La Philosophie à Paris

728. L’important est d’être capable de quelque chose et non pas que votre voisin puisse voir ce quelque chose à votre place.

20 Février 2013, 13:32pm

Publié par Anthony Le Cazals

Nous sommes passés d’une civilisation judéo-grecque et chrétienne où les valeurs étaient le Vrai, le Beau, le Bien à une culture de haute définition où toutes les valeurs se forgent dans le creuset de la mouvance, du vif, de l’intensité, de l’intéressant et de l’important. De la civilisation judéo-chrétienne, on peut dire que ses justes et ses prêtres prônaient le désintérêt. Il y avait un intérêt à lasser par les longs discours. Ah ! Tout philosophe au départ est malade et use d’une thérapeutique, souvent enseignée par un maître, mais celui qui ne rompt pas avec son école demeure au fond une « âme timorée », un maladif, un décadent, un hémiplégique de la puissance, un retourneur de pouvoir qui réprime, un sujet plein de sujétion, un esclave qui imite la parole du « maître », qui lui-même est esclave de son propre système 711. Il « se ment à lui-même » NzA°9 sur sa propre nature. Il se tient dans le déni. Il triche avec le système plus qu’il ne le trahit dans un geste intrépide, et comme toute grande époque est fonction de la liberté qu’elle s’autorise, que s’autorisent ceux qui y vivent, alors la boucle est bouclée. Une culture suivant la manière dont elle se dresse, recherche avant tout ce qui lui importe et l’enrichit : l’attrait et l’énergie. L’attrait nostalgique pour l’existence intense et pour la dépense d’énergie disparue — nommée « origine » — cherche par un discours à avoir raison des belles âmes 518d/715, chaque fois que les intensités et l’énergie du vif 530 sont à distance. Ceci se produit quelques rares fois dans une culture bouillonnante pour la retourner en civilisation figée. À chaque fois qu’un saut remet en cause l’ordre. Cela s’est vu peu après la Grèce du Ve siècle et peu après la Renaissance du xve siècle. Pourtant Platon connaissait cette ornière puisqu’il notait que nous nous rendons malheureux parce que nous ne savons pas ce qui a de l’importance. Cela vaut d’autant plus si nous nous attardons et nous nous attristons sur la « vérité » professée. Ne fait-il pas dire à Socrate dans le Phèdre que tout grand « bien » ne nous tombe dessus que par un délire. Le délire et la capacité d’énergie qui en découle auraient-ils plus d’importance que les petits « biens » que nous gardons jalousement en notre propriété ? Ainsi se retrouve posée l’éternelle fracture entre la Vérité et ce qui a de l’importance. Or ce qui est trop précis n’a aucune existence. Toute époque qui aperçoit sur le versant en pleine lumière les multiples voies qui lui sont offertes — toute époque à conjectures — est une époque d’aurore, c’est-à-dire une époque capable d’indiquer ce qui pour elle a de l’importance. De là découle une culture plus qu’une civilisation capable de se libérer et d’augmenter sa capacité d’énergie. Sur l’autre versant — non celui en pleine lumière mais celui qui sent venir le déclin crépusculaire — la culture n’est alors plus capable de digérer les grandeurs passées, de les synthétiser et elle préfère se raccrocher aux valeurs ancrées dans nos cerveaux comme de vieilles habitudes. Souvent cela se passe à la troisième génération quand on a perdu le lien avec ce qui fait source et que l’on produit un discours cherchant l’« origine » masquant ainsi l’énergie. Ceci s’est produit par exemple, avec la pensée « matérielle » (Noûs) d’Anaxagore que Platon et Aristote ont spiritualisée. Ceci se produit certainement chaque fois que nous sentons les grandeurs passées nous filer entre les mains et qu’il ne reste plus comme possibilité que de les inscrire dans des textes, Il en a été ainsi au ivème siècle de Platon et Aristote. Dans le jeu en rivalité de la Vérité et de l’importance — ce qui n’a été perçu que par quelques-uns comme Spinoza, Nietzsche, Deleuze avec Foucault et Guattari — ont émergé deux tendances de la philosophie. Ces deux tendances de la philosophie, dont nous avons déjà parlé, sont d’un côté la philosophie dogmatique qui devient très vite académique et d’autre part la philosophie tragique ou expérimentale. Dogmatique veut dire qu’elle obéit à un principe dont elle ne déviera pas mais qu’elle ne découvre qu’à la fin : elle voit toute existence comme corrompue dès lors qu’elle n’est pas guidée par le bien. Académique, veut dire que cette philosophie est décadente par rapport à la mouvance qu’elle a été. Sous l’académisme se sont regroupés en école les résignés, les décadents, les maladifs. Par tragique, il faut entendre ce qui accomplit une démarche par delà les contradictions et va jusqu’au bout d’un combat avant de se reposer, tel un guerrier. C’est précisément au bout de l’activité que se trouve l’éternité vécue. Cette éternité est une danse vivante et ne vient pas après « la mort », comme une vérité qui précipiterait les conclusions. Ne sommes-nous pas passés d’une société dont la valeur-clé était la vérité à une société où cette valeur devient importance ?


L’importance pose la question du sens et de la valeur chuchote Pseudo-Denys. Tout ce que tu peux faire ou rêver de faire, entreprends-le. L'audace est porteuse de génie, de puissance et de magie. Goethe.

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