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La Philosophie à Paris

HISTOIRE / La Commune de Saint-Étienne (24 mars - 28 mars 1871)

La Commune de Saint-Étienne, bien que brève et moins connue que sa grande sœur parisienne, s'inscrit pleinement dans le contexte tourmenté de la France de 1871, entre désillusion républicaine, réveil patriotique ouvrier et méfiance viscérale envers la bourgeoisie et les institutions militaires. Elle reflète aussi les tensions spécifiques à une ville marquée par un fort passé industriel, une tradition de luttes sociales, et une population ouvrière politisée et ardente.

On peut rapidement retracer l'origine de ces tensions. 

Depuis 1865, Saint-Étienne est marquée par des grèves massives, notamment celle des mineurs de la Ricamarie en 1869, violemment réprimée (15 morts dont un enfant). Cette mémoire vive alimente la défiance des ouvriers envers l’État et la bourgeoisie. À la chute de l’Empire, la République est proclamée à Lyon, le 4 septembre 1870, puis à Saint-Étienne, le 5 septembre 1870. Un nouveau Conseil municipal est nommé, dominé par des républicains modérés, méfiants vis-à-vis des ouvriers et de la rue. On peut parler d'une fracture sociale qui s'accentue alors que les ouvriers s’enrôlent massivement pour défendre la patrie en danger mais que la bourgeoisie refuse de souscrire à un emprunt patriotique. Ceci accentue les tensions de classe.

16 juin 1869 fusillade du Brûlé - La Ricamarie, près de Saint-Etienne

16 juin 1869 fusillade du Brûlé - La Ricamarie, près de Saint-Etienne

Depuis le milieu du XIXe siècle, Saint-Étienne est l’un des foyers les plus actifs de l’éveil du mouvement ouvrier en France. L’année 1869, avec la grève des mineurs de la Ricamarie et la sanglante répression qui s'ensuivit, notamment le 16 juin 1869 (voir le parcours de Michel Rondet cité plus bas), marque un tournant. L'armée tire sur une foule désarmée, tuant une quinzaine de civils, dont un enfant de trois ans. Cet événement, resté dans les mémoires stéphanoises, nourrit le ressentiment contre l’autorité, qu’elle soit impériale ou républicaine. Il servira de modèle à Émile Zola pour la fusillade d’Étienne Lantier dans Germinal.

Ce traumatisme fondateur a pour conséquence de radicaliser une partie du monde ouvrier, qui voit désormais dans la République non pas un aboutissement mais un outil vide, manipulé par la bourgeoisie. Lorsque la Troisième République est proclamée en septembre 1870, beaucoup d’ouvriers, tout en saluant la chute de l’Empire, regardent avec méfiance les « républicains modérés » qui se retrouvent au pouvoir.

Dans les jours qui suivent la proclamation de la République, un vent de ferveur nationale et démocratique souffle sur Saint-Étienne. Le 5 septembre, César Bertholon, radical modéré et rédacteur en chef de L’Éclaireur, devient préfet. Avec lui, une politique républicaine et laïque est mise en place. Les subventions aux écoles confessionnelles sont supprimées, et dix écoles laïques sont rapidement créées.

Mais cette modernisation administrative ne suffit pas à calmer la défiance. Tandis que les ouvriers s’engagent en nombre pour défendre la Patrie en danger, la bourgeoisie locale, elle, se désintéresse de l’effort collectif : un emprunt patriotique lancé pour financer l’armement ne récolte que le tiers de la somme attendue. Cette dissonance creuse davantage le fossé entre deux mondes sociaux. Les ouvriers, fiers de leur rôle dans la défense nationale, ne supportent plus l’indifférence ou la frilosité d’une élite perçue comme parasitaire.

La Commune Défense nationale N°1 du 29 décembre 1870 - Journal créé par Antoine Chastel et Barthélémy Durbize

La Commune Défense nationale N°1 du 29 décembre 1870 - Journal créé par Antoine Chastel et Barthélémy Durbize

Dès l’automne 1870, les socialistes stéphanois multiplient les appels à l’instauration d’un pouvoir communal. Le 29 décembre, un journal clandestin voit le jour sous l'impulsion d'Antoine Chastel et de Barthélémy Durbize. Véritable organe d’agitation et de Défense nationale, il exprime une idéologie mêlant socialisme utopique, patriotisme exacerbé et méfiance quasi obsessionnelle envers les institutions en place. Les éditoriaux rejettent à la fois le césarisme bonapartiste et les compromissions républicaines de Gambetta et Thiers. Ce n’est pas le communisme au sens strict qui y est défendu, mais un idéal fédéraliste, autogestionnaire, influencé par les idéaux de 1848 et teinté d’un certain romantisme révolutionnaire. La Commune y est définie comme la « pyramide sociale remise sur sa base » : un bouleversement pacifique de la hiérarchie sociale. Cependant, les éditorialistes du journal s'efforcent de prendre leurs distances avec le courant communiste international, notamment celui de Bakounine. Ils affirment que leurs revendications relèvent du socialisme républicain, et non de l’anarcho-collectivisme. À leurs yeux, « les communards » sont des travailleurs, pas des partageux.

L’année suivante est marquée par l'échec électoral et la montée de la méfiance. Les élections du 8 février 1871 portent un coup sévère au moral des républicains stéphanois. Mal préparée, divisée entre modérés et socialistes, la mouvance républicaine ne parvient à faire élire qu’un seul député sur onze : Pierre-Fredéric Dorian. Les autres sièges sont remportés par des réactionnaires. Cette débâcle électorale renforce le sentiment d’abandon ressenti par les ouvriers. Pour eux, l’Assemblée nouvellement élue – qu’on surnomme déjà « l’Assemblée des ruraux » – représente un danger mortel pour la République. La Commune s’emporte : « On parle de désarmer la Garde nationale ? C’est toujours ainsi qu’on étouffe la République. »

Le 23 mars, cinq jours après l’éclatement de la Commune de Paris, les clubs ouvriers de Saint-Étienne réclament à leur tour l’instauration d’un pouvoir communal. Le Conseil municipal accepte de se dissoudre, mais annonce qu’il restera en place jusqu’à de nouvelles élections. Une décision jugée hypocrite par les militants.

Saint-Etienne, Assaut de l’Hôtel de Ville le 24 mars 1871

Saint-Etienne, Assaut de l’Hôtel de Ville le 24 mars 1871

Le 24 mars au soir, la foule, emmenée par des délégués socialistes, envahit pacifiquement l’Hôtel de Ville. Le drapeau rouge est hissé dans la nuit. Le préfet de l’Espée, fraîchement arrivé, choisit de répondre par l’escalade. Son affiche, où il déclare avoir fait fuir les « séditieux » par la simple vue de quelques bataillons, est ressentie comme une provocation.À 22h, la foule envahit l’Hôtel de Ville. Durbize proclame la Commune à 2h du matin, le drapeau rouge est hissé. Le matin, la mairie est évacuée pacifiquement.

Les limites du mouvement sont l'absence d’unité républicaine car socialistes et modérés sont divisés ; un soutien populaire incertain face à la violence ; une situation sociale apaisée car bien que le chômage existe, la misère n’est pas écrasante ; une méfiance certes vis-à-vis du pouvoir, de la presse modérée (L’Éclaireur) et de l’armée. L'échec des républicains aux élections du 8 février 1871 renforce la peur d’un retour monarchiste.

La situation dégénère rapidement. Les gardes nationaux, d’abord divisés, rejoignent en majorité le camp des insurgés. Une délégation demande un référendum. Le Conseil municipal y consent, mais le préfet refuse. Il est arrêté à 16h30. Des coups de feu éclatent, et de l’Espée est tué, probablement par une balle perdue.

Cet épisode de violence, peu soutenu par la population stéphanoise globalement réticente à l’affrontement, précipite la fin du mouvement. Le 27 mars, des renforts arrivent de Lyon. Le lendemain, le 28 mars, les insurgés se rendent sans combat.

La Commune de Saint-Étienne est éphémère, (24-28 mars 1871), confuse et sans réel programme révolutionnaire clair. Elle reflète néanmoins la colère ouvrière : quatre jours de tentative révolutionnaire, vite étouffée, sans le soutien d'une majorité populaire, et avec des revendications plutôt floues. La crise de confiance envers les institutions, alliée à une exaspération patriotique alimentée par la défaite face à la Prusse ainsi que la montée de la Réaction ont poussé les Stéphanois à la révolte. Pour autant, il y a un déclin rapide du mouvement, par manque de soutien populaire après les violences du 25 mars. Toutefois, la Commune de Lyon témoigne d’un moment d’histoire dense, où les aspirations démocratiques, sociales et patriotiques se rejoignent, se confondent parfois, au prix d’un immense désarroi collectif. Ni totalement socialiste, ni franchement anarchiste, la Commune stéphanoise exprime un idéal de démocratie directe, d’émancipation par le bas, de réappropriation du pouvoir politique par ceux qui en sont d’ordinaire exclus. Elle met aussi à nu les divisions du camp républicain, et la fragilité d’un régime né dans la guerre et la confusion. Enfin, elle illustre une constante de l’histoire stéphanoise : celle d’un peuple qui, à défaut d’être toujours vainqueur, ne renonce jamais à se faire entendre.

 

Bibliographie indicative :

Jean Maitron (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, t. X.

Robert Mandrou, La France aux XIXe et XXe siècles, Éditions Armand Colin.

Jacques Rougerie, La Commune de 1871, PUF, coll. Que sais-je ?

Archives municipales de Saint-Étienne, fonds sur la Commune (affiches, journaux, procès-verbaux).

Pierre-Frédéric Dorian

Pierre-Frédéric Dorian

Parcours de Frédéric Dorian pendant la Communes sociales et fédératives de province.

« Le 5 septembre, au lendemain de la proclamation de la République, Dorian devint ministre dans le Gouvernement de la Défense nationale. Il fut chargé du portefeuille technique des Travaux publics. Il s’employa énergiquement à développer les industries de guerre, et en particulier l’armement de la capitale assiégée, en se réclamant de la tradition de la Patrie en danger. Cela lui valut une immense popularité dans les milieux populaires, tandis que la méfiance montait à l’égard des autres membres du gouvernement soupçonnés d’être prêts à capituler. Sollicité par Considerant qui, de retour à Paris depuis quelques mois après son long exil américain, avait aussitôt renoué des liens d’amitié avec la famille Dorian, il lui offrit la possibilité d’exposer le 19 septembre devant une délégation de membres du gouvernement son plan de paix immédiate.

Lors de la « journée » du 31 octobre, le nom de Dorian figurait au centre de toutes les propositions de possibles futurs gouvernements soumis à l’approbation de la foule massée devant l’Hôtel de Ville. Dans la nuit, il fut l’un des protagonistes du dénouement pacifique de l’événement, sortant le premier de l’Hôtel de Ville en donnant le bras à Charles Delescluze*, suivi par son collègue fouriériste Tamisier, qui donnait le bras à Auguste Blanqui. Dès le lendemain, Victor Considerant lui adressait une longue lettre dans laquelle il lui disait que pour conserver la confiance du peuple, il fallait qu’il prenne personnellement en main la défense de Paris : « Ton nom est le seul qui inspirera en ce moment confiance quasi universelle. Conséquemment tu es pour le moment à toi tout seul, le gouvernement réel et légitime. »

Mais Considerant, qui était régulièrement invité à manger par les Dorian avec son épouse, se trompait sur la détermination de son ami à mener la lutte à outrance que réclamaient les éléments les plus radicaux. En dépit de son patriotisme résolu, Dorian partageait le sentiment de la plupart de ses collègues du gouvernement qui pensaient que la guerre était perdue, et qu’il fallait y mettre un terme dans les meilleures conditions possibles pour éviter des désordres violents. Jules Favre ne s’y trompa pas, qui utilisa le prestige que Dorian avait gardé dans les milieux populaires en l’associant aux négociations destinées à fixer les conditions de la capitulation de Paris entamées le 25 janvier 1871, au lendemain de l’ultime tentative manquée des révolutionnaires parisiens pour prendre le pouvoir (22 janvier). Il fut alors très brièvement ministre de l’Instruction publique, puis du Commerce (1er et 2 février), et les supplications que lui adressa Considerant de se dissocier d’un accord jugé « ignoble » restèrent vaines.

Aux élections législatives de février, Dorian fut élu dans deux départements, la Seine et la Loire. Dans celui-ci, il fut le seul républicain à l’emporter (les 11 autres élus étaient tous des conservateurs déclarés). Il avait bénéficié du soutien des modérés regroupés autour de L’Éclaireur, mais aussi de celui du très révolutionnaire « Club de la Vierge ». »

Le Maitron

Pierre-Frédéric Dorian, Statue au père Lachaise (division 70)

Pierre-Frédéric Dorian, Statue au père Lachaise (division 70)

HISTOIRE / La Commune de Saint-Étienne (24 mars - 28 mars 1871)

Parcours de Michel Rondet avant et pendant la Commune de Saint-Etienne depuis sa ville de La Ricamerie.

Michel Rondet est un militant mutualiste et inspirateur de la sécurité sociale minière.

« Fils d’un tailleur de pierre employé comme tel par la Compagnie minière, Michel Rondet était descendu dans la mine à l’âge de onze ans. Très tôt, en 1865, il avait participé à l’agitation déclenchée sous la direction de Jean-Claude Faure pour obtenir un contrôle ouvrier sur la gestion des caisses de secours ; les mineurs intentèrent un procès aux compagnies ; déboutés, ils envisagèrent la création de leurs propres caisses. Ainsi naquit, en 1866, la Caisse fraternelle des ouvriers mineurs : Rondet faisait partie, aux côtés de Peyrot, Jour et Bontemps, des vingt-cinq ouvriers autorisés, en juillet, à tenir la réunion dont sortit l’association ; le 24 novembre, il était l’un des quatre vice-présidents qui secondaient le président Renault. La nouvelle caisse prit un grand essor puisque, en 1869, elle groupait cinq mille mineurs, soit à peu près la moitié du personnel du bassin. Rondet, renvoyé par la Compagnie de Montrambert pour avoir soutenu un ouvrier en procès contre elle, reçut, en cinq mois, cinq cents francs d’indemnité de « la Fraternelle ».

En 1869, il exploitait un fonds d’épicerie-buvette à La Ricamarie ; il semble n’avoir été en l’occurrence que le gérant d’une coopérative de consommation qui dut rapidement être liquidée. En juin 1869, Rondet, qui venait de participer activement à la campagne électorale et avait ainsi contribué à la victoire du républicain Dorian aux élections législatives, fut inclus dans la délégation chargée d’aller demander aux compagnies la limitation de la journée de travail. La fin de non-recevoir du patronat déclencha la grève générale du bassin rendue tristement célèbre par la fusillade du 16 juin à La Ricamarie. Rondet, qui avait appelé à la manifestation, fut arrêté et condamné à sept mois de prison pour entraves à la liberté du travail  ; l’amnistie du 14 août le rendit à la liberté.

Le 5 septembre 1870, c’est lui qui proclama la République à la mairie de sa ville natale, après avoir brisé le buste de l’empereur. Il vint alors s’installer à Saint-Étienne dont le nouveau maire, Tiblier-Verne, membre de l’Alliance républicaine, le nomma inspecteur de police. C’est à ce titre qu’il l’aurait envoyé, le 24 mars 1871, pour information, au club de la rue de la Vierge qui fut à l’origine de l’insurrection communaliste de Saint-Étienne. Rondet aurait conseillé aux dirigeants du club d’envoyer une délégation à l’Hôtel de Ville. Le lendemain il aurait abandonné son poste et se serait mêlé aux partisans de la Commune. Il est difficile de préciser exactement et ce que le maire avait demandé à Rondet et le rôle exact joué par celui-ci. Il semble toutefois qu’il n’y eut pas, de la part de Rondet, une participation active au mouvement. Cependant la cour d’assises de Riom le condamna, le 5 décembre 1871, à cinq ans de prison. L’amnistie le libéra en 1877. »

Le Maitron

La famille Rondet vers 1888. Michel Rondet (1) et son épouse (2) Françoise Peyron, mariés à La Ricamarie le 28.05.1862. Leurs huit enfants nés à la Ricamarie, Joseph (3 - né le 07.10.1862), Jean (4 - né le 15.08.1864), Joseph (5 - né le 22.04.1866), Hélène (6 - née le 11.06.1867), Catherine (7 - née le 29.01.1870), puis, après les cinq années d'emprisonnement, Maria Joséphine (8 - née le 30.08.1877), Jeanne (9 - née le 19.01.1879), Albert Joseph (10 - né le 02.01.1882) L'épouse de Joseph, l'aîné, Jeannette Sagnard (11) et leurs deux enfants, Claude Michel (12) et Michel Jean Joseph (13).

La famille Rondet vers 1888. Michel Rondet (1) et son épouse (2) Françoise Peyron, mariés à La Ricamarie le 28.05.1862. Leurs huit enfants nés à la Ricamarie, Joseph (3 - né le 07.10.1862), Jean (4 - né le 15.08.1864), Joseph (5 - né le 22.04.1866), Hélène (6 - née le 11.06.1867), Catherine (7 - née le 29.01.1870), puis, après les cinq années d'emprisonnement, Maria Joséphine (8 - née le 30.08.1877), Jeanne (9 - née le 19.01.1879), Albert Joseph (10 - né le 02.01.1882) L'épouse de Joseph, l'aîné, Jeannette Sagnard (11) et leurs deux enfants, Claude Michel (12) et Michel Jean Joseph (13).

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