EDITO de juin 2010 / La philosophie en France
Nous avions déjà évoqué l'avènement récent d'une pensée dissymétrique en France, voyons comment elle a affleuré en France plus particulièrement.
Le style français
Si la vérité comme dévoilement de l'être fut grecque et la volonté allemande (dans son début de négation), il n'en reste pas moins cette chose mineure et étrange
qui est le style français. Là où les leibniziens reviendraient volontiers au principe et se donneraient le cadre institutionnel d'un protectionnisme étatique et d'une immortalité de l'âme et de
l'esprit créateur, les inventions et les découvertes mirifiquement extatiques du début finissent par se figer. On en finit même par pleurer la perte du grand génie pas si immortel que cela
(puisqu'une fois mort il n'engendre plus de transcendance) et mais plus grave les leibniziens se mettent à décrier la dépense immorale de l'énergie qu'ils avaient conduit de manière si morale à
capitaliser. Il y a aussi cette invention qui pour faire suite à ce premier idéalisme, en vint à mélanger l'empirisme (so british, rejeté par Leibinz le principiel) et le transcendantal (que Kant mettra en avant) en monstre deleuzien. L'empirisme
transcendantal plus théorique qu'efficient était l'autre nom de ce que Deleuze découvrait sous la littéralité. Mais cette littéralité qui n'est en rien la
volonté a ses limites, même si elle procède dans la variation de l'infinitésimal, la transformation des choses et l'invention perpétuelle du temps, c'est qu' oeuvrer dans son coin la
transformation même du système n'opère pas. Non il faut une dimension de contingence bien plus radiale pour créer de nouveaux types d'hommes, même Bergson et Sartre n'auront pas eu l'énergie et la prise de risque suffisante pour rompre avec l'ego transcendantal:
Cette chose, ce style proprement français s'est joué sur une constellation affective de penseurs
épars qui aujourd'hui encore résiste au délitement des société fascistes comme on a pu le voir en Italie, en Allemagne et en Espagne. Délitement d'activité et d'audace que l'on retrouve dans les
pays n'ayant pas pas de protection sociale plutôt qu'économique mais qui est le propre des hommes
du sujet plus que des hommes du projet. Les Anglais quant à eux ne pourront jamais connaître cette distinction toute en finesse entre l'amour libre et l'amour gratuit revendiqué par Sartre et
Solers comme haute forme de subversion. Les Allemands concentrés dans leur idéalisme et la mise en système de l'expérience du monde au nom d'un principe non de transformation mais de connaissance
(principe de raison suffisante), n'auront pas vu ce que la volonté induisait comme travers, menant dans le goulot d'étranglement si sérieux et si surplombant qu'est l'esprit de vengeance. Quand
la spiritualité se retourne contre le corporel et lacère d'idée la société. La volonté vient non se nier mais nier la vie plus que le monde au nom d'une connaissance idéaliste. Se tourner vers
l'audace d'une prise de risque plutôt qu'un retour aux principes éculés, dissocier le pouvoir (Kraft) de la puissance (Macht), ce qu'encore les Anglais ne savent faire, faire
que la volonté ne se fige pas sur une maîtrise sclérosée de type gouvernance de l'homme supérieur, etc... c'est cela que Nietzsche nommait non plus volonté
mais volonté tournée vers la puissance, la première volonté trop jusqu'au-boutiste en venant à se nier elle-même. Le pouvoir est soutenu par le principe de réalité ou de choix d'urgence, la
science par le principe de moindre action, la pensée idéaliste ou philosophie dogmatique par le principe de raison suffisante, toute loi énoncée par l'une de ces instance repose sur le principe
de raison suffisante masquant ainsi qu'une loi n'est qu'une relation constante moralement admise. Quelqu'un comme Schopenhauer, qui affiche un caractère avant
tout et non une personnalité, aura pu dissocier le principe de connaissance qui relie les jugements jusque là juxtaposés et la relation de cause à effet telle qu'elle concourt à la production et
la destruction des existences et non plus des jugements. Il n'aura pas vu que c'est tout un socle de la volonté qui se délitait là. Dissocier le principe de raison suffisante qui fonde le système
de la connaissance subjective de la relation de causalité oblige à séparer le principe de la connaissance de la loi de causalité ce que Schopenhauer ne fait pas. Pourtant celui-ci par cette nette
distinction - qu'il reprend à Wolff, Baugmarten et Kant -, fait s'étioler les preuve ontologique et cosmologie de l'existence de Dieu et par là le principe de permanence de la substance. Ainsi
c'est la loi de causalité qui se retrouve mise en porte à faux puisque celle-ci découle de la substance, mais par une voie parallèle, celle de la cause première qui a induit le raisonnement de
cause à effet. A dissocier les deux, principe et cause, on les délite, puisque " l'enchaînement causal nous est connu par une expérience antérieure". Cela, Schopenhauer ne l'avait lui-même mesuré
puisqu'il faisait de la volonté une substance. C'est la fin du logos comme jugement, on rentre dans un
cadre critique : il y a crise en les mots enchaînés (propositions) et les choses désignées voire jugées puisque " toute proposition doit avoir sa raison " alors que "toute chose doit avoir
sa cause ". La loi de causalité (qui n'est pas la cause elle-même) est incluse dans le principe de raison suffisante. "La loi de causalité est une forme du principe de raison suffisante sur
lequel doivent s'appuyer tous les jugements hypothétiques et sur lequel repose toute nécessité comme on le montrera plus tard " SchQR_69Ainsi l'on passe de
l'idéalisme transcendantal à l'idéalisme empirique des systèmes ouverts puis une forme d'idéalisme délirant comme cela s'est produit au cours des années 60-70 en France conduit à poser
comme Pascal que la déraison est première et à oeuvrer à partir de là avec ferveur, ce n'est plus d'un principe de connaissance dont il est question d'un principe de combat, qui réintroduit la
puissance dans la connaissance. Déjà le principe de raison suffisante du devenir, avec Leibniz notamment, variait dans les infinitésimaux. Par combat, il ne faut pas entendre la quête perpétuel du conflit entre les peuples ou les personnes, mais
un combat sur une situation en délitement (ce que Sartre nommer idéalement liberté, c'est-à-dire travail sur la situation). Bien sûr on peut éperonner pour produire l'effet inverse d'une
conscience (la marque même de la décadence moderne), un effort inconscient de pensée qui tient du traumatisme comme chez Tesla et maintes autres. Bien sûr le conflit ou la joute sont parfois
violents bien souvent verbaux, toujours de bravoure. A l'opposé du combat et de la vie active, la contemplation à reposer sur ceci : la substance est infinie et permanente, c'est-à-dire qu'elle
ne peut ni naître ni périr (en théorie). Les idées autant que la matière ont découlé de cela, d'où les conflits incessants et irréconciliable entre idéalistes et réactions matérialistes. Un monde
de connaissance divine s'écroule devant nous.
Le combat, lui, ouvre à une typologie des forces et à une topologie de la complexité : stratégie. Le passage d'un monde de réalité fait de conflit de territoire et de discipline des corps par l'esprit. à un lieu de la complexité avec ses strates - pensons à la Terre,- se traduit chez Elisée Reclus, Gilles Deleuze,C'est le passage d'une société disciplinaire de conflits à une société de contrôle narcotique des mouvements et d'atomisation des conflits. Si dans la réalité (dans le sens donné par les dominants : la réalité c'est d'être acculé à choisir à un moment donné), il y a toujours un choix à opérer, dans la complexité il n'y a plus de choix à faire, de jugements à énoncer mais des combats à mener. Le sérieux sera toujours la marque d'oeillères et le surplomb celle d'une possible vengeance. Les question de doute et de conviction comme conformité à des principe comme ceux précédemment évoqués ne se posent plus. Se pose la question de savoir où s'investit la volonté si elle ne peut se réduire à sa propre négation. Où est l'importance du moment ou avec plus d'envergure de l'époque ? Santé du moment (Goethe) et grande santé (Nietzsche) comme renversement de la gouvernance, de la gestion d'urgence. La volonté plutôt que de se figer (pouvoir) et de sa nier (décadence ascétique) se dissout. La complexité apparaît comme la gestion des réels possibles aux yeux des idéalistes : elle offrirait des degrés de liberté. La compexité c'est de savoir que le retour aux principes se paie un jour : tout mur un jour déverse ce qu'il est enjoint à retenir. L'énergie accumulée (souvent moralement au nom d'une dette infinie si elle est divine ou souveraine si elle est économique) doit un jour être dépensée de manière vengeresse si elle n'a pu être réinvestie ou transformée.
Ce qu'à aussi amené le style français des années 60-70 c'est l'indénombrable repris par Negri et les économistes spinozistes (Boutang, Lordon et aussi P.F. Moreau) sous le nom de puissance de la multitude. C'est le fait qu'il y ait en un espace réduit des personnes qui se mettent à penser les problèmes de la société et à délibérer sur des positions communes, élevant le niveau intellectuel que le pouvoir maintenait insidieusement bas. On pensera à la procession de Sartre, Foucault, Deleuze et alii dans le ministère la justice ne 1971 et à la manifestation de Bologne en 197. Une multitude d'intellectuels battant le pavé et faisant résonner leur pensée avec une époque. Par intellectuels comprenons ceux qui ont creusé un dedans du texte qu'ils appliquent et qu'ils modifient en fonction d'un dehors d'actions et de forces. C'est la que se joue le manque de volonté typiquement français.
Ainsi nous avons le style anglais qui à partir de l'autonomie lockienne prône la libre-cooncurrence (y compris Newton et
sa légende usurpée à Leibniz et Képler (voués à la fosse commune et la profanation contrairement aux funérailles nationales qui marquèrent Voltaire). Le style allemand avec sa langue qui déballle
tout et sa volonté. Enfin le style français anti-cartésien dont nous venons de parler...
A venir une sorte de discours sur la méthode version non plus moderne mais contemporaine, une sorte de moment de philosophie à vous faire partager :)
Quand mai est passé, planque vite tes juins.
Bibliographie
CaAFS_15 : petite étourderie de ma part je doit retrouver la référence
SchQR : Arthur Schopenhauer, De la quadruple racine du principe de raison, éd. Vrin.
Prolongements
Le style britannique comme introduction facheuses des idées
modernes
Une décadence du style français ?