SCIENCE | Nicolas Tesla, son autobiographie IV.
Chapitre IV
J'allai me consacrer entièrement, et avec un immense plaisir, à imaginer des moteurs et à développer de nouveaux types. J'étais mentalement dans une félicité que je n'avais jamais connue auparavant. Les idées affluaient de manière ininterrompue, et mon seul problème était de les retenir.

Les pièces des appareils que je concevais étaient pour moi parfaitement réelles et tangibles, jusque dans leurs moindres détails et je pouvais même relever leurs tout premiers signes d'usure.
J'aimais imaginer les moteurs en fonctionnement perpétuel, car c'était un spectacle plus fascinant. Lorsqu'un penchant naturel se transforme en désir passionné, on avance vers son but chaussé de bottes de sept lieues.
J'ai conçu, en l'espace de deux mois, pratiquement tous les types de moteurs et toutes les modifications des systèmes qui portent aujourd'hui mon nom.
Les contingences de la vie ordonnèrent que j'arrête temporairement mes activités mentales stressantes, et je me demande si ce ne fut pas, tout compte fait, une providence.
Une nouvelle prématurée, concernant l'administration des téléphones, m'a poussé à venir à Budapest et l'ironie du sort a voulu que j'accepte un poste de designer au Bureau Central des Télégraphes du gouvernement hongrois, pour un salaire dont je tairai le montant, car il serait inconvenant de le dévoiler !
Je sus, par bonheur, gagner la confiance de l'inspecteur en chef, qui me demanda d'effectuer les calculs, les plans et les estimations de nouvelles installations, jusqu'à ce que le réseau téléphonique soit opérationnel ; j'allai alors en prendre la direction.
Les connaissances et les expériences pratiques que j'acquis durant cette fonction me furent très précieuses et j'eus beaucoup d'opportunités pour exercer mes talents d'inventeur.
J'ai procédé à plusieurs améliorations des dispositifs du système central et j'ai mis au point un amplificateur téléphonique qui n'a jamais été déposé aux brevets et qui ne fut jamais décrit publiquement, mais qui aujourd'hui encore, me reviendrait.
En reconnaissance de mes bons services, M. Puskas, l'administrateur de l'entreprise, lorsqu'il céda son affaire à Budapest, m'offrit un poste à Paris que j'acceptai avec joie.
Je n'oublierai jamais la profonde impression que cette ville magique a gravée dans mon esprit.
Après mon arrivée, je passai plusieurs jours à errer dans les rues complètement bouleversé par ce nouveau spectacle. Les tentations étaient nombreuses et irrésistibles et, hélas, toute ma paie fut dépensée sitôt que je l'eus empochée.
Lorsque M. Puskas vint prendre de mes nouvelles, je lui décrivis la situation très nettement en disant que "ce sont les 29 derniers jours du mois qui sont les plus difficiles !" Je menai alors une vie très active qui ressemblait à ce qu'on appelle aujourd'hui "la mode Roosevelt".
Quel que fût le temps, j'allais tous les matins de mon lieu de résidence, boulevard St Marcel à une piscine en bordure de la Seine; je plongeais dans l'eau, en faisais vingt-sept fois le tour, puis je marchais pendant une heure jusqu'à Ivry, où se trouvait l'usine de la société.
C'est là que je prenais un petit-déjeuner frugal à sept heures et demie puis, j'attendais impatiemment l'heure du déjeuner; entre temps, je devais casser des cailloux pour le directeur de l'usine, M. Charles Batchellor, qui était aussi un ami intime et l'assistant d'Edison.
Par ailleurs, c'est ici que je fus mis en contact avec quelques Américains qui ont failli tomber amoureux de moi, à cause de mon adresse au... billard !
J'ai expliqué mes inventions à ces hommes, et l'un d'eux, M. D. Cunningham, chef du département mécanique, m'a proposé de fonder une société anonyme.
Cette proposition me parut des plus bizarres. Je n'avais pas la moindre idée de ce que cela voulait dire, sauf que c'était une manière de régler les choses à l'américaine.
Je n'eus toutefois pas y donner suite, car durant les mois qui ont suivi, je fus souvent en déplacement en France comme en Allemagne, afin de réparer les pannes dans les centrales électriques.
De retour à Paris, je soumis à l'un des administrateurs de la société, M. Rau, un projet pour perfectionner leurs dynamos qui fut accepté. Mon succès fut total et les directeurs réjouis m'accordèrent le privilège de développer des régulateurs automatiques qui étaient très attendus.
Peu de temps après, il y eut quelques problèmes avec l'installation électrique de la nouvelle gare à Strasbourg, en Alsace.
Les câbles étaient défectueux et lors de la cérémonie d'inauguration, en présence du vieil empereur Guillaume Ier, il y eut une explosion suite à un court-circuit, qui arracha une grande partie du mur.
Le gouvernement allemand ne voulut rien savoir, et pour la société française c'était une grosse perte. En raison de ma connaissance de l'allemand et de mes expériences passées, on me confia la tâche difficile d'arranger les choses, et c'est dans cette optique que je partis pour Strasbourg, au début de 1883.
Il y eut certains incidents dans cette ville qui m'ont laissé des souvenirs indélébiles. Par une étrange coïncidence, plusieurs hommes qui par la suite allèrent devenir célèbres, vivaient alors dans cette ville. Plus tard je devais dire : " Le virus de la célébrité faisait rage dans cette vieille ville. D'aucuns en ont été infectés, mais je l'ai échappé belle !"
Mes travaux sur les lieux, ma correspondance, et les conférences avec des officiels, occupaient mes jours et mes nuits ; toutefois, sitôt que je le pus, j'entrepris la construction d'un moteur simple dans un atelier de mécanique en face de la gare ; c'est dans ce but que j'avais apporté certains matériaux de Paris.
Les expérimentations furent cependant repoussées jusqu'à l'été, et j'eus enfin la satisfaction de voir un effet de rotation obtenu avec des courants alternatifs de différentes phases et sans contacts glissants ou commutateur, exactement comme je l'avais conçu un an auparavant.
Ce fut un vif plaisir, qui n'avait cependant rien à voir avec la joie délirante qui avait suivi ma première vision.
Parmi mes nouveaux amis se trouvait l'ancien maire de la ville, M. Bauzin, auquel j'avais déjà, dans une certaine mesure, fait connaître cette invention et quelques autres, et que je me suis efforcé de rallier à ma cause. Il m'était sincèrement dévoué et il présenta mon projet à plusieurs personnalités très riches ; toutefois, à ma grande déception, il ne trouva aucun écho. Il a cherché à m'aider par tous les moyens possibles, et à l'approche de ce 1er juillet 1919, je me souviens avoir reçu une sorte "d'aide" de cet homme charmant, non pas financière mais néanmoins très appréciable.
En 1870, lorsque les Allemands envahirent le pays, M. Bauzin avait enterré une grande quantité de vin de Saint-Estèphe de 1801, et il en était arrivé à la conclusion qu'il ne connaissait pas d'autre personne plus méritante que moi, à qui il pourrait offrir ce précieux breuvage.
C'est un de ces incidents inoubliables dont je parlais plus haut. Mon ami me pressa de rentrer à Paris au plus vite et d'y chercher des appuis. C'est bien ce qu'il me tardait de faire ; néanmoins, mes travaux et mes négociations prirent plus de temps, à cause de nombreux petits ennuis auxquels je dus faire face et, par moments, la situation semblait désespérée.
Je vais vous raconter une expérience plutôt cocasse, ne serait-ce que pour donner une idée du sens de la perfection et de "l'efficacité" des Allemands. Il fallait placer une lampe à incandescence dans un hall, et après que j'eus choisi le bon endroit, j'appelai un monteur pour qu'il effectue le branchement. Il y travailla pendant un certain temps, lorsqu'il décida qu'il fallait demander son avis à un ingénieur, ce qui fut fait.
Ce dernier émit plusieurs objections, et, finalement, admit que la lampe devait être placée à 5 cm de l'endroit que j'avais désigné. Suite à cela, les travaux de branchement reprirent.
Mais voilà que l'ingénieur parut préoccupé et il me dit qu'il fallait en avertir l'inspecteur Averdeck. Ce personnage important arriva alors, examina la chose, discuta, et finalement décida que la lampe devait être reculée de 5 cm, soit placée à l'endroit même que j'avais choisi.
L'inspecteur en chef ne devait pas pouvoir se libérer avant plusieurs jours, ayant d'autres obligations urgentes, et ce fut une chance qu'il ait accepté de se déplacer ; il s'ensuivit un débat de deux heures, au terme duquel il décida de faire déplacer la lampe de 5 cm.
J'espérai que nous en étions au dernier acte, quand soudain il se retourna et me dit :
"Le haut fonctionnaire Funke est tellement maniaque, que je ne me permettrai pas de donner des ordres pour le placement de cette lampe sans son accord explicite." Par conséquent on s'attela aux préparatifs de la visite de cet éminent homme.
Dès l'aube les travaux de nettoyage et d'astiquage commencèrent. Chacun se donna un coup de brosse, j'enfilai mes gants, et lorsque Funke arriva avec sa suite, il fut reçu en grande pompe.
Après deux heures de délibération, il s'exclama soudain :
"Il faut que j'y aille", et pointant un endroit au plafond, il m'ordonna de placer la lampe ici même. C'était exactement le point que j'avais choisi initialement.
À quelques variantes près, c'est ce qui se passait chaque jour ; j'étais déterminé toutefois à atteindre coûte que coûte mes objectifs et, finalement, mes efforts furent récompensés.
Au printemps 1884, tous les points litigieux étaient réglés, la centrale était agréée, et je retournai à Paris avec une impatience fébrile. Un des administrateurs m'avait promis, en cas de succès, une compensation généreuse ainsi qu'une récompense équitable pour les améliorations que j'avais apportées à leurs dynamos, et j'espérai obtenir une somme importante. Ils étaient trois directeurs que j'appellerai A, B et C, pour des raisons d'ordre pratique. Lorsque j'appelai A, il me dit que B avait le dernier mot. Ce brave homme pensait que seul C pouvait décider, et ce dernier était presque sûr que A seul avait le pouvoir de décision.
J'étais tombé dans un cercle vicieux, et je réalisai que ma récompense était un château en Espagne.
L'échec total de mes tentatives pour obtenir des capitaux pour le développement de mon invention fut une nouvelle déception, et lorsque M. Batchellor me pressa de retourner en Amérique et de redessiner les plans des machines d'Edison, je décidai de tenter ma chance au pays qui promettait monts et merveilles.
Mais j'ai failli rater cette chance. Je liquidai mes modestes biens, me fit prêter quelque argent et me retrouvai sur le quai de la gare lorsque le train avait déjà démarré.
C'est alors que j'ai découvert que je n'avais plus ni argent, ni tickets. La question était de savoir comment réagir. Hercule, lui, avait beaucoup de temps pour tergiverser, mais moi, il fallait que je prenne une décision tout en courant à côté du train, la tête envahie par des émotions contraires, ressemblant à des oscillations dans un condensateur.
Résolu, et grâce à mon habileté, je gagnai cette course contre la montre, et après avoir subi les expériences classiques, aussi banales que déplaisantes, je réussis à m'embarquer pour New York avec le restant de mes affaires, quelques poèmes et articles que j'avais rédigés, et un certain nombre de calculs se référant à la solution d'une intégrale insoluble et à ma machine volante.
Durant le voyage, j'étais assis la plupart du temps à la poupe du bateau, attendant une occasion pour sauver quelqu'un d'une noyade, sans même penser au danger.
Plus tard, lorsque j'eus intégré un peu du bon sens des Américains, je frémis à ce souvenir et m'émerveillai de mon ancienne folie.
J'aimerais pouvoir décrire mes premières impressions dans ce pays.
Dans les contes arabes, j'avais lu que des génies avaient transporté des gens dans un pays de rêves, pour y vivre des aventures heureuses.
Mon cas était juste l'inverse. Les génies m'avaient transporté d'un pays de rêves dans celui de la réalité. Je venais de quitter un monde de beauté et d'arts, fascinant à tous points de vue, pour un monde grossier et repoussant, où tout était gouverné par les machines.
Un policier bourru agitait son bâton qui, pour moi, ressemblait plus à un rondin.
Je l'abordai poliment, le priant de m'indiquer mon chemin.
"Six blocs de maisons plus loin et à gauche", me dit-il, en me fusillant du regard.
"C'est cela, l'Amérique ?" me demandai-je, désagréablement surpris. "Elle a un retard de cent ans sur l'Europe, pour ce qui est de sa civilisation."
Mais lorsque je partis pour l'étranger en 1889 - cinq ans après mon arrivée ici - je fus convaincu qu'elle avait plus de cent ans d'avance sur l'Europe et rien jusqu'à ce jour n'a pu me faire changer d'avis.
Ma rencontre avec Edison fut un des événements mémorables de ma vie. J'étais stupéfié par cet homme admirable qui avait accompli tant de choses, sans antécédents fortunés et sans formation scientifique.
J'avais appris une douzaine de langues, m'étais plongé dans la littérature et les arts, j'avais passé les plus belles années de ma vie dans des bibliothèques pour lire tous les manuels qui me tombaient entre les mains, des Principes de Newton aux romans de Paul de Kock, et j'eus le sentiment que j'avais gaspillé la majeure partie de mon temps.

Toutefois, je ne fus pas long à reconnaître que c'était ce que j'avais eu de mieux à faire. J'ai gagné la confiance d'Edison en quelques semaines, et voilà comment cela s'est produit.
Sur le S.S. Oregon, le paquebot à vapeur le plus rapide à l'époque, les deux dispositifs d'éclairage étaient tombés en panne et son départ avait été ajourné.
Comme la coque avait été bâtie après leur installation, il était impossible de les démonter. La situation était sérieuse et Edison très ennuyé.
Le soir venu, je pris les outils nécessaires et montai à bord du bateau, où je devais rester toute la nuit. Les dynamos étaient en très mauvais état, car elles avaient plusieurs courts-circuits et coupures, mais l'équipage aidant, je réussis à les remettre en bon état.
À cinq heures du matin, en passant par la 5e Avenue pour aller à l'atelier, je tombai sur Edison accompagné de Batchellor et de quelques autres qui rentraient se coucher.
"Voilà notre Parisien à traîner dehors toute la nuit", dit-il. Lorsque je lui dis que je venais de l'Oregon où j'avais réparé les deux machines, il me regarda sans souffler mot et continua son chemin. Lorsqu'il se fut un peu éloigné, je l'entendis dire cependant :
"Batchellor, cet homme est sacrément doué", et à partir de là, j'eus les mains libres dans mon travail.
Pendant près d'un an, je travaillais tous les jours sans exception de 10.30 H jusqu'au lendemain matin 5 H.
Edison me dit : "J'ai eu beaucoup d'assistants très besogneux, mais vous, vous battez tous les records !"
Durant cette période, j'ai conçu 24 types de machines standards avec des noyaux courts, tous construits d'après le même modèle, pour remplacer les anciennes.
Le manager m'avait promis 50 000 dollars à l'achèvement de ce travail, mais il s'avéra que ce n'était qu'une plaisanterie.
Le coup fut très rude et je démissionnai.
Immédiatement après cela, certaines personnes vinrent me trouver pour me proposer de fonder, à mon nom, une société de lampes à arc. J'acceptai, car j'y voyais une opportunité pour développer mon moteur. Toutefois, lorsque j'abordai ce sujet devant mes nouveaux associés, ils dirent : "Non, nous voulons des lampes à arc ; votre courant alternatif ne nous intéresse pas."
En 1886, mon système à arc était au point et il fut adopté pour l'éclairage des usines et de la ville ; j'étais libre, mais je ne possédais rien d'autre qu'un joli certificat d'investissement en actions de valeur hypothétique. S'ensuivit alors une période de luttes dans un tout autre domaine pour lesquelles je n'étais pas préparé ; je fus finalement récompensé, et en avril 1887 fut fondée la Tesla Electric Company, m'offrant un laboratoire complètement équipé.

Les moteurs que j'y ai construits étaient exactement tels que je les avais imaginés. Je ne fis aucune tentative pour améliorer le design, et ne fis que reproduire les images telles qu'elles m'étaient apparues mentalement, et néanmoins le fonctionnement des moteurs répondait toujours à mes attentes.
Au début de 1888, je conclus un arrangement avec la société Westinghouse pour la construction de ces moteurs à grande échelle. Il restait toutefois de nombreux points litigieux à résoudre.
Mon système était basé sur l'utilisation de courant de basse fréquence, mais les experts de Westinghouse avaient choisi du courant de 133 Hz en raison de certains avantages lors de la conversion. Ils ne voulaient pas se défaire de leurs appareils de forme standard, et je dus faire le nécessaire pour adapter mon moteur à leurs exigences.
Par ailleurs, il devint nécessaire de construire un moteur capable de marcher irréprochablement à cette fréquence avec deux fils, ce qui ne fut pas une mince affaire.
À la fin de 1889, ma présence à Pittsburg n'était plus vraiment nécessaire, et je retournai à New York où je repris mes expérimentations dans un laboratoire dans Grand Street ; je commençai immédiatement à planifier des machines de hautes fréquences.
Les problèmes de construction dans ce domaine jusque là inexploré furent nouveaux et plutôt singuliers, et je rencontrai de nombreuses difficultés. J'écartai celles à induction, craignant de ne pas pouvoir produire des ondes sinusoïdales parfaites, qui étaient d'une grande importance pour la résonance. Si cela n'avait pas été nécessaire, j'aurais pu m'épargner beaucoup de travail.
Une autre caractéristique décourageante avec cet alternateur de hautes fréquences, semblait être l'inconstance de sa vitesse qui menaçait d'imposer de sérieuses limitations à son utilisation pratique.
J'avais déjà remarqué, lors de mes démonstrations devant l'Institut américain des ingénieurs en électrotechnique, qu'il se déréglait, qu'il fallait le réajuster, et je ne pensais pas à cette époque que j'allais trouver le moyen, des années plus tard, de faire fonctionner un tel moteur à vitesse constante, au point que les variations se limiteraient à une petite fraction d'un tour entre les charges extrêmes.
Il devint souhaitable, pour bien d'autres raisons, d'inventer un appareil plus simple pour la production d'oscillations électriques.
En 1856, Lord Kelvin avait publié la théorie de la décharge du condensateur, mais personne ne mit jamais cette connaissance importante en application pratique. J'y ai vu des possibilités et ai entrepris le développement d'un appareil à induction basé sur ce principe. Mes progrès furent tellement rapides que je fus en mesure de montrer, lors de ma conférence en 1891, une bobine donnant des étincelles de près de 13 cm. C'est à cette occasion que j'ai franchement avoué aux ingénieurs qu'il y avait un défaut dans la transformation avec ce nouveau procédé, à savoir une perte dans la distance d'éclatement.
Des recherches ultérieures ont montré que, quel que fut le milieu utilisé, l'air, l'hydrogène, la vapeur de mercure, l'huile ou un courant d'électrons, le rendement était le même.
C'est une loi qui ressemble beaucoup à celle de la conversion de l'énergie mécanique. On peut faire tomber un poids à la verticale depuis une certaine hauteur, ou le transporter à un niveau inférieur par un moyen quelconque, cela ne joue pas sur le travail fourni.
Toutefois et heureusement, ce problème n'est pas catastrophique, car si on détermine correctement les mesures des circuits de résonance, on peut obtenir un rendement de 85%. Depuis que j'ai publié sa découverte, cet appareil est entré dans l'usage courant et a révolutionné bien des secteurs d'activité. Cet appareil a encore un grand avenir devant lui.
Lorsque j'obtins, en 1900, des décharges puissantes de plus de 30 m, et que je lançai un courant tout autour du globe, je me souvins de la toute petite étincelle qui fusa dans mon laboratoire dans Grand Street, et je frémis de plaisir, comme lorsque je découvris le champ magnétique en rotation.
Chapitre V

En me remémorant les événements passés, je prends conscience que les influences qui déterminent notre destin sont bien subtiles. Cet incident survenu dans ma jeunesse pourra en justifier.
Un jour d'hiver, j'ai escaladé une montagne très raide en compagnie d'autres garçons. Le manteau neigeux était plutôt épais et un doux vent du sud était propice à nos jeux. Nous nous amusions à lancer des boules de neige sur la pente, qui roulaient alors jusqu'à une certaine distance en amassant toujours plus de neige ; c'était à qui réussirait à faire la boule la plus grosse. Soudain, une boule alla plus loin que les autres, grossissant dans des proportions énormes jusqu'à atteindre la taille d'une maison ; elle plongea dans un bruit de tonnerre dans la vallée, avec une telle force que le sol en trembla. J'étais stupéfait et incapable de comprendre ce qui avait bien pu se passer.
L'image de cette avalanche devait me poursuivre pendant plusieurs semaines, et je me demandai comment une masse aussi petite pouvait se transformer en quelque chose d'aussi énorme.
À partir de ce moment-là, je fus fasciné par l'amplification des actions de faible amplitude, et c'est avec beaucoup d'intérêt que j'entamai mes recherches expérimentales sur la résonance mécanique et électrique, quelques années plus tard.
Il est probable que si je n'avais pas vécu cette première impression forte, je n'aurais pas poursuivi mes travaux après avoir obtenu la première petite étincelle avec ma bobine, et je n'aurais jamais développé ma meilleure invention, dont je vais maintenant et pour la première fois, raconter la véritable histoire.
Les "chasseurs de célébrités" m'ont toujours demandé quelle était, selon moi, ma meilleure invention. Cela dépend du point de vue.
Un grand nombre de techniciens, des hommes très doués dans leur propre spécialité mais dominés par un esprit pédant et myopes, ont prétendu que mis à part le moteur à induction, je n'aurais rien apporté d'autre qui soit utile à ce monde. C'est une erreur grossière. Il faut se garder de juger une nouvelle idée à ses résultats immédiats.
Mon système de transmission de courant alternatif arriva à point nommé et fut accueilli comme une solution longtemps recherchée dans les milieux industriels ; et bien qu'il fallût surmonter certaines résistances féroces et concilier des intérêts opposés, comme d'habitude, son introduction commerciale n'allait pas tarder.
Maintenant, comparez cette situation avec celle dans laquelle je me trouvai avec ma turbine, par exemple. On pourrait penser qu'une invention aussi simple et belle, possédant beaucoup de caractéristiques d'un moteur idéal, serait acceptée sur-le-champ ; cela aurait été effectivement le cas si les conditions l'avaient permis.
Toutefois, les applications futures du champ magnétique n'allaient pas discréditer les machines existantes, bien au contraire, elles n'en eurent que plus de valeur. Le système se prêtait tout aussi bien pour les nouvelles initiatives que pour améliorer les anciens appareils.
Ma turbine est une avancée d'un caractère tout à fait différent. Elle représente un changement radical, en ce sens que son succès signifierait l'abandon des moteurs vieillis pour lesquels on a dépensé des milliards de dollars.
Dans de telles circonstances, les progrès sont nécessairement lents, et peut-être que le plus gros frein est dans les préjugés qu'une force d'opposition organisée a ancrés dans la tête des experts.
L'autre jour encore, j'eus une amère déconvenue quand je rencontrai mon ami et ancien assistant, Charles F. Scott, qui est aujourd'hui professeur en ingénierie électrique à l'Université de Yale. Cela faisait longtemps que je ne l'avais pas vu et j'étais heureux de pouvoir bavarder avec lui dans mon bureau.
Au cours de notre conversation, nous allions évidemment aborder le sujet de ma turbine, et mon enthousiasme était délirant. Je m'exclamai en pensant à son glorieux futur, "Scott, ma turbine va envoyer tous les autres moteurs thermiques dans le monde à la casse !" Scott se caressa le menton et détourna son regard, comme s'il était en train de faire un calcul mental. "Cela fera un sacré tas de ferraille", dit-il, et il partit sans ajouter un seul mot !
Toutefois, ces inventions, comme d'autres, n'étaient rien de plus qu'un pas en avant dans certaines directions. En les développant, je ne faisais rien d'autre que de suivre mon instinct inné à améliorer les appareils existants, sans porter un intérêt particulier à nos problèmes plus urgents.
Le Transmetteur Amplificateur est le fruit de travaux qui ont duré des années, et dont l'objectif principal était de trouver une solution à des problèmes qui sont bien plus importants pour l'humanité que ne l'est le seul développement industriel.
Si mes souvenirs sont exacts, c'est en novembre 1890 que je fis une expérimentation dans mon laboratoire, qui fut l'une des plus extraordinaires et spectaculaires jamais enregistrées dans les annales de la science.
En faisant des recherches sur le comportement des courants de hautes fréquences, je fus convaincu que l'on pouvait produire, dans une pièce, un champ électrique d'une intensité suffisante pour allumer des tubes à vide sans électrodes.
C'est pourquoi je construisis un transformateur pour tester ma théorie et les premiers essais furent un vrai succès.
Il est difficile de se faire une idée de ce que ces phénomènes étranges représentaient à l'époque. On a des envies furieuses de sensations nouvelles, mais on a vite fait d'y devenir indifférent. Les miracles d'hier sont aujourd'hui des choses tout à fait banales.
Lorsque j'ai montré mes tubes en public pour la première fois, les gens les regardaient avec un étonnement difficile à décrire.
Des invitations pressantes me parvinrent de tous les coins du monde et on m'offrit de nombreuses distinctions honorifiques et autres flatteries que j'ai toutes déclinées.
Toutefois, en 1892 la pression devint tellement forte que je partis pour Londres, où je fis une conférence devant l'Institut des ingénieurs en électrotechnique.
J'avais l'intention de repartir immédiatement pour Paris où j'avais des obligations similaires, mais Sir James Dewar insista pour que je me présente à l'Institut Royal.
J'étais homme à tenir ses résolutions, mais je cédai facilement devant les arguments de poids de ce grand Écossais. Il me poussa dans un fauteuil et me versa un demi verre d'un joli liquide brun, qui pétillait de toutes sortes de couleurs chatoyantes et avait le goût d'un nectar. "Bien", dit-il, "vous êtes assis sur la chaise de Faraday et vous dégustez le whisky qu'il avait l'habitude de boire."
C'est pour ces deux raisons que ma situation était très enviable.
Le lendemain soir, je fis une démonstration devant cette institution, à la fin de laquelle Lord Rayleigh s'adressa au public et ses mots bienveillants furent l'aiguillon pour mes travaux de recherches.
Je m'enfuis de Londres et plus tard de Paris, pour échapper à tous les honneurs envahissants, et allai passer quelque temps dans ma patrie où j'allais subir une épreuve et une maladie des plus éprouvantes.
Après mon rétablissement, je commençai à formuler des plans pour reprendre mes travaux en Amérique.
Je n'avais jamais réalisé jusque là que je possédais des dons d'invention particuliers, mais Lord Rayleigh qui représentait pour moi l'idéal du scientifique, l'avait affirmé et si tel était le cas, je sentis que je devais me concentrer sur quelque chose de grand.
Un jour, alors que j'errai dans la montagne, je dus me mettre à la recherche d'un abri, car l'orage menaçait. Le ciel se couvrit de lourds nuages, toutefois la pluie ne tomba pas avant qu'un violent éclair ne déchirât le ciel ; quelques instants plus tard, ce fut le déluge.

Ce spectacle me fit réfléchir. Il était manifeste que les deux phénomènes étaient intimement liés comme cause et effet, et j'en vins à conclure que l'énergie électrique impliquée dans la précipitation de l'eau était négligeable, l'éclair ayant une fonction ressemblant à celle d'un déclencheur sensible.
Voilà un domaine qui offrait d'énormes possibilités de développement. Si on arrivait à produire des effets électriques de la qualité voulue, on pourrait transformer toute la planète et nos conditions de vie.
Le soleil fait s'évaporer l'eau des océans et le vent l'emporte vers des régions lointaines, où elle reste dans un état d'équilibre précaire.
Si nous avions le pouvoir de perturber cet équilibre où et quand bon nous semblera, nous pourrions manipuler à volonté cet énorme fleuve qui entretient la vie. Nous pourrions irriguer les déserts arides, créer des lacs et des rivières et obtenir une force motrice de puissance illimitée. Ce serait le moyen le plus efficace de mettre l'énergie solaire au service de l'humanité.
La réalisation de tout ceci dépend de notre capacité à développer des forces électriques du même ordre que celles qui apparaissent dans la nature.
L'entreprise semblait décourageante, mais je pris la résolution de la tenter ; dès mon retour aux États-Unis, en été 1892, je commençai mes travaux et cela avec d'autant plus de passion qu'il me fallait des moyens semblables si je voulais réussir à transmettre de l'énergie électrique sans fil.
J'obtins les premiers résultats satisfaisants au printemps de l'année suivante, lorsque je réussis à atteindre des tensions d'environ 1 000 000 volts avec ma bobine conique. Cela n'est pas beaucoup comparé aux performances actuelles, mais en ce temps-là, c'était un véritable exploit.
Je n'ai cessé de faire des progrès jusqu'en 1895, à en juger par un article de T.C. Martin paru dans le magazine Century du mois d'avril ; cette année-là, mon laboratoire fut malheureusement détruit par un incendie. Cette catastrophe retarda mes travaux, et la majeure partie de l'année fut consacrée à sa réorganisation et à sa reconstruction.
Toutefois, dès que les circonstances le permirent, je retournai à mon travail. Je savais que des forces électromotrices plus élevées pouvaient être obtenues avec un appareil plus gros, mais j'avais l'intuition que je pourrais arriver aux mêmes résultats à partir d'un transformateur relativement plus petit et plus compact, au design adéquat.
Lors de mes tests avec un secondaire sous forme de spirale plate, comme le montrent les illustrations de mes brevets, je fus surpris de constater qu'il n'y avait pas de décharge sous forme de faisceau lumineux, et je ne tardai pas à découvrir que cela était dû à la position des spires et à leur action mutuelle.
Fort de cette observation, je recourus à l'utilisation d'un conducteur de haute tension avec des spires d'un diamètre considérable, qui étaient suffisamment éloignées l'une de l'autre pour permettre de contrôler la capacité distribuée et, parallèlement, de prévenir une accumulation exagérée de la charge en tous points.
La mise en pratique de ce principe me permit de produire des tensions de 4 000 000 de volts, ce qui était pratiquement l'extrême limite de ce que je pouvais obtenir dans mon nouveau laboratoire dans Houston Street, car les décharges s'étendaient jusqu'à près de 5 m.
Une photo de ce transmetteur fut publiée au mois de novembre 1898 dans l'Electrical Review. Si je voulais faire d'autres progrès dans ce domaine, il fallait que je travaille en plein air, et c'est pourquoi, au printemps 1899, après avoir tout préparé pour la construction d'une centrale sans fil, je partis au Colorado où je devais rester pendant plus d'un an.

J'y ai procédé à des améliorations et à des perfectionnements qui permirent de générer des courants de n'importe quel ampérage. Ceux que cela intéresse trouveront quelques informations sur ces expérimentations dans mon article intitulé Le problème de l'intensification de l'énergie humaine*, paru au mois de juin 1900 dans le magazine Century, auquel j'ai déjà fait allusion plus haut.
Electrical Experimenterm'a demandé d'être on ne peut plus explicite sur ce sujet, afin que mes jeunes amis parmi les lecteurs du magazine, puissent comprendre clairement la composition et le fonctionnement de mon "Transmetteur Amplificateur" et le but dans lequel je le construisis.
Très bien. Donc, premièrement, c'est un transformateur résonant avec un secondaire dont les parties qui sont sous très haute tension, sont réparties sur une surface considérable et disposées le long d'enveloppes idéales dont le rayon d'incurvation est très grand, et espacées correctement l'une de l'autre, afin d'obtenir en tout point une densité de surface faible pour qu'il n'y ait aucune fuite, même si le conducteur est à nu.
Il convient à toutes les fréquences depuis peu à plusieurs milliers de cycles par seconde (Hz), et peut servir à produire des courants d'ampérage énorme et de tension modérée, ou de plus faible ampérage et d'une force électromotrice immense.
La tension électrique maximale est uniquement fonction de la courbure des surfaces sur lesquelles sont situés les éléments chargés et de la surface de ces derniers.
À en juger par mes expériences passées, il est parfaitement possible d'obtenir 100 000 000 volts. Par ailleurs, on peut arriver à obtenir des courants de plusieurs milliers d'ampères dans l'antenne. Pour des puissances de ce type, une centrale de dimensions modérées suffit. En théorie, un terminal de moins de 27 m de diamètre suffit pour développer une force électromotrice de cette amplitude, alors que pour des courants de 2000 à 4000 ampères de fréquences courantes, il n'est pas besoin qu'il ait plus de 9 m de diamètre.
Dans un sens moins large, ce transmetteur sans fil a un rayonnement d'ondes hertziennes très négligeable par rapport à l'énergie globale et, de ce fait, le facteur d'atténuation est extrêmement faible et une charge énorme est emmagasinée dans le condensateur du haut.
Un tel circuit peut alors être excité par des impulsions de toutes sortes, même de fréquences basses, et il produira des oscillations sinusoïdales en continu, comme celles d'un alternateur.
Toutefois, dans son sens le plus strict, c'est un transformateur résonant qui, en plus de ces qualités, est parfaitement adapté aux constantes électriques et aux caractéristiques de la Terre, et c'est pourquoi il devient très efficace et d'un bon rendement pour la transmission d'énergie sans fil.
Le facteur de l'éloignement n'entre alors plus du tout en jeu, car il n'y a aucune diminution dans l'intensité des impulsions transmises. Il est même possible d'amplifier l'action avec l'éloignement de la centrale, en vertu d'une loi mathématique exacte.
Cette invention fut l'une de celles qui faisaient partie de mon Système Mondial de transmission radio, que j'entrepris de commercialiser lors de mon retour à New York en 1900.
Quant aux objectifs immédiats de cette entreprise, ils sont clairement mentionnés dans une explication technique de ce temps-là, dont voici un extrait :
Le ''Système Mondial'' est le fruit d'un amalgame de plusieurs découvertes originales, faites par l'inventeur au cours de ses recherches et expérimentations, menées avec persévérance. Il permet non seulement la transmission instantanée et précise sans fil de signaux, de messages et de caractères vers toutes les régions du globe, mais aussi l'interconnexion de tous les systèmes téléphoniques et télégraphiques, ainsi que des autres stations de données, sans qu'il soit nécessaire de modifier leur équipement existant.
Il permet, par exemple, à un abonné au téléphone de communiquer avec n'importe quel autre abonné de la Terre. Un récepteur bon marché, pas plus grand qu'une montre, lui permettra d'écouter, sur terre comme sur mer, la diffusion d'un discours ou d'une musique transmis ailleurs, quelle que soit la distance.
Ces exemples sont cités pour donner surtout une idée des possibilités qu'offre cette grande avancée scientifique, qui annule les distances et qui fait que ce conducteur parfaitement naturel, la Terre, peut servir à atteindre les innombrables objectifs que l'ingéniosité humaine avait trouvés pour ses lignes de transmission.
Il y a un résultat de grande portée qui est que tout appareil à un ou plusieurs fils (à une distance manifestement limitée) pourra fonctionner de la même manière, sans conducteurs artificiels et avec les mêmes facilité et précision, à des distances dont les seules limites sont celles imposées par les dimensions physiques de notre planète.
Donc, s'ouvrent d'une part de nouveaux champs d'exploitation commerciale avec cette méthode de transmission idéale, et d'autre part les anciens gagnent beaucoup de terrain.
Le ''Système Mondial'' est basé sur la mise en application des inventions et découvertes importantes suivantes :
1. Le Transformateur Tesla. Cet appareil est aussi révolutionnaire dans sa production de vibrations électriques que le fut la poudre à canon pour la guerre. Avec un appareil de ce type, l'inventeur a produit des courants de nombreuses fois supérieurs à tout ce qui avait été généré jusque là par d'autres moyens, et des étincelles de plus de 30 m.
2. Le Transmetteur Amplificateur. C'est la plus belle invention de Tesla ; c'est un transformateur particulier spécialement adapté pour exciter la Terre qui, pour la transmission de l'énergie électrique est aussi précieux que le télescope pour l'observation astronomique. En utilisant ce merveilleux appareil, il a déjà créé des manifestations électriques d'une intensité plus grande que celle d'un éclair, et transmis un courant autour du globe, suffisant pour allumer plus de deux cents lampes à incandescence.
3. Le Système sans fil Tesla. Ce système comprend un certain nombre de perfectionnements et est le seul moyen connu capable de transmettre de manière économique de l'énergie électrique à distance, sans fil. Des tests et des mesures méticuleux en connexion avec une station expérimentale très puissante, construite par l'inventeur dans le Colorado, ont démontré qu'il était possible d'envoyer n'importe quelle quantité d'énergie à travers tout le Globe si nécessaire, avec une perte n'excédant pas un très faible pourcentage.
4. La Technique de l'Individualisation. Cette invention de Tesla est par rapport au "réglage" grossier, ce que le langage distingué est par rapport au langage non articulé. Il permet de transmettre, dans le secret absolu et exclusif, des signaux ou des messages de manière active ou passive, c'est-à-dire sans interférences et sans pouvoir être interférés. Chaque signal est comme un individu à l'identité différenciée et il n'y a pratiquement pas de limites quant au nombre de stations ou d'appareils pouvant fonctionner simultanément et sans le moindre signe d'interférence.
5. Les Ondes Stationnaires Terrestres. Cette merveilleuse découverte veut dire, en langage populaire, que la Terre est sensible à des vibrations électriques d'une certaine fréquence, comme un diapason l'est à certains sons. Ces vibrations électriques spécifiques, susceptibles d'exciter violemment la Terre, se prêtent à d'innombrables utilisations de grande importance d'un point de vue commercial, et à bien d'autres égards.
La première centrale électrique de ce "système mondial" peut entrer en service dans neuf mois. Il deviendra alors possible de générer jusqu'à près de 10 millions de CV et elle a été conçue pour réaliser autant d'exploits techniques que possible, sans plus de dépenses. En voici quelques-uns uns :
(1) L'interconnexion des échanges ou des bureaux télégraphiques existants partout dans le monde.
(2) L'instauration d'un service télégraphique gouvernemental secret et ne pouvant pas être interféré.
(3) L'interconnexion de tous les échanges ou centrales téléphoniques dans le monde.
(4) La diffusion universelle de l'information par télégraphe ou téléphone, en connexion avec la presse.
(5) L'instauration d'un tel "Système mondial" de transmission de renseignements à usage exclusivement privé.
(6) L'interconnexion et le travail de tous les téléimprimeurs boursiers dans le monde.
(7) L'instauration d'un "système mondial" de diffusion de musique, etc...
(8) L'enregistrement universel de l'heure avec des pendules bon marché indiquant l'heure avec une précision astronomique et ne demandant aucune maintenance.
(9) La transmission mondiale de caractères, de lettres, de chèques, etc... écrits à la main ou tapés à la machine.
(10) L'instauration d'un service universel pour la marine, permettant aux navigateurs de tous les bateaux de s'orienter parfaitement sans boussole, de déterminer leur position exacte, l'heure et la vitesse, de prévenir les collisions et les naufrages, etc...
(11) L'inauguration d'un système d'impression mondiale sur terre et sur mer.
(12) La reproduction mondiale de photos et toutes sortes de dessins ou de dossiers.
J'ai proposé en outre de faire des démonstrations de transmission d'énergie sans fil sur une petite échelle, suffisante toutefois pour pouvoir convaincre.
Par ailleurs, j'ai fait référence à d'autres applications de mes découvertes autrement plus importantes, qui seront révélées à une date ultérieure.
Une centrale fut construite sur Long Island, dont la tour mesurait 57 m de haut, et dont le terminal sphérique avait un diamètre de près de 21 m. Ces dimensions étaient appropriées pour transmettre pratiquement n'importe quelle quantité d'énergie. Au départ, il ne fut produit qu'entre 200 et 300 KW, mais j'avais l'intention d'utiliser ultérieurement plusieurs milliers de CV.
Le transmetteur devait émettre un complexe d'ondes aux caractéristiques spéciales, et j'avais imaginé un système unique pour régler par téléphone la production de n'importe quelle quantité d'énergie.

La tour fut détruite il y a deux ans ; cependant mes projets font l'objet de nouveaux développements et une autre tour sera construite qui sera même perfectionnée dans certains domaines.
À cette occasion, je voudrais démentir une rumeur largement répandue, selon laquelle la tour aurait été démolie par le Gouvernement ; à cause de la guerre, des préjugés sont nés dans l'esprit de ceux qui ne savaient pas que les papiers qui, il y a trente ans, m'accordèrent l'honneur de la nationalité américaine, sont toujours dans un coffre, tandis que mes diplômes, mes licences, médailles en or et autres distinctions honorifiques sont rangées dans de vieilles malles.
Si cette rumeur était fondée, j'aurais obtenu le remboursement de la grosse somme que j'ai versée pour la construction de la tour. Bien au contraire, c'était dans l'intérêt du Gouvernement de conserver cette tour, notamment parce que - entre autres applications de valeur - elle permettait de localiser les sous-marins en plongée, où que ce fut sur le globe.
Ma centrale, mes services et mes perfectionnements ont toujours été à disposition des officiels et depuis le commencement des conflits en Europe, j'ai travaillé à perte sur plusieurs de mes inventions qui ont affaire avec la navigation aérienne, la propulsion des bateaux et la transmission sans fil, qui sont de la plus haute importance pour le pays.
Ceux qui sont bien informés savent que mes idées ont révolutionné les industries aux États-Unis, et je ne connais aucun inventeur qui, à cet égard, ait eu la chance comme moi de voir ses inventions utilisées durant la guerre.
Je me suis abstenu de m'exprimer en public sur ce sujet jusqu'à ce jour, parce qu'il me semblait déplacé de m'étendre sur des problèmes personnels, alors que le monde connaissait de graves problèmes.
Par ailleurs, j'aimerais ajouter, au regard de rumeurs variées qui me sont parvenues, que mes relations avec M. J. Pierpont Morgan n'avaient pas un caractère commercial et qu'il avait avec moi la même ouverture d'esprit que celle avec laquelle il a aidé bien d'autres pionniers. Il a toujours tenu ses promesses à la lettre et il aurait été très déraisonnable d'attendre quelque chose de plus de lui. Il avait la plus haute estime pour mes réalisations et me donna toutes les preuves de sa totale confiance dans mes capacités à réaliser ce que j'avais décidé.
Je ne veux pas que quelques individus, étroits d'esprit et jaloux, puissent s'imaginer avoir contrecarré mes travaux. Pour moi, ces hommes ne sont rien de plus que des microbes de quelque vilaine maladie.
En réalité, ce sont les lois de la nature qui ont retardé mon projet. Le monde n'était pas prêt pour lui ; il était trop en avance sur son temps. Toutefois, ces mêmes lois l'emporteront et, finalement, il aura un succès triomphal.