en émancipant tous les autres - je suis libre par leur liberté et esclave de leur esclavage"(37).

Cette rupture reste toujours d'actualité - toujours à approfondir, à élargir et à ENGAGER.

"Nous avons décidé que nous voulons être libres et cette décision EST DEJA la première réalisation de cette liberté"(38).

1. Cornélius Castoriadis, Figures du pensable, Paris, Seuil 1999, pp. 131-1322.

2. Article de Valéry Rasplus " Qu'est-ce que les Lumières aujourd'hui ?"

3. Article de Anne Vernet " Au-delà du capital "

4. Oswald Ducros & Jean-Marie Schaeffer, Dictionnaire encyclopédique du langage, Paris, Seuil 1995 p. 308.

5. "Faits de langue" n° 3, "La personne", mars 1994, Bernard Colombat : "Personne et histoire de la linguistique" - sur Origène et la grammaire médiévale p. 27

6. Castoriadis, op. cit. p. 132

7. Les réformes des structures universitaires et scientifiques (LMD, LOPRI, ANR, Charte européenne) détruisent toutes les conditions d'une autonomie de la pensée et de la recherche pour instrumentaliser la science au profit de l'hétéronomie marchande.

8. Castoriadis, Le Monde morcelé, Paris, Seuil 1990, p. 59

9. Castoriadis, Figues du pensable, op. cit., ibid.

10. Marc Ballanfat, Les Philosophes matérialistes de l'Inde antique, Paris, 1998, L'Harmattan.

11. Giorgio Agamben, Moyens sans fins, - notes sur la politique, Paris, Rivages/Payot 1995, p. 21

12. Giordano Bruno, Le Souper des cendres, Paris, 2000, Les Belles-Lettres. Egalement dramaturge, Bruno est l'auteur d'une "mise en comédie" superbe de sa théorie, Le Candelaïo.

13. Critique portée à Vico par Castoriadis in Le Monde morcelé, op. cit. pp. 47-48

14. Gloria Muñoz Ramírez, El fuego y la palabra (Le Feu et la parole), Mexico 2003,, Rebeldía y La Jornada.

15. L'Encyclopédie fut réalisée sous l'égide de Diderot et surtout de d'Alembert, intime de Marivaux : l'oeuvre théâtrale de ce dernier doit être comprise comme s'inscrivant dans la praxis encyclopédiste des Lumières.

16. "Faits de langue" n° 3, op.cit., Bernard Colombat ibid.

17. Je renvoie aux travaux de Philippe Roger, DR à l'EHESS (Critique des Lumières, entre poétique et politique) - voir : "L'homme des Lumière de Paris à Saint-Pertersbourg", EHESS 2001, collectif sous sa direction.

18. Il faut rendre justice à Montesquieu de sa 21e Lettre persane, où il affirme la légitimité du suicide (la mort de Roxane), ce qui récuse de fait la toute-puissance de l'hétéronomie. La lettre XXI sera immédiatement interdite et brûlée en autodafé public.

19. Je m'écarte de Castoriadis qui rabat le propos rousseauiste sur la légitimation platonicienne de l'hétéronomie ("le terrain sur lequel Platon et Rousseau se rejoignent est l'équivalent philosophique de l'imaginaire de l'hétéronomie"). Il est vrai que "la nature" tient lieu, chez Rousseau, de référent extra-social. Toutefois, son malaise à cet égard est patent - et assez honnêtement assumé par le doute et l'écart relatif dans lesquels il tient la question de l'origine légitimante.

20. Saint-Just, Oeuvres Complètes, Folio histoire, Gallimard 2004

21. Philippe Zarifian, "Echelle du monde, crise de civilisation, peuple et luttes", texte inédit gracieusement diffusé par l'auteur au sein du groupe "Rezorecherche", Avril 2005.

22. Castoriadis, Figures du pensable, op. cit. p. 121

23. Theodor Adorno, Théorie esthétique, Paris, 1972, Gallimard - cité de mémoire.

24. L'Ecopar se rattache à ce courant philosophique se réclamant de ³l'autonomie², en posant la norme morale du "contrôle réciproque des individus" dont je dénonçais le caractère fascisant larvé dans "Au-delà du capital".

25. P. Zarifian, ibid.

26. Clin d'oeil à l'ami Jimmy, passeur de cette belle formule que les enfants emploient quand ils ont oublié les clés de la maison.

27. Anselm Jappe, intervention au Forum social du Pays basque, février 2005 (inédit). Philosophe allemand et membre du groupe Krisis, auteur des ³Aventures de la marchandise. Pour une nouvelle critique de la valeur », (Denoël 2003) - voir aussi « Manifeste contre le travail » par le groupe allemand Krisis (Folio 10/18) -.

28. Ibid.

29. Giorgio Agamben, op. cit. p. 17

30. Walter Benjamin in G. Agamben, op. cit. p. 16

31. Achille M'Bembe, De la post-colonie, 2000 Karthala - psychanalyste et historien camerounais, directeur de recherches en sciences sociales, MBembe enseigne également aux USA.

32. Dante, De monarchia, cité par G. Agamben, op. cit. p. 21

33. G. Agamben, op. cit. p. 22-23

34. Brecht, in Werner Hecht, Entretiens avec Brecht, Paris, 1969, Messidor - cité de mémoire.

35. Hannah Arendt, La Crise de la culture, Paris, Gallimard - cité de mémoire.

36. Castoriadis, Figures du pensable, op. cit. p. 131.

37. Michel Bakounine, Oeuvres Complètes, Paris, 1973, Champ Libre, Tome 1, pp. 87-89

38. Castoriadis, Le Monde morcelé, op. cit. p. 69 . Sur une critique des dérives de la démocratie contemporaine, voir aussi Luciano Canfora, L'imposture démocratique, Paris, Flammarion 2002.

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