La Philosophie à Paris

FRANC-MACONNERIE / Essai sur les origines de la Franc-maçonnerie

17 Février 2019, 00:12am

Publié par André Doré & Michel Albigens

Ignorances et incertitudes sont les obstacles majeurs auxquels se heurtent les chercheurs penchés sur l'histoire de la Franc-Maçonnerie, d'où les singulières complaisances que s permettent tant de soi-disant historiens avec une vérité obstinée à se camoufler derrière une succession de légendes religieusement répétées depuis deux siècles et demi, légendes opérative, templière, salomonnienne, rosicrucienne, hermétiste, etc. Car, en dépit de quelques faits précis, tout reste obscur sur l'origine de l'Ordre maçonnique, ce qui conduit à mettre devant de trop nombreuses propositions « Il semble que .».

Ce qu'on nomme Maçonnerie spéculative s'organisa à Londres en 1717. On la dit fille de la Maçonnerie opérative. En réalité, elle succéda à une Maçonnerie « acceptée » qui se créa en tant que telle dès la fin du 16 siècle par admission au sein des confréries de maçons de personnages étrangers au métier et que l'on désigna dans la seconde moitié du 16e siècle sous le terme de « Maçons acceptés ». Il est certain que les Loges, car il y avait loges au sein de la corporation, s'agrégèrent volontiers un protecteur, noble de préférence, ou clerc, chargé du travail administratif qu'exigeait la gestion du chantier, les ouvriers étant presque en totalité analphabètes, et parfois, un chapelain, puis, plus tard, ceux qui, fournisseurs, gravitaient autour de l'entreprise. Ce processus prit naissance en Ecosse mais alors que dans ce pays les maçons acceptés ne formèrent qu'une petite minorité durant le 17e  siècle, l'Angleterre vit au contraire se créer des Loges strictement « acceptées » et ce dès les premières années, c'est-à-dire ne comprenant plus aucun homme de métier. Il semble que la plus ancienne remonte à 1600, mais dès le second quart de ce siècle, leur existence est attestée par des documents indiscutables. Elles cohabitaient avec celles qui, mi-opératives, mi « acceptées » voyaient peu à peu disparaître les professionnels de leur effectif en raison de la diminution des grands chantiers de constructions religieuses et féodales, se transformèrent à quelques exceptions près, en loges spéculatives entre 1700 et 1730. Alors se pose la question : quelle justification apporter au fait de voir des hommes étrangers au métier s'intégrer dans des groupements professionnels, qu'à celui &e loges n'ayant plus, et même n'ayant jamais eu le support du métier ?

Les documents n'y répondent pas, mais leur contenu confronté au climat intellectuel de l'époque dans laquelle ils s'insèrent, suggère des explications probablement exactes. Quatre sortes de documents, rigoureusement authentifiés

D'abord les manuscrits, 150 environ, relatant les conditions et les règles qui présidaient à la vie des confréries de maçons, disons opératifs, ce terme étant venu tard dans le vocabulaire maçonnique, à la fin du 18e siècle. Ils s'étalent du 15e  au début du 18e  siècle et c'est d'eux que la Grande Loge Unie d'Angleterre fera sortir les fameux et sacro-saints « Landmarks ».

Puis les Minutes des Procès-Verbaux des trois Grandes Loges, la Mère Loge de Kilwining à dater de 1598, la Grande Loge d'Edimbourg de 1696 à nos jours, sans interruption ; la Grande Loge d'Angleterre de 1723 à aujourd'hui, auxquelles s'ajoutent les archives de très nombreuses Loges, dès le début du 18e  siècle.

Suivent les ouvrages connus sous le nom de « divulgations », qui prétendent révéler les secrets maçonniques. Très souvent pamphlétaires ils demandent une critique sévère de leur contenu.

Enfin toute la série des rituels, tous manuscrits que l'on compte par centaines pour la seule période allant des années 1750, date de leur apparition, à 1800, et dont l'exégèse révèle trop souvent des liturgies aberrantes.

On n'a jamais élucidé les mobiles profonds qui, fin juin 1717, poussèrent quelques membres de quatre Loges de Londres à les constituer en Grande Loge de Londres qui se transformera très tôt en Grande Loge d'Angleterre. On ignore tout de l'origine de ces ateliers, sauf leur existence, l'une en 1696, les autres après 1700, uniquement « acceptées » ainsi que le montrent les Minutes des Procès-Verbaux de la Grande Loge d'Angleterre qui reproduit leur tableau en 1723. Trois d'entre elles n'étaient composées que d'artisans et de commerçants dont aucun n'avait droit, à la suite de son nom, de la mention « Esquire », indicative d'un niveau social au-dessus du commun. Par contre, la quatrième Loge comportait 2 ducs, 3 comtes, un marquis, trois lords, un baron, quatre chevaliers militaires de hauts rangs, des ministres religieux, 24 « Esquires », George Payne, Desaguliers et Anderson qui ne figure nulle part avant cette date. Parmi ceux-là, de nombreux savants, membres de la Très Scientifique Royal Society où siégeait encore Newton. Qui dira pourquoi ces nobles personnages s'associèrent à de « petites gens » sans que ce terme ait rien de péjoratif, et pourquoi, pour ce faire, empruntèrent-ils la voie si modeste des humbles tailleurs de pierre ? Et pourquoi 1717 ?

Peut-être était-ce afin d'éviter une confusion qui risquait de s'installer en raison du nombre croissant de Loges qui se répandaient en Angleterre surtout.

Ou « être le Centre de l'union » ainsi que l'écrira quelques années plus tard, le pasteur Anderson, sous la direction de Payne et de Désaguliers, ce qui répondait à un besoin latent de sociabilité après les tourmentes qui avaient secoué le pays pendant les décades immédiatement précédentes7

Ou le désir de donner une doctrine à ces groupuscules pratiquement isolés, mais qui se réclamaient d'une même identité sous couvert d'un secret illusoire et inexistant et se réunissaient pour banqueter, participant ainsi à l'engouement général impressionnant que connut l'époque pour les sociétés badines et bachiques.

Ou bien découvrir ce secret en spécifiant quelque chose de très flou venu du passé et susceptible de rattacher les esprits à des certitudes sécurisantes.

Car c'étaient des savants ces hommes de la Loge « au Gobelet et au Raisin », soumis déjà à une certaine forme de discipline scientifique qui les conduisait nécessairement à centraliser, organiser, diriger. Mais l'énigme reste entière.

Quoi qu'il en soit, la Grande Loge d'Angleterre se répandit très rapidement dans tout le Royaume, soit qu'elle créât de nouvelles Loges, soit qu'elle rassemblât celles, éparses, qui l'avaient précédée. Entre temps elle étouffa la Grande Loge d'York, opérative et moribonde, et de suite elle exporta.

Il semble bien que la France fut le premier pays à bénéficier de la nouvelle mode. Ce fut d'abord par les soins de stuardistes, des Ecossais en exil. Selon le mémoire de De Lalande, longtemps suspect mais réhabilité par Pierre Chevallier à la suite de recherches récentes, quatre maçons anglais, partisans de Charles-Edouard Stuart, connus et bien identifiés constituèrent une Loge à Paris, soit en 1725, soit en 1726, sous le nom de Saint-Thomas, en souvenir de Thomas Beckett. Charles Radclyffe, futur comte de Derwentwater en 1731, qui deviendra Grand Maître des Loges françaises par la suite en fut l'animateur et probablement le Maître de Loge. On n'a jamais su où il avait été reçu maçon, ni même s'il l'avait été. On a laissé entendre que Ramsay lui aurait donné cette qualité. Or celui-ci a été admis en mars 1731 à la Loge Horn de Londres, et Radclyffe né en 1693 avait quitté l'Angleterre en 1716. Quant à Maclean, également Grand Maître après le duc de Wharton (1728 à 1731) - et avant Derwentwater qui le fut en 1736, il était né à Calais, séjourna à Edimbourg jusqu'à 1721, puis à Paris de 1721 à 1726, retourna en Ecosse de 1726 à 1728, rentra en France où il servit dans l'armée française. On ne sait où il a été reçu maçon.

L'implantation de la Maçonnerie se fit lentement au cours des années qui suivirent la création de la Loge Saint-Thomas. Elle reste toujours très confuse. Si l'on s'en tient aux seuls documents authentiques, deux nouvelles loges naquirent, l'une en 1729, les Arts Sainte-Marguerite, l'autre en 1730. Selon le Registre de la Grande Loge d'Angleterre du 17 mars 1731 et constituée régulièrement le 3 avril 1732, sous le numéro 90 et le nom de « The King's Head » butcher Row at Paris ce que l'on peut traduire par « à l'enseigne du Roi » rue de la Boucherie. On voit en elle la Loge Saint-Thomas au Louis d'Argent, ou Saint-Thomas n° 2, car elle provenait d'un essaimage de la première Loge du même nom, ou encore « Au Louis d'Argent », du fait que King's Head et Louis d'Argent doivent tirer leur identité de la pièce de monnaie en argent en cours à l'époque, qui portait gravée l'effigie du Roi de France. Puis viennent la Loge du Duc de Richmond dont on sait qu'elle travaillait en 1734, soit à Paris, soit à Aubigny-sur-Nère dans le Berri chez Louise de Keroualle, duchesse de Portsmouth où elle reçut Desaguliers, Montesquieu et quelques autres, en 1735 la Loge de Bussy-Aumont, en 1736 la Loge Constos-Villeroy du nom de ses deux vénérables successifs.

Quant à la province, nous trouvons Bordeaux 1732, Valenciennes 1733 Metz 1735, etc. Selon le Tableau des Loges du Royaume de France établi le 6 novembre 1744, il y avait eu à cette date et depuis 1726 20 Loges à Paris, 19 en province et, assez surprenant, 5 Loges militaires, soit 44 au total. Et c'est à partir de cet instant que ce qui devait devenir l'Ordre Maçonnique en France, prit son essor.

On ne peut dire quand fut constituée la première Grande Loge de France. Le plus ancien document connu daté de 1705 ne la mentionne pas : son titre : « Règles et devoirs de l'Ordre des Francs-Maçons du Royaume de France. » dans lequel Mac Lean est qualifié de « présent Grand Maître de la Très Honorable Fraternité des Francs-Maçons du Royaume de France » et son prédécesseur, le duc de Wharton « Grand Maître des Loges du Royaume de France ». Et si le texte qui donne pouvoir au Baron Scheffer de constituer des Loges en Suède indique « ... qu'elles seront subordonnées à la Grande toge de France », il y a lieu de rappeler que lorsqu'elles s'assemblaient « en Grande Loge », ce n'était que la réunion des officiers maîtres et surveillants de tout ou partie des Loges de Paris sous la présidence du Grand Maître. Or, ni les règlements de 1743, ni les constitutions accordées à la Loge de Lodève en 1744, ni les statuts de 1745 dressés par la Loge Saint-Jean de Jérusalem de Paris, non plus que ceux de 1755 ne mentionnent une Grande Loge de France en tant qu'autorité directrice suprême. Les Loges, dans leur presque totalité, et surtout celles de province, se plaçaient d'elles-mêmes sous l'obédience du Grand Maître dont elles sollicitaient la protection et plus encore la garantie de régularité, critère majeur à l'époque. Cette tendance se généralisa à partir de 1743, après que le comte de Clermont eût accédé à la Grande Maîtrise. Est-ce à son instigation que fut établi « ... le deuxième jour de la première semaine du troisième mois de l'an de la Lumière 5747 et de l'ère vulgaire 1747 » ce document qui voulait consacrer l'hégémonie d'un organisme central directeur de l'ensemble des Loges du Royaume de France, et qui paraît avoir échappé à la sagacité des chercheurs ?

« Règlements de la Très Respectable Grande Loge de France, dressés pour toutes les Loges régulières du Royaume, sous les auspices du Très Sérénissime Frère, Louis de Bourbon, comte de Clermont, Grand Maître de l'Ordre en France ». C'est un manuscrit de 15 pages foliotées 36 à 50, comportant 121 articles numérotés de 1 à 121, qui se termine par les mentions suivantes :

« Délibéré statué et arrêté (sic) (a) la T.R Loge de France assemblée régulièrement le deuxième jour.

Copie collationné (sic) par nous secrétaire général sur l'original, par mandement signé, Labadie.

Extrait sur la copie envoyée à la Loge de la Douce Egalité de lorient davignon ».

On ne sait rien de la Loge La Douce Egalité, cependant attestée par deux autres documents - Labadie (ou Labbady, ou Labady) maître de la Loge l'Ecossaise de Salomon, personnage connu et remuant, était substitut pour la province du secrétaire général de la Grande Loge de France Zambault en 1765. On ne saurait, avec ces simples renseignements, fixer une date précise à cette copie. Le texte de 1747 est important en ce sens qu'il détermine pour la première fois une procédure destinée à recenser l'ensemble des Loges du Royaume et de leurs membres, à leur donner « ... des constitutions et des règlements généraux pour établir l'uniformité du Travail » à charge pour elle, Grande Loge, de répercuter le Tableau général de l'Obédience à ses composantes. Plus, une série de mesures fixant minutieusement le fonctionnement des Loges, les rapports qu'elles pouvaient avoir entre elles, ainsi qu'avec la Grande Loge, les conditions de leur régularité et q elle des maçons. Au travers des articles un embryon de secrétariat administratif avec six inspecteurs circulant dans toute la France, et défrayés de leurs dépenses, trésorier, secrétaire etc.

Le texte de 1747 n'a rien de commun dans sa rédaction avec ceux de 1755 et 1760, ni d'ailleurs dans ses principales dispositions, et ces deux derniers statuts semblent ignorer qu'il y ait une Grande Loge de France. Il faudra attendre le 19 mai 1763 pour que soit créé le premier sceau en même temps que l'arrêt de nouveaux statuts qui institutionnalisera la Grande Loge de France. Ce qui n'empêchera pas que, jusqu'au moment où le Grand Orient, qui lui succèdera, s'installera le 12 août 1774 en location dans les locaux du Noviciat des Jésuites, elle ne possédera pas de secrétariat permanent ni un quelconque endroit pour ses archives. Les réunions se faisaient au domicile de celui de ses membres qui voulait bien lui donner asile.

Bien qu'elle soit venue d'Angleterre, à aucun moment la maçonnerie française ne connut une Grande Loge anglais de France, c'est-à-dire une Grande Loge Provinciale de France sous la dépendance de la Grande Loge d'Angleterre, ce dont cette dernière ne manqua pas de se plaindre. Autre constatation, et quelque peu étrange : nulle part, dans la succession des statuts et règlements on ne trouve le moindre article établissant l'Ordre maçonnique en lui donnant un but ou une finalité. Tous les textes ne visent qu'à fixer les conditions de régularité administrative des Loges et de leurs membres. Même les « statuts de l'Ordre Royal de la maçonnerie en France »premier acte législatif du Grand Orient de France en 1773, ni ceux de 1777 et 1787 de la seconde Grande Loge de France dite de Clermont, dissidence du Grand Orient survenue à la suite de la suppression par ce dernier de l'inamovibilité des Maîtres de Loge, ni les textes de celui-ci de 1806 ne font état d'une vocation de la Franc-Maçonnerie. Peut-être se contentait-on de ce que disait le Livre des Constitutions d'Anderson dont il ne semble pas que l'on se soit beaucoup préoccupé. Est-ce pour cette raison, qu'en 1776, une circulaire du Grand Orient proclamait « Le but que nous poursuivons consiste à établir entre nos prosélytes une communication active du sentiment de fraternité et de secours en tous genres, à faire revivre les vertus sociales, à en rappeler les pratiques, enfin à rendre notre association utile à chacun des individus qui la composent, utile à l'Humanité même ». Pourtant, ce ne sera qu'en 1826 qu'un texte statutaire précisera officiellement la finalité de l'Ordre : « De la Constitution, art. 1er. L'Ordre des Francs-Maçons a pour objet l'exercice de la bienfaisance, l'étude de la morale universelle, des Sciences et des Arts, et la pratique de toutes les vertus. »

Cela voudrait-il dire que pendant un siècle les loges fonctionnaient à vide ? Les procès-verbaux qui rendent compte de l'activité des ateliers Et de l'obédience font justice de cette crainte. La solidarité à l'égard des frères dans le besoin fut réelle et les actes de bienfaisance s'étendirent rapidement en faveur des pauvres et des déshérités. Avec l'évolution des rituels, la récitation des catéchismes introduira l'affirmation de règles morales que les maçons s'obligeront théoriquement tout au moins - à observer. Par contre il n'apparaît pas qu'il y eût des Travaux au sens maçonnique moderne de ce terme. Seuls, et tardivement, quelques rares accueils des frères orateurs appellent un désir de réflexion sans qu'ils soulèvent de réponse. Tout, au contraire, montre que la vie profane ne perdait aucun de ses attributs.

Et se pose alors la question sur la nature du message que la Maçonnerie apportait aux hommes et qui était capable de les attirer, quelle que soit leur condition, pour en faire des francs-maçons ? Ce qui nous ramène en arrière, très loin dans le temps.

Les Confréries de métier existaient dès le haut Moyen-Âge, chargées d'organiser la profession, de protéger ses membres et de les aider lorsque le besoin s'en faisait sentir. Celles des constructeurs ont laissé de nombreuses traces dont quelques-unes remontent jusqu'au 11e siècle. Depuis le milieu du 14e  jusqu'au début du 18e, il est possible de suivre leur évolution sans interruption notable. Aucune justification ne permet de dire, selon une légende qui a toujours cours, qu'elles descendent des Collèges Romains, où plus tard, des Comacini, filiation réfutée par celui-là même qui l'avait avancée. Il ne s'agit ici que des associations britanniques, puisque liées, même superficiellement à la maçonnerie spéculative. Il n'y a aucune trace en France de quelque chose qui puisse ressembler à ce qui advint Outre-Manche. La Confrérie des Tailleurs de pierre et des maçons de Strasbourg, les Steinmezten, n'a pas manqué d'attirer l'attention. Elle groupait les travailleurs de la partie ouest des territoires allemands et laissa en 1459 une charte dite de Ratisbonne, qui réglementait les rapports des membres de l'Association dans l'exercice de leur profession, tant entre eux qu'entre leurs employeurs Une modification apportée en 1628 permettait « aux hommes pieux » de s'y intégrer. On ne sait rien de plus sur l'activité interne de l'Association.

Les chantiers, qu'ils soient religieux ou civils, étaient très importants et le nombre d'ouvriers souvent considérable. D'ou la nécessité d'un choix de par la nature même des choses. Quatre catégories de travailleurs les journaliers, les apprentis, les apprentis « acceptés », les compagnons, tous sous la direction d'un maître d'œuvre, lequel désignait un ou deux surveillants pour l'assister. Ce système ne fut établi solidement que vers la fin du 16e  siècle. Chaque chantier installait une « Loge » qui servait tout à la fois d'atelier, bien que les pierres fussent taillées sur le lieu de leur extraction, de réfectoire et de club, où se discutaient les événements de la journée et où chacun recevait les instructions concernant sa tâche. La Loge constituait ainsi une unité avec ses propres règles établies de concert entre le maître d'œuvre, le chapitre ou celui qui avait passé la commande. Souvent elle changeait d'un chantier à l'autre bien qu'il y eût obligation de terminer celui qui avait été entrepris. Le manque d'argent interrompait fréquemment les travaux, entraînant avec le déplacement du chantier la dispersion partielle des membres de la Loge. La vie collective que celle-ci impliquait, l'entraide mutuelle que les ouvriers se portaient, l'injonction faite au plus habile d'enseigner le moins habile, suscitaient des sentiments de solidarité rapidement transformés en véritable fraternité. Des coutumes s'instauraient qui avaient force de loi, relativement uniformes, mais différentes dans les détails. Elles réglementaient l'usage et la possession des outils, les conditions de travail, les avantages en nature attribués en plus du salaire. Les journaliers, pris sur place et presque toujours par voie de réquisition, restaient en-dehors de la Loge. Les apprentis, sous contrat, subissaient un stage de probation à la fin duquel ils étaient ou rejetés et devenaient journaliers, ou admis mais toujours comme apprentis, cette admission pour laquelle ils devaient payer, étant concrétisée par une réception. Celle-ci, très simple, avait lieu à huis-clos, par le Maître de la Loge, devant les compagnons et les apprentis précédemment reçus, assemblés. Elle comportait en premier la lecture des règles régissant le métier, puis la prestation du serment qui obligeait l'apprenti « enregistré » on « accepté » au secret le plus absolu, la communication d'un « mot », le « mot du maçon », que murmurait ensuite et ensemble chacun des présents, les signes de reconnaissance, et pour terminer, un banquet. Des textes laissent entendre qu'avant ou au cours de ce repas, il était procédé à une sorte de « bizutage » ou brimade à l'encontre du nouvel admis. Elle perdura chez les opératifs jusque vers 1710 et l'on reprocha à Desaguliers de l'avoir supprimée, comme incompatible avec la dignité des personnages « acceptés ».

Le manuscrit n° 1 à la Grande Loge d'Angleterre, daté de 1583 donne la procédure du serment : « ... l'un des anciens tient le Livre et celui ou ceux qui prêtent l'obligation placent leurs mains dessus, et les préceptes sont lus ». Le Livre en question n'est pas précisé. Le terme reste donc ambigu et un doute subsiste sur son identité, Bible ou Règlement de la profession, mais plus probablement ce dernier. La première référence indubitable sur la présence de là Bible figure un siècle plus tard en 1685, sur le manuscrit Colne n° 1. Nulle part, les plus anciens procès-verbaux de la Grande Loge d'Edimbourg remontant à 1598, ni ceux de a loge Saint Mary's Chapel en 1599, ni ceux de la mère Loge de Kilwining n° 0, 1642, indiquent qu'il y ait eu une Bible dans le matériel de la Loge. Ceci confirmé par les textes plus récents des loges restées opératives, Aldwick 1701, Swalwell 1725, etc. la première mention relevée d'un achat de Bible, accompagnée de deux recueils de chansons, figure dans un ordre donné en 1766 par la Mère Loge de Kilwining, bien que la proposition en eût été faite en 1726, 1744, 1749, et soit restée sans suite. Et si Prichard la signale dans sa divulgation de 1730, son emploi ne se généralisera que dans les années 1750 - 1760. En France, elle fut souvent remplacée par les Evangiles. Le Recueil Précieux de la maçonnerie adonhiramite de Guillemain Saint Victor, 1781, indique que « .... le serment est prononcé main droite sur l'Evangile » alors qu'un manuscrit de la fin du XVIIIe  siècle donne « ... sur les saints Evangiles ». Le Grand Orient, dans les Rituels du Rite français qu'il établit en 1782, ne l'a pas retenue et l'obligation est prêtée sur le Livre des Constitutions.

Deux sortes de secrets, ceux qui relevaient du métier et que l'apprenti découvrait au fur et à mesure de sa qualification professionnelle et ceux consistant dans les moyens et signes de reconnaissance, et plus particulièrement dans le « mot » du maçon. Les premiers concernaient la taille très précise de la pierre, l'assemblage des blocs, la construction des arcades, voûtes, coupoles, etc. Ils étaient distincts de la géométrie pure dont les compagnons pourtant se servaient pour préparer les dessins et les plans. Les maçons « acceptés » n'avaient que faire de cet enseignement dont les éléments se perdirent peu à peu ; au début du XVIIIe  siècle les « acceptés spéculatifs » ne conservaient que quelques bribes de ces secrets qu'ils « habillèrent » en leur infligeant, soit un sens moral, soit une signification symbolique issus de toute la masse de science étrange qui inondait l'Europe. Les secrets opératifs n'ont laissé aucune trace de connaissance spéculative de caractère ésotérique.

« The Mason's Word » n'a cessé d'intriguer les historiens anglais de la Maçonnerie. L'usage d'un « mot » est très ancien, puisqu'on le trouve dans les traditions égyptiennes, hébraïque, et même védique ; au Moyen-Âge les hommes du métier se reconnaissaient par lui. Il est d'origine écossaise et il n'y a aucune certitude qu'il existait dans les Loges anglaises « acceptées » du premier quart du XVIIIe  siècle en-dehors de la région immédiatement frontalière avec l'Ecosse. Sa présence est assurée chez les « acceptés opératifs » dans les Loges Saint Mary's Chapel, Aïtksonhaven, Dunblanc, etc. dès le 16e  siècle. Nous avons vu que sa communication était l'un des éléments essentiels de la Réception des Apprentis. Il était unique pour l'ensemble des membres. Avec le temps, il émigra en Angleterre au travers des échanges ininterrompus de travailleurs entre les deux pays. Les « acceptés » le dédoublèrent, peut-être pour se démarquer des opératifs. Ils en firent un pour les apprentis (ou le conservèrent), un pour les compagnons, et, plus tard, devenus spéculatifs, un pour les maîtres. Cette déviation du « mot » d'origine écossaise, rappelons-le, et qui ne portait lui non plus, aucune valeur ésotérique, engendra, à partir des années 1735-1740 toute la série des vocables dit « sacrés » qu'empruntèrent les innombrables grades venus par la suite et qui constituèrent ce que l'on nomme l'Ecossisme. De moyen de reconnaissance il se mua en symbole, celui d'une « vérité perdue », d'une « parole perdue », rejoignant ainsi les trop fameuses formules orales rencontrées dans les contes de fées, dont la puissance mystérieuse ouvre toutes les portes. En 1753, le virulent propagateur irlandais de la Maçonnerie dite des « Antients », Laurense Dermott la définissait « la mœlle de la maçonnerie ».

La maçonnerie opérative ne connut que deux grades, plus une fonction, celle de maître de Loge, choisi par ses compagnons et ce jusqu'à 1710 au moins. La présence du Temple de Salomon dans la légende de l'Ordre s'inscrit dans le cadre des énigmes non résolues. Des 150 versions manuscrites déjà citées, deux seulement en parlent, le Régius, 1390, poème en vers et le Cooke, plus explicite que son aîné, est la plus ancienne référence aux « Devoirs des opératifs ». Il narre très brièvement l'histoire de la maçonnerie-métier, en reprenant partiellement ce qu'en dit la Bible. Il accorde une place beaucoup plus importante à la Tour de Babel et à Nemrod qu'à Salomon et à son Temple. 76 lignes de texte contre 28, et mentionne longuement les deux piliers sur lesquels étaient gravés les sept arts libéraux des sciences et des arts (dont, entre parenthèses nous retrouvons la trace au 30e  degré du Rite Ecossais). Ces deux piliers dont l'un ne pouvait briller et l'autre sombrer, afin de protéger les précieuses connaissances de l'époque de la destruction ou de la vengeance de Dieu. Ce n'est que tout au début des années 1700 qu'ils reviendront timidement dans les très rares « Old Charges » encore en cours, mais pour disparaître aussitôt au bénéfice des deux colonnes de Salomon. A la même période, le registre de la Grande Loge d'Edimbourg, à la question : « ... où était la première loge » ? répond « ... dans le porche du Temple de Salomon ». Juste avant 1700 la Grande Loge d'York mentionne les fêtes célébrées lors de l'inauguration du célèbre Temple et la mort d'Hiram, son architecte, sans qu'il soit question de son assassinat. Dix ans plus tard, le Dunfries manuscrit n0 4 donne aux deux colonnes sorties de l'ombre un sens religieux chrétien qui sera repris plus tard.

Alors, pourquoi Salomon ? Et pourquoi après un silence total qui dura 300 ans ?

Y a-t-il eu cause à effet de ce que, en 1765 à Londres, un juif espagnol, Jacob Jéhu de Léon, exposa une fort jolie maquette du Temple de Salomon qui attira une énorme attention, exposition qui se poursuivit avec le même succès jusqu'en 1765, soit pendant un siècle ?

Ou par la parution en 1688 d'un ouvrage « Le Temple de Salomon spiritualisé » de l'écrivain anabaptiste John Bunyan, auteur connu et réputé ?

Venant après ces deux événements, il semble bien que ce soit George Payne, un instant grand Maître de la Grande Loge de Londres qui, en 1721, en présentant le manuscrit Cooke de 1410, à la Tenue de la Saint Jean d'Eté, fut l'initiateur d'une légende salomonnienne que ne connurent ni les opératifs écossais, ni les « acceptés » anglais du 17e  siècle. Nous sommes là, 1720-1730, à l'orée d'une maçonnerie spéculative dont la symbolique ne connaîtra plus de limites avant la fin du premier quart du XIXe siècle.

Paradoxale et étrange, l'anomalie que constitue l'absence complète de mention des outils du métier dans les manuscrits relatant la réception des apprentis et compagnons. Ils apparaissent pour la première fois en 1696 dans le procès-verbal du Registre d'Edimbourg, à propos du serment : « je jure, par Dieu, l'Equerre et le Compas. » formule répétée dans les mêmes termes en 1710 et 1714. En 1710 le Dunfries manuscrit n0 4 en citant également pour la première fois trois piliers sans aucun rapport avec les deux colonnes de Salomon, indique qu'ils avaient pour significations Equerre, Compas et Bible. Etait-ce le prélude aux Trois Lumières que nous rencontrerons un peu plus loin ? Et c'est entre 1720 et 1730 que s'introduit toute la gamme des outils, règle, ciseau, maillet, marteau, fil à plomb, niveau, truelle, etc. qui, par la grâce des spéculatifs se transformèrent en symboles que, pendant des siècles, ceux qui, quotidiennement par métier, manièrent leurs supports ont totalement méconnus. Il en est de même pour les deux symboles fondamentaux de la maçonnerie, la pierre brute et la pierre cubique taillée. Ils n'ont jamais existé, tant chez les opératifs que chez les acceptés, et les premières loges spéculatives du XVIIIe siècle les ignorèrent. Ils durent naître en France, aux environs de 1740. Timidement divulgués postérieurement et sans qu'une signification leur soit donnée. Tout au plus est-il indiqué « ... une pierre sur laquelle les outils sont affûtés », et c'est surtout l'iconographie qui nous fait part de leur existence.

Que reste-t-il donc de la légende qui veut que nous soyons les héritiers et le véhicule d'une tradition opérative ancestrale et symbolique à laquelle nous nous référons non sans quelque fierté et vénération ?

Le maçon « accepté » a été le lien entre l'opératif et le spéculatif, mais déjà au 17e siècle les « usages » et non les rites, différaient sensiblement entre opératifs et acceptés, et l'écart s'accentua jusqu'à ce qu'ils deviennent pratiquement étrangers les uns aux autres. Seuls les Ecossais paraissent avoir conservé plus longtemps des éléments anciens très simples d'ailleurs, qu'ils ont tenté de maintenir au sein des Loges anglaises. C'est probablement cet apport renouvelé au cours du temps à la faveur des déplacements des maçons écossais qui permet de penser que, par analogie avec ce qui s'était passé antérieurement, les nouveaux grades apparus en Angleterre vers 1730 - et dans lesquels ils n'étaient pas impliqués - aient été attribués à la maçonnerie écossaise. On leur donna le qualificatif d'Ecossais et dès cet instant ce vocable recouvrit tous ceux qui par la suite surgirent au-delà de l'apprenti, du compagnon et du maître.

Quelle maçonnerie apportaient donc en juin 1726 Charles J Radclyffe et ses amis ? Rien d'autre que ce qui existait à l'époque et décrit soit par le Registre de la Grande Loge d'Edimbourg, soit par les Constitutions d'Anderson en 1723. Une maçonnerie à deux degrés à la symbolique à peine ébauchée, mais déjà pourvue d'une finalité très vague il est vrai, « Etre le Centre de l'Union », un système administratif relativement structuré, mais limité aux critères de régularité, éventuellement une légende historique glorieuse qui lui conférait sa noblesse, le tout assorti d'un secret mystérieux sur la nature duquel tout le monde se perdait y compris ceux qui le possédaient.

Le manuscrit d'Edimbourg décrit le déroulement des réunions : un minimum de formalités l'appel des membres, la mise à l'amende des absents, les admissions dont le cérémonial perpétuait celui des opératifs donné ci-dessus, le bizutage en moins, la collation des amendes antérieures, éventuellement le jugement des délits, les prêts d'argent pour assistance, annuellement l'élection des officiers, et pour terminer, le banquet. Cette procédure avait été fixée définitivement en 1640 elle était encore appliquée dans les premières années du 18e  siècle. Dans quelques Loges la réception s'était accrue d'une lecture de l'histoire - légendaire - de la maçonnerie. L'obligation restait sobre ; sans menace de sanction en cas de violation du serment. Le Chetwode Crawley manuscrit vers 1700, le Haugfoot 1702, le Kewan 1714, etc. qui révèlent cette procédure sont d'un très grand intérêt, car ils montrent la transition intervenue entre les derniers « acceptés opératifs » et les premiers spéculatifs : aucun manuscrit antérieur ne leur est comparable, et il n'y en aura plus d'autres après eux.

Il ne semble pas qu'il en fût autrement en France ; et nous n'avons pas de documents qui confirment ou infirment, d'ail leurs comment cela aurait-il pu être différent ? Une Loge en 1726, une seconde en 1729, une troisième en 1730, toutes d'origine anglaise. Admettons donc cette simplicité d'autant plus facilement qu'elle sera de très courte durée et ne saurait être comparée avec ce qui apparaîtra dans les dix années à venir.

Ce qui n'était « qu'usages » deviendra « rituels ». Leur prolifération désordonnée engendrera les rites. Crédulité, vanité, trop souvent cupidité et l'imagination aidant, la raison perdra ses droits. La symbolique maçonnique va s'engager sur une voie démentielle, parfois dogmatique dont elle ne sortira qu'au bout d'un siècle non sans en conserver quelques séquelles. Et comme une telle affirmation exige une justification, rappelons que le tuileur de Ragon qui fut dignitaire du Grand Orient dénombre plus de 1450 grades avec 1450 rituels différents, intégrés dans 48 rites pratiqués par 54 ordres maçonniques dont 24 androgynes et 6 académicies. L'histoire des rituels est extrêmement complexe, tant par la diversité des éléments qu'ils vont s'incorporer que par l'ignorance dans laquelle nous sommes de leur origine, de la date et du lieu de leur apparition. Deux exemples frappants : l'intégration de légende salomonienne citée plus haut, et celle de la légende d'Hiram, clé de toute la maçonnerie spéculative écossaise, complètement ignorée des deux maçonneries opérative et « acceptée », dont le meurtre est étranger à la Bible, dont on ne sait ni quand, ni par qui elle se fit jour. Or c'est elle qui suscita le système à trois degrés de la maçonnerie symbolique, et son prolongement dans les Hauts Grades du Rite Ecossais ancien et accepté, sans qu'on n'ait jamais pu déterminer les conditions précises dans lesquelles il s'installa.

On peut, sans crainte d'erreur, fixer le point de départ de la maçonnerie spéculative aux années 1720. Ce que nous savons de leurs premières cérémonies provient de « divulgations ». Tout ce qui est mystérieux attire ; elles reçurent un énorme succès et leur nombre ne cessa de croître. Quant au contenu, plus il révèle, plus il est suspect, et ce qui n'exclut pas cependant qu'une analyse rigoureuse des textes permette de dégager ce qui est authentique de ce qui ne l'est pas. Elles se pillèrent sans vergogne, renchérissant les unes sur les autres. Elles servaient d'aide-mémoire, et au travers de leur diffusion il est probable qu'elles contribuèrent grandement à l'établissement des rituels dont l'élaboration s'étendit sur des années, par l'apport d'éléments plus ou moins symboliques venus de tous les horizons et qui se fixèrent dans l'esprit des maçons.

La première apparut dans un journal de Londres, le « Flying Post » dès il - 13 avril 1723 sous le titre de « A mason's examination ». Ce pamphlet sans grande portée fut reproduit en affiches placardées dans les rues de la ville. Suivit, en 1724 « le Grand Mystère dévoilé », qui fut réédité en 1725, en même temps qu'une version imprimée d'une prétendue « Old Charges » connue sous le nom de « Briscoe Text » et complètement absurde.

Beaucoup plus sérieux fut en 1730 l'ouvrage de Prichard, reçu maçon par la suite « The Masonry dissected ». Ce qu'il révélait gêna certainement la Grande Loge d'Angleterre car elle le taxa immédiatement d'imposture. Il apportait de nombreux éléments, reconnus valables plus tard, sous la forme de questions et réponses, avec, et pour la première fois, une version très simple de la Légende d'Hiram. L'ensemble comprenait tout ce qui aurait pu constituer un rituel à trois degrés. En 1735, une édition pirate des Constitutions d'Anderson de 1723 parut sous le titre de « Pocket companion » qui n'apportait rien de nouveau. Le livre de Prichard, maintes fois réédité, fut la seule « divulgation » anglaise pendant les 30 années qui suivirent, soit jusqu'en 1760.

La France fut beaucoup plus prolifique tant par le nombre d'ouvrages, que par la diversité des révélations qu'ils apportaient. Le premier, « La Réception d'un Frey-Mason », édité en 1737, par Hérault, lieutenant de police, eût un grand retentissement. C'était l'extrait d'un rapport établi sur les dires de la Carton, danseuse à l'Opéra, qui avait obtenu ses informations de son amant, Lenoir de Cintré. si ce texte est assez insignifiant parce que peu de nouveautés, la dizaine de divulgations qui suivit dévoila la presque totalité des « secrets » entre guillemets, de la Franc-Maçonnerie, secrets dont beaucoup étaient inconnus des maçons anglais eux-mêmes, ce qui n'est pas sans saveur.

Citons, après Hérault 1737, et sous le même titre

La Réception des Francs-Maçons 1738 ;

La Réception mystérieuse des Francs-Maçons, 1738

Le catéchisme des Francs-Maçons, 1740 (revu et corrigé 1749) ;

L'Almanach des cocus, 1741

Le Secret des Francs-Maçons, 1742

Le Sceau rompu, 1745

L'Ordre des Francs-Maçons trahi, 1745

Les Francs-Maçons écrasés, 1747

Certains donnèrent lieu à plusieurs rééditions. Le « Trahi »à lui seul en connut une bonne trentaine, et plus encore de plagiats. La bibliographie maçonnique de langue française, pour la période de 1730 à 1790, contient plus de 900 ouvrages.

D'aucuns eurent droit à traduction en anglais et en allemand et s'en allèrent grossir la symbolique maçonnique étrangère qui n'en avait nul besoin.

Pas de rituels sous la forme que nous leur connaissons, mais des narrations claires au travers desquelles il est facile de reconstituer le cérémonial des réunions. Les catéchismes, questions réponses, qui deviendront les « Instructions » basés sur celui de Prichard 1730 s'augmenteront régulièrement, à chaque édition, d'éléments nouveaux, parmi lesquels, « les mots » avec le motif de leur introduction et leur signification symbolique. Au début du siècle le plus ancien catéchisme ne posait que quinze questions. En 1730, le seul grade d'apprenti en exigeait une centaine.

L'Iconographie débute vers 1740, tableaux de Loge aux différents grades, gravures de réception, précieuse par tout ce qu'elle apporte de complément aux textes. Celles extraites de l'Ordre des Francs-Maçons trahi 1742, du Catéchisme des Francs-Maçons 1749 et de la Franc-Maçonnerie démasquée 1751 enrichiront tous les ouvrages parus par la suite. Hogarth, Watson, dévoilent des aspects peu connus, mais parfois devinés, de la vie des Loges en Angleterre. A partir de 1750, les tabliers des maçons, magnifiquement brodés, révéleront, véritables « Livres muets » à la sagacité des curieux, toute la symbolique de leur époque.

1700 - 1725, les Loges se réunissent dans les tavernes dont elles portent d'ailleurs le nom. En France, elles se mirent de suite sous la protection d'un saint, le plus souvent celui dont le maître de la Loge portait le prénom, et cela débuta dès 1735. Le monde profane ne pouvait convenir pour les assemblées et il fallait donc sacraliser des locaux dans lesquels les quelques éléments hérités du siècle précédent n'existaient pas. On y remédia par le tableau de Loge. La date de son apparition est incertaine. Mais des textes indiquent que, dans le premier quart du XVIIe siècle on dessinait à la craie et au charbon, à même le sol, l'image de la Loge que l'on effaçait à la fin de la réunion. Elle était en forme de croix et devint « oblongue » avec « ... les innovations dernièrement introduites par le Docteur Desaguliers et quelques autres modernes » (fin d'une citation de 1726).

Sacrilèges, ils remplacèrent craie et charbon par des rubans, clous et lettres mobiles. Les moquettes des demeures seigneuriales où se tenaient les Loges de certains hauts personnages expliquent sûrement la nouvelle procédure. Selon un catéchisme de l'époque « les rubans étaient blancs et cloués, les lettres, E pour East, S pour South. » Plus tard, ce décor fit place à un tapis, puis à un tableau : on y voyait les colonnes de Salomon, le soleil, la lune, des outils du métier, les deux pierres, etc., sans que cela soit réglementé par un texte.

Si, dans le temps des « acceptés » la loge était éclairée par une flamme sortant d'une terrine « triangulaire » dans laquelle brûlait de l'esprit de vin ; les spéculatifs utilisaient des flambeaux. A noter au passage que les opératifs et les acceptés du 17e siècle n'ont jamais utilisé le triangle comme symbole et que la terrine signalée ci-dessus devient une innovation. Selon les manuscrits 1700 - 1720, les flambeaux appelés à devenir « Les Lumières » étaient toujours au nombre de trois, jamais plus. Pour Edimbourg qui est le premier à les citer, 1698. Ils représentent le maître, le surveillant et le compagnon. Le Sloan, manuscrit 1700, donne une autre version, le soleil, le maître et l'équerre. Pour le Dunfries, 1710, ces trois flambeaux devenus trois piliers sont l'équerre, le compas et la Bible. Deux textes de 1724 et 1725 disent qu'il s'agit du Père, du Fils et du Saint-esprit. Puis un groupe de trois textes propose hardiment douze lumières qui sont, dans l'ordre le Père, le Fils, le Saint-esprit, le soleil, la lune, le maître maçon, l'équerre, la règle et les outils dénombrés à cette époque. Remarquons l'absence très importante de la bible et du compas.

Elles croîtront en nombre, et vers le milieu du siècle un grade écossais en disposera de quatre-vingt une. Leur position au sein de la Loge varie constamment. Prichard 1730 et le Wilkinson manuscrit 1730, les font voyager et leur attribuent le soleil, la lune et le maître de la loge. C'est ainsi que la France les interprétera de 1730 à 1760. Nouvelle variation à partir de cette date : elles seront six, trois grandes lumières, bible, équerre et compas, trois petites lumières, soleil, lune et le maître de la Loge.

Peut-être y en avait-il déjà six en 1730, car Prichard et Wilkinson, à l'instant cités, disent : « trois piliers supportent la Loge : sagesse, force et beauté », formule que l'on aperçoit pour la première fois dans un texte maçonnique. Sentence purement symbolique, surajoutée au groupe des trois lumières, soleil, lune et maître maçon, avec lesquelles ils ne se confondent pas. La destination de ces symboles ne deviendra définitive qu'en 1760 lorsqu'ils seront rattachés respectivement au maître de la Loge, aux premier et second surveillant. A cette époque nombre de diplômes de Loges délivrés à leurs membres portent la maxime « Force et Stabilité » il semble qu'elle s'applique à l'Eglise en vue d'assurer sa pérennité, mais on ne la trouve qu'en France et dans ce seul genre de document.

Nous n'avons aucune explication satisfaisante pour la présence du pavé mosaïque dans la Loge en dépit d'un symbolisme assez évident. Il semble qu'à l'époque où l'on dessinait le tableau de Loge sur le sol, il y ait eu nécessité de diviser ce dernier, sans doute pour situer officiers, compagnons et apprentis, et que furent ainsi tracés des carrés noirs et blancs pour distinguer les emplacements, ce qui n'a rien de probant.

En Angleterre le tapis mosaïque était bordé de bleu et dentelé rouge, terminé aux quatre coins par un gland. Y a-t-il rapprochement avec la houppe dentelée qui illustre le Catéchisme des Francs-Maçons » édition de 1747, représentée par une longue corde terminée par deux glands et qui entoure la partie supérieure du tableau ? Hiram était le fils d'une veuve. Nous, ses frères, sommes « les Enfants de la Veuve ». En héraldique française les armes d'une veuve sont entourées de la même corde décrite ci-dessus, et le cadre du tableau de ces armes bordé de triangles noirs et blancs. Ainsi pourrait s'éclairer le sens de ce symbole qui nous est parvenu dans une obscurité relative.

Dès leur origine les maçons spéculatifs s'inscrivirent dans l'Ordre cosmique. Témoins : le soleil, la lune, les quatre points cardinaux dessinés sur les tableaux de Loge et l'orientation de celle-ci, les directions dans lesquelles les maçons sont censés se déplacer : d'où venez-vous ? Où allez-vous ? les voyages effectués i cours de la réception d'un candidat à l'admission dans le sens de la rotation du soleil, l'Etoile flamboyante du second degré, la voûte étoilée, un baldaquin bleu nuit, parsemé d'étoiles. Tout cela concrétise la volonté de faire de la Loge une représentation de l'Univers. Dès 1710, le Dunfries manuscrit n0 4, celui du Trinity College de Dublin 1711. Le catéchisme de Prichard 1730, etc. le confirment, qui, à la question : « Quelle est la hauteur de la Loge ? » répondent : « aussi incommensurable que celle du firmament et de ses étoiles. »

Le mobilier de la Loge était des plus réduits. La table du Vénérable de plain pied. L'estrade à trois marches viendra beaucoup plus tard avec le maître et le livre ; au bas de celle-ci, une petite table basse sur laquelle étaient placés l'équerre et le compas : au moment de l'obligation, le candidat posait le genou droit sur ces deux outils, qui formait ainsi équerre avec l'autre jambe.

Le tableau de Loge déjà cité et les flambeaux - trois ou trois groupes de trois, disposés indifféremment aux angles du tapis, selon l'époque et le lieu. Ni chaises, ni tables. Les frères étaient debout, le vénérable assis. Tard dans le siècle, les surveillants bénéficièrent également d'une table chacun et d'une colonnette de 25 centimètres environ.

Lorsque les circonstances le permettaient, les deux colonnes de Salomon encadraient la porte d'entrée : elles étaient surmontées d'un chapiteau (la Bible, Roi III - 15 dit deux) couvert de grenades. Salomon avait nommé la première, celle de gauche, Booz, qui paraît avoir été un de ses ancêtres, l'autre Jakin, mais le texte ne fournit aucune explication. Gauche -droite, droite - gauche ? L'inversion eût lieu en Angleterre, entre 1730 et 1735, sur injonction à la suite de la révélation de ces mots sacrés dans le monde profane afin de pallier leur utilisation par des personnages qui n'auraient pas été admis régulièrement.

Une gravure anglaise, vers 1750, montre une table, immense occupant la presque totalité de la pièce, autour de laquelle les frères debout, tête nu assistent à la réception d'un apprenti : le vénérable, maillet en main, et coiffé d'un tricorne siège à une extrémité, livre, équerre devant lui. Trois petits flambeaux en triangle aux coins de la table. L'attitude des frères, revêtus d'un tablier long, bavette baissée est assez désinvolte indiscutablement ils ne savent quoi faire de leurs mains qu'ils mettent alors dans leurs poches. Plus tardif, 1787, un tableau célébré représente la remise d'un prix au F... Robert Burns, poète et écrivain, au cours d'une tenue solennelle de la Cannongate Lodge d'Edimbourg. Les frères, très nombreux, sont disséminés dans la salle. On n'ose dire le temple, bien qu'il y ait un orient avec estrade surélevée et trois plateaux. Debout, assis ou négligemment allongés, devisant autour des tables éparpillées un peu partout. Curieuse image d'une réunion maçonnique qui s'apparente beaucoup plus à une réception très mondaine de la gentry, mais ils étaient revêtus de leur tablier et sans cordon.

Les tabliers étaient de peau blanche, bordés d'un ruban de couleur bleue ou blanche ainsi en avait décrété la Grande Loge d'Angleterre, le 17 mars 1731. Antérieurement, le 27 juin 1726, elle avait ordonné que les maîtres de Loge et les surveillants « porteraient les bijoux de la maçonnerie » pendus à un ruban blanc passé autour du cou, les maîtres l'équerre, les surveillants le niveau et le fil à plomb ». Le 17 mars 1731 ces bijoux devaient être en or ou dorés et le ruban bleu. Cette décision ne fut pas toujours respectée, et en 1739 la Loge Antiquity conservait le « cordon vert selon les anciennes coutumes ». Pour d'autres il était jaune, et le tablier blanc mais bordé de rouge. Le compas-bijou est signalé dans le Dunfries manuscrit n0 4 en 1710 et le frontispice des Constitutions d'Anderson 1723 montrent le Duc de Montaigu, grand maître de la Grande Loge le passant au Duc de Wharton, son successeur. La couleur des pointes en cuivre du compas et celle du corps en acier détermineront que désormais le collier sera jaune et bleu, ce que le « Trahi » de 1745 confirme également. Il deviendra bleu par la suite et celui du maître des banquets continuera d'être rouge ainsi que son tablier. En 1742, le vénérable porte l'Equerre et le compas, les autres officiers seulement ce dernier. Ce n'était pas impératif, mais c'est la première mention en France de ce qui se perpétue de nos jours.

Le cordon n'avait qu'un but : suspendre les bijoux et distinguer ainsi les officiers : ils ne possédait aucun sens symbolique. En 1759, une gravure montre qu'on le portait de gauche à droite, ce qui tend à dire qu'il n'était pas le symbole du port de l'épée en loge, donc symbole d'Egalité. Aucun des personnages, officiers compris, représentés sur les gravures, ne porte de gants.

Deux questions à propos du rituel. Le mot n'apparaît dans aucun des statuts et règlements des Grandes Loges. Il semble découler de soi-même, de la nature des « événements » maçonniques décrits dans les narrations fournies par les « Divulgations ». Quant à la « chose » rituelle, c'est-à-dire l'ordonnancement des cérémonies elle paraît avoir été codifiée tard dans le siècle, en France tout au moins.

La plus grosse difficulté que l'on rencontre dans l'étude des rituels vient du fait que, jusqu'en 1858 leur impression en était interdite, et que par conséquent ils sont tous manuscrits, jamais datés et sans origine. La seule édition imprimée avant cette date fut celle du Régulateur maçon, 1801, reproduisant très exactement les rituels établis par le Grand Orient en 1782 pour le rite français, mais qui le fut à l'insu de celui-ci. A partir de 1800 un certain nombre de « Thuileur » parurent, sous la signature de maçons souvent éminents, mais maçonniquement parlant, illégalement. Reconnaissons aussi qu'aucune étude « scientifique » de la rituélie maçonnique n'a jamais été faite et que son approche reste toujours délicate.

L'ouverture et la clôture de la Loge ne furent établies qu'entre 1742 et 1760, et d'abord en France. Le vénérable, maître de la Loge, et dont le nom fut emprunté à l'Ordre des Bénédictins, faisait avertir par les surveillants qu'elle allait être ouverte. Il était seul couvert et retirait son chapeau au moment de l'ouverture, puis le remettait. Mais le « Trahi  » de 1745 donne deux gravures où tous les assistants sont coincés. Puis venait la récitation du catéchisme par les officiers. En 1730, à la question « Etes-vous franc-maçon ? » le surveillant répondait « on me tient pour tel », puis « où se trouve le 1er surveillant ? Quel est son devoir ? Et ainsi de suite pour chacun des officiers. Les visiteurs étaient « Tuilés » (le terme paraît avoir existé à l'époque), à deux reprises, avant d'entrer, ensuite dans la Loge avant qu'il puisse prendre place. La présence d'un profane, même dans les parvis, était signalée par la formule « il pleut ». En Angleterre, et tard dans le siècle la réunion était interrompue par les rafraîchissements, annoncés par l'un quelconque des surveillants qui couchait la petite colonne dont il disposait et citée plus haut. Le « travail » entre guillemets, s'arrêtait, les boissons étaient servies sur place, et parfois le repas. Puis la tenue reprenait au lever de la colonne. Il ne semble pas qu'à l'époque la France ait connu ce processus remplacé - avantageusement pourrait-on dire - par les loges de table et leur rituel particulier. A partir de 1786 les travaux ne commencent qu'après que les surveillants aient réclamé aux frères les mots, signes et attouchements. C'est également à cette date que fut introduite la lecture du tracé des travaux précédents et son adoption après les observations du frère orateur, un officier que l'Angleterre a toujours ignoré jusqu'à aujourd'hui. La clôture de la Loge fut plus rapidement ritualisée que l'ouverture parce que, d'une part l'on faisait une chaîne d'union - rencontrée pour la première fois en 1744 - et que de l'autre on se séparait sous le « Chant des apprentis » qui venait des Constitutions d'Anderson. En 1760 « ... à la fin de chaque vers chanté, ils joignaient les mains croisées de façon à former une chaîne, les secouaient de haut en bas, tout en frappant fortement le sol du pied, ce qui n'était pas sans surprendre les étrangers.  »

Catéchisme, bienfaisance, réceptions étaient le gros de l'activité des Loges, et pendant longtemps, plus encore le banquet. Vers 1750 s'instaura la lecture de l'histoire de la franc-maçonnerie, reprenant une coutume des anciens opératifs. L'imagination débridée et enthousiaste, aidée en cela par la prolifération aberrante des hauts grades s'en donna à cœur joie. Si l'on veut bien admettre à la rigueur que le célèbre discours de Ramsay (1737), affirmant l'influence des Croisés sur l'origine de l'Ordre et sur le développement de sa symbolique, ait pu fournir une thèse plausible à cette histoire (Émile Mâle a démontré leur apport indiscutable dans le domaine de l'art), nous perdons la raison devant Dieu installant sa loge personnelle, pour lui seul, ou même devant Adam constituant la sienne, pour être sans aucun doute « le Centre de l'Union ».

Par contre, ce qui n'est pas niable, c'est l'influence que les divagations étonnantes des hauts grades de l'Écossisme en pleine évolution eurent sur l'établissement de la liturgie des trois grades symboliques, particulièrement dans les deux réceptions apprentis et maîtres, deux psychodrames qu'il convient d'examiner dans leurs vicissitudes.

Que sont devenues chez les spéculatifs du XVIII e siècle la réception si simple de l'apprenti dans les Loges opératives et celle tout aussi dépouillée des « maçons acceptés » du 17e.

Nous donnons à cette cérémonie le nom d'initiation, mais pendant des décades il ne s'est agi que d'admission ou de réception, et non d'initiation ; le mot fit son apparition fort timidement d'ailleurs en 1801 dans la préface du « Régulateur Maçon  », et seulement dans le cahier du vénérable, qui reproduisait à l'insu du Grand Orient et sous son label, les rituels du Rite français en sept grades et quatre ordres qu'il avait établis en 1786. Etait-ce dû à l'ouvrage paru en 1781 du F...  chanoine Jean Baptiste Claude Robin, membre de la Loge « Les Neuf Soeurs », à l'orient de Paris, intitulé « Recherches sur les initiations anciennes et modernes », dont il avait donné connaissance à son atelier au cours d'une tenue mémorable rapportée par la Dixemerie ? On ne saurait en effet, retenir l'expression «... les vrais initiés » rencontrée en italique p. 7 et 12 dans le texte d'un pamphlet anonyme édité à La Haye en 1745. « Le Tonneau jetté ou réflexions sur la prétendue découverte de l'Ordre des Francs-Maçons », réfutation de « l'Ordre des Francs-Maçons trahi » de l'abbé Pérau. Symptomatique également que le convent des Philalèthes organisé de 1785 à 1787 par la Loge « Les Amis Réunis» à l'orient de Paris, consacré à l'étude de la « science maçonnique », à ses origines et à ses fins, n'ait à aucun moment envisagé une recherche sur les initiations ou un rapprochement éventuel avec les « mystères » antiques. Une seule intervention, celle du F.-. Westerholdt, dans la séance du 19 avril 1785, fit mention de leur « ... haute antiquité » et ajoute « ... la franc-maçonnerie ayant une analogie parfaite avec les initiations. » Or cette invitation n'amena aucune réaction de la part d'un auditoire composé des maçons les plus éminents et les plus cultivés de toute l'Europe. Quoi qu'il en soit le mot « Initiation » ne devint officiel, maçonniquement parlant, qu'en 1826, art. 217 de la Constitution du Grand Orient de France.

Quand y eut-il « initiation » au sens initiatique du terme ? Tout au plus peut-on suggérer le cours des années 1780 après les tentatives de codification des rituels, faites d'une part par le Grand Orient de France, 1786, de l'autre par les Convents de Lyon en 1778 et de Wilhemsbad en 1782 du Rite Ecossais rectifié.

Il y eut certainement « initiation » antérieurement à cette dernière date. Mais cela ne touchait que les cercles lyonnais dont le mysticisme avoué s'exprimait sous la forme maçonnique. Dès 1767, Willermoz et ses fidèles s'ingéniaient au travers d'un syncrétisme où se mêlaient les deux systèmes de Saint Martin et de Martinès de Pasqually à instaurer d'étranges cérémonies à la fois religieuses et magiques destinées à réintégrer l'homme déchu, dans sa pureté primitive. Une lettre, conservée à Lyon au fonds W. 5471, datée de 1768, adressée à Jean Baptiste Willermoz par son frère Pierre Jacques, indique « ... on veut vous initier, à la bonne heure. », témoignant ainsi qu'il y avait « initiation ». Elle ne concernait que les Hauts Grades, réservés à une élite soigneusement choisie et donc très réduite. Un document extrêmement secret, accessible à quelques très rares élus, « L'Instruction des Grands Profès » dernier degré du Régime Rectifié de Lyon de 1778, publié récemment par Antoine Faivre dans l'ouvrage de Le Forestier confirme ce fait. (Lyon fonds W. 5475). Ce genre de cérémonies, laissait de côté celles par ailleurs très différentes, relatives aux trois grades symboliques. Cependant, en raison de la minutie et de la rigueur d'exécution du cérémonial d'initiation propre aux hauts grades, rigueur rendue nécessaire par son côté magique, il n'est pas exclu de penser qu'elle ait contribué à affermir et stabiliser la liturgie des réceptions d'apprenti, de compagnon et de maître, appelées par la suite à devenir des initiations.

L'aspect ésotérique de l'enseignement réparti dans ces ateliers à vocation supérieure appliquée à la recherche de l'inconnaissable, et le secret qui s'ensuivait, conduisaient obligatoirement à la sacralisation de la rituélie dans toutes ses modalités. Elle se fit jour insidieusement, morceaux par morceaux, pourrait-on dire et ainsi s'instaura le caractère « initiatique » des réceptions aux trois grades symboliques. Mais alors se pose la question, quelle sorte d'initiation ?

Il n'y a rien que l'homme créée qui ne réponde à un besoin profond de son conscient et plus encore de son inconscient. L'universalité dans le temps et dans l'espace des impulsions qui le motivent illustre la notion d'archétypes inhérents à toute l'espèce. Il semble d'ailleurs que ces derniers s'imposent aux diverses formes de la vie animale. La répétition continuelle des attitudes, gestes, devenus des langages les transforme insensiblement en codes particuliers à chacune d'entre elles. Chez l'homme, l'apparition du mot survenu avec la maîtrise de la voix, puis la pensée qui s'en suivît, le conduisit à une prise de conscience du monde et des innombrables dangers qu'il comporte ; la réflexion analogique et les pratiques magiques qui en découlèrent, s'appliquèrent à les conjurer. L'efficacité de ces dernières reposait sur une rigoureuse exécution de leur gestuelle. La rituélie, avec ses rituels de toutes sortes était née. Sous des formes multiples, elle n'a cessé de se développer, tant dans les rapports sociaux que dans ceux qui concernent les approches du monde non manifesté, substance du « sacré ».

La mort et la disparition qu'elle entraînait devaient apparaître comme le plus grand danger que l'homme pouvait encourir, d'où son angoisse, le refus de les accepter et l'espoir d'une survie dans un au-delà différent. Dès lors, la mort n'était plus qu'un passage conduisant à une renaissance dans ce monde non-manifesté, mais pressenti, et qui était le domaine du sacré, un passage, comme ceux de la naissance à la vie, de l'enfance à l'adolescence, de celle-ci à l'âge d'homme par l'exercice de la sexualité, tous sacralisés au cours de cérémonies rituelles. Le rite étant l'unique moyen d'accéder à ces différents niveaux d'être, toutes les civilisations, des plus primitives aux plus évoluées ont connu et connaissent encore ces pratiques que l'on garde secrètes, car censées apporter une puissance considérable à ceux qui en sont l'objet.

Nous sommes au XVIIIe siècle. Un savoir étrange circulait dans toute l'Europe assoiffée de lumière. L'occulte régnait en maître dans les esprits. Véhiculé par le Rosicrucianisme qui promettait l'immortalité, par l'alchimie, la richesse, l'hermétisme, la puissance, la kabbale, la connaissance, l'ensemble assorti d'un mystère propre à éveiller toutes les curiosités, ce même mystère dont on parait les Loges maçonniques, si anciennes, du moins le croyait-on. La tentation était grande de confronter ces savoirs avec ce que l'on possédait et en acquérir d'autres. En réalité les Loges possédaient peu, très peu et leur pauvreté intellectuelle et ésotérique était décevante. Il fallait donc les nourrir, leur donner une raison d'être autre chose que des sociétés badines. La légende d'Hiram vint à point qui meubla le contenu doctrinal de la maçonnerie spéculative naissante. Nous avons vu plus haut qu'on n'en connaît pas l'origine elle apparut quelque part, en Angleterre ou en Irlande. Elle s'implanta graduellement, prit place en 1738 dans la seconde édition des Constitutions d'Anderson, mais dut attendre les années 1760 pour être admise définitivement, en Grande-Bretagne du moins, car en France le processus d'intégration fut plus rapide. Elle engendra toute la série des Hauts Grades qui submergèrent totalement le monde maçonnique. Il était évident que le meurtre d'Hiram ne pouvait rester impuni. Ainsi naquirent les grades de vengeance et les scènes grand guignolesques auxquelles donnèrent lieu les réceptions qui s'en suivaient, qu'il fallut bien tempérer un jour par l'introduction des grades chevaleresques. Elle s'incorpora dans le grade de maître apparu avant elle par dédoublement de celui de compagnon dont on ne sait ni pourquoi, ni comment cela s'était fait, et l'absorba entièrement.

L'incroyable engouement pour les Hauts Grades, et surtout la dramatisation des admissions eut pour conséquence, une nécessaire structuration de la liturgie propre à la réception des apprentis, par l'apport d'éléments de toutes sortes, apport qui s'échelonna des envions de 1740 jusque vers 1850.

Pas de doctrine proprement dite : rien de la très vague philosophie rosicrucienne, ni même de la mystique juive, introduite furtivement et par bribes dans le rite très chrétien des « Antients » établi en Irlande par Laurence Dermott, puis propagé par lui en Angleterre antérieurement à 1750, en dépit de l'adoption dans les rituels d'un certain nombre de mots hébreux qui posent des problèmes de sémantique encore incomplètement résolus de nos jours.

Seulement des symboles...

Souvent disparates, empruntés çà et là, auxquels on attribua des significations multiples, quelque peu saugrenues, incompatibles avec le moindre raisonnement logique ou même analogique. Certains d'entre eux relèvent typiquement d la magie cérémonielle tel est le cas du maillet du maître, forme spéciale de la baguette, signe de puissance et de souveraineté (rappelons que les outils en tant que symboles, étaient ignorés des maçons opératifs), des « régalia » britanniques, tabliers, cordons, bijoux, ornements, analogues aux robes et aux pentacles, des batteries, des frappements de pieds (aujourd'hui disparus, mais conservés dans le compagnonnage) au cours de la chaîne d'union, des circumbulations de caractère cosmique, des répétitions, véritables « mantras » destinés à s'intégrer dans l'inconscient, de la gestuelle, qui s'identifie aux « mudras » de l'inde (celle du grade de maître se retrouve dans ce pays et figure dans la sculpture de la civilisation précolombienne du Mexique), etc. etc..

On a pli reconstituer les premiers cérémonials de réception des apprentis, compagnons et maîtres de la maçonnerie spéculative. Le manuscrit Graham 1726, deux divulgations, « Maçon's Examination » 1723 et « Masonry Dissected » de Prichard 1730, en fournissent les éléments par questions et réponses, corroborés par la déposition en décembre 1736 de John Coustos, à Lisbonne lors de son procès au Tribunal de l'Inquisition. Ce qui était relativement simple au début se compliqua singulièrement dès 1740 et la France ne fut pas étrangère aux innovations qui suivirent.

Tous les textes insistent sur le fait que le candidat sollicite son admission de sa propre volonté et exigent qu'il fournisse les motifs de sa demande. Il est nécessairement parrainé et la Grande Loge d'Angleterre en fit une obligation le 15 décembre 1730. Lors de sa réception le parrain le mène dans une chambre sans lumière, totalement obscure où ils demeurent ensemble pendant un certain temps et sans qu'un seul mot soit prononcé. A la fin de ce séjour il lui est demandé à deux reprises s'il a la vocation pour être reçu. Sur sa réponse affirmative il est conduit « ... les yeux bandés, dépouillé de ses métaux, ni nu ni vêtu, ni chaussé ni déchaussé, mais pourtant d'une manière décente » devant la Chambre de réception à la porte de laquelle il frappe trois coups qui sont répétés de l'intérieur. Il est alors introduit par le parrain qui le recommande « ... pauvre, sans monnaie, aveugle et ignorant de nos secrets ». et accueilli par le plus jeune apprenti de la Loge.

Le « ni nu ni vêtu » ne se rencontre nulle part chez les opératifs non plus que chez es « acceptés ». Il paraît provenir de la tradition templière et avait sans doute pour but de vérifier le sexe du candidat. Aucune explication pour le pied déchaussé, ni pour le bandeau malgré l'évidence du symbole quant aux métaux ils ont été rejetés par toutes les mythologies et par la Bible elle-même qui les considéraient comme néfastes, ce que semblent ignorer le « Catéchisme » 1740, le « Secret » 1742 et « l'Anti-Maçon » 1748, etc. qui disent « ... dépourvu de tous métaux parce que lorsqu'on envoya les cèdres du Liban pour le Temple (de Salomon) ils étaient tous taillés, et qu'on n'entendit aucun coup de marteau ni d'autres instruments lorsqu'on bâtit cet édifice. » Il est évident qu'il fallait trouver une justification Selon William Preston, « Illustration of Masonry » 1772, l'initiation enlevait tout caractère maléfique aux métaux « ... le métal (la monnaie) ne peut faire de distinction entre les Maçons l'ordre étant fondé sur la paix, la vertu et l'amitié »

La chambre obscure est l'ancêtre du cabinet de réflexion. Il était, et il est encore totalement inconnu de la Maçonnerie anglaise. Il le resta également un certain temps en France. On ne sait où et quand il fut introduit dans la réception, très probablement vers 1765-1770. Les Loges l'utilisaient entre 1776 et 1780 et le Recueil Précieux de la Maçonnerie adonhiramite de Guillemain Saint-Victor, 1783 en donne une description semblable à celle figurant dans les rituels du Grand Orient établis en 1786 Une pièce sombre aux murs noirs, éclairée d'une seule chandelle, un tabouret, une table sur laquelle un crâne et tous les ingrédients, sel, soufre, eau, pain (le vitriol viendra plus tard). Sur les parois, les emblèmes de la mort et une série de sentences inscrites en blanc évoquant la fragilité de la vie et l'inanité des choses terrestres, plus, des menaces si le candidat n'abordait pas son admission avec un coeur pur. Il y a une analogie certaine entre cette retraite silencieuse au sein de la « Chambre obscure » et celle solitaire de l'aspirant chevalier la veille de son adoubement, également l'invitation à rédiger un testament ainsi que le faisait ce dernier. En 1786, un manuscrit émanant du Grand Orient ajoute une innovation, les questions dites « d'ordre » : qu'est-ce qu'un honnête homme se doit à lui-même ? À ses semblables, à sa patrie ? Elles disparurent en 1858 et réapparurent à la fin du XIXe siècle.

Le Dumfries manuscrit n0 4 de 1710 indique que le candidat entrait dans la Loge « la corde au cou ». A la question que lui posait le maître de celle-ci, il répondait : « pour me pendre si je trahis mon serment ». C'est la première mention de ce symbole venant d'une « Loge » d'acceptés. On ne le retrouve qu'en 1760, en Angleterre seulement. Il ne figure en effet dans aucune des gravures de la série des « Réceptions »de 1745, ni dans celle du « Recueil précieux », (édition 1787), déjà cité, ni dans le tableau de Maler, 1786. Réception dans une Loge de Vienne en Autriche, au Kuntshistoriches Museum de cette ville.

La Réception se poursuivait par les voyages ; selon Prichard, 1730, il n'y en avait qu'un, effectué dès l'entrée, dans le sens des aiguilles d'une montre et se terminant par trois pas devant le Maître de la toge pour la prestation du serment. En France, la « Réception d'un Frey-Maçon » en donne trois, « autour de l'espace marqué sur le sol où sont dessinés au crayon un grand J et un grand B », préfiguration du tableau de Loge dont nous avons vu qu'il s'installa définitivement entre 1740 et 1745. Sa décoration variait en fonction du grade, ainsi que la disposition des symboles (l'équerre et le compas en particulier ne trouvèrent leur place définitive qu'au cours du XIXe siècle), mais également selon les auteurs. C'est ainsi que pour celui d'apprenti, nous avons « un tableau de la toge d'apprenti, puis le véritable tableau..., puis le vrai tableau. » etc. chacun renchérissant sur le précédent. L'apport hermétiste y est très net, et l'ouvrage de Lenglet-Dufresnoy, Histoire de la philosophie hermétique, en trois gros volumes, paru en 1742 joua un rôle considérable sur la création et l'évolution d'une pensée ésotérique en gestation. C'est probablement à lui qu'est due la confirmation du caractère cosmique de ce qui devait devenir le Temple maçonnique, avec la présence du soleil, de la lune, de la voûte étoilée, de l'étoile flamboyante, et l'introduction des circumbulations selon la marche apparente du premier. On s'étonne cependant que pas un seul des catéchismes pourtant prolixes dans leurs explications, n'en fournisse une sur le sens des voyages imposés au candidat sans doute n'en avaient-ils pas !

Ce n'est que dans les années 1780 qu'on informa ce dernier que le premier voyage « ... est fait dans les voûtes souterraines, le second, dans les galeries supérieures, le troisième autour du temple », mais sans justification du pourquoi. Et il faudra attendre 1832 pour qu'ils soient assimilés aux trois âges de la vie, par les soins du F...  Vassal, dignitaire du Grand Orient, interprétation qui leur est restée.

C'est aussi à cette époque, 1780, que les trois éléments, eau, air et feu furent associés aux voyages. Le processus de dramatisation venu des hauts grades les transforma de suite d'épreuves symboliques et purificatrices, en épreuves réelles, à l'imitation des initiations antiques que l'ouvrage de l'abbé Robin déjà cité avait vulgarisées. Cela se fit sans ordre, sans directives. Rien n'est stabilisé : les variations d'un rituel à l'autre sont nombreuses et le vague des explications accompagnant les voyages révèle l'indigence d'une pensée qui se voudrait initiatique mais qui n'est pas encore affermie. Le sens moral domine, et le but recherché et avoué - est d'intimider le candidat, peut-être pour s'assurer de la fermeté de son caractère. Si le bref contact avec les flammes de l'épreuve du feu pouvait impressionner, celle de l'eau était anodine et celle de l'air n'était qu'une simple menace. Le manuscrit du rituel de la Mère Loge écossaise de Marseille en rend compte ainsi :

 « Monsieur vous avez encore (c'est le 3e  voyage) une épreuve à subir, beaucoup plus forte et plus pénible que les autres : il faut que vous voyagiez dans les airs. Ne craignez-vous point d'être lancé dans l'atmosphère aérien et n'appréhendez-vous pas les suites funestes d'une chute à laquelle vous allez vous exposer ? »

« Le Récipiendaire ayant répondu que non, tous les frères demandent qu'on l'exempte d'un voyage aussi périlleux ». Il y eut l'empreinte du sceau au fer chaud, un simulacre bien sûr ; l'épreuve du sang avec lequel il fallait signer son serment, est si éprouvante pour le candidat, aux yeux des frères, que l'un de ceux-ci bien intentionné et plein de pitié criait « grâce » à l'instant des préparatifs, ce qui lui était accordé, cette même épreuve qui devint le mélange des sangs, encore pratiquée de nos jours sous une forme symbolique. Il y eut la coupe d'amertume dont l'interprétation ne soulève aucune difficulté. Elle venait d'Allemagne, via le rite Rectifié qui  la pratiquait vers 1755. L'épreuve de Terre, vécue dans le cabinet de réflexion n'apparut comme telle que dans le cours du XIXe siècle. Tout cela, complètement ignoré antérieurement, surgit brusquement dans la décade précédant immédiatement la Révolution et se perpétua pendant une trentaine d'années après la reprise de 1794. Le Grand Orient avait fait siennes ces innovations auxquelles il donna un sens exclusivement moral en les codifiant dans son rituel de 1786 repris dans le Régulateur Maçon de 1801, mais sans renoncer à leur caractère d'intimidation.

« Le premier voyage doit être le plus difficile. Il doit se faire à petits pas, très lentement, d'une marche très irrégulière on profitera de la disposition du local pour rendre ce voyage pénible, par des obstacles et des difficultés aménagés avec art, sans cependant employer aucun moyen qui puisse blesser ni incommoder le récipiendaire. On le fera marcher à pas lents, tantôt un peu plus vite. On le fera baisser de temps en temps, comme pour passer dans un souterrain on l'engagera à enjamber comme pour franchir un fossé enfin on le fera marcher en zigzag, en sorte qu'il ne puisse juger de la nature du terrain qu'il parcourt.

Pendant ce voyage, on fera jouer la grêle et le tonnerre afin d'imprimer dans son âme quelque sentiment de crainte ».

Explication de ce voyage, les vicissitudes de la vie humaine. Si jusque-là, la Maçonnerie symbolique avait échappé à la dramatisation outrée des hauts grades écossais, il semble que cette invitation à accumuler les difficultés de la réception au grade d'apprenti eut pour résultat d'ajouter le grotesque à la tragi-comédie.

Une encyclopédie du tout début du XIXe siècle reproduit à l'article Franc-Maçonnerie l'admission d'un candidat. Lors du premier voyage, celui-ci « ... est conduit au bord d'une trappe qu'on lui dit être un précipice on lui propose de s'élancer dans ce trou, s'il refuse, on le pousse, et il tombe de vingt pieds sur dix planchers de papier fort, à deux pieds de distance les uns des autres et qui éclatent successivement en faisant un bruit effroyable au fond se trouvent des matelas pour le recevoir ».

La scène du parjure mériterait d'être jointe à l'anthologie des cérémonies écossaises d'avant la Révolution

« Une table, au milieu de laquelle on a pratiqué un trou rond, est placée dans un coin de la Loge. Elle est couverte d'un tapis pendant jusqu'à terre. Un Frère, ordinairement le plus blême, se place sous cette table, s'agenouille et fait passer sa tête par le trou qui est bordé d'un plat d'étain dont on a enlevé le fond on entoure cette tête d'un linge teint de sang, ce qui produit l'illusion d'une décollation ». Suit la description de la scène au cours de laquelle on retire le bandeau du récipiendaire, avec les commentaires d'usage et la conclusion du rédacteur « cette épreuve terrible fait souvent impression ». L'énormité des faits relatés dans ce récit peut le rendre suspect, bien qu'il soit tiré d'une encyclopédie réputée. Ce sont ces descriptions et quelques autres du même ordre qui ont permis à P. Méjanel, de façon réaliste d'ailleurs, d'illustrer les ouvrages du trop fameux Léo Taxil contre la Franc-Maçonnerie. Et comment ne pas citer l'anecdote stupéfiante rapportée dans la monographie d'une Loge parisienne encore active de nos jours, publiée par ses soins vers 1830, consultable à la Bibliothèque Nationale, qui raconte que au cours d'une initiation dans les années 1806-1810, le candidat fut invité à décapiter un véritable cadavre apporté dans le Temple à cet effet. Il y eut scandale...

Sans vouloir mettre en doute la réalité des faits avancés il serait imprudent de généraliser ces quelques très rares épisodes dont l'exécution, par ailleurs devait soulever des problèmes matériels difficiles à résoudre. Jeu douteux, légèrement pervers, bien propre à une époque où le héros était monnaie courante, ou plus simplement volonté de frapper les esprits en vue de valoriser une pseudo-initiation teintée d'un mysticisme équivoque, à laquelle les acteurs s'identifiaient inconsciemment ?

Plus réservée et fidèle aux instructions du Grand Orient, la Loge Isis Montyon de l'Orient de Paris, spécialiste des initiations à grand spectacle, inventait la planche à boules et l'introduisait avec la bascule en 1810 dans les réceptions d'apprenti !

La Prestation du serment, devenue l'obligation au siècle dernier s'accompagnait de menaces terribles en cas de parjure. Elles étaient l'oeuvre des spéculatifs, car les opératifs n'en avaient jamais proféré. Les manuscrits de 1696 à 1710 indiquent qu'il y a des pénalités dans l'obligation des apprentis enregistrés mais n'en donnent pas la nature, et si l'on s'en tient à la « corde au cou » du Dumfries ms n0 4 (1710) déjà cité, il appert bien qu'elle n'était qu'un symbole.

La langue et le coeur arrachés, la tête coupée du Prichard 1730, et les funérailles imposées entre marée basse et marée haute étaient les peines infligées aux XVIe et XVIIe siècles pour crime de trahison et figuraient encore dans le code pénal britannique de l'époque ; la France qui les reçut, les conserva jusque vers 1780. Il n'y a aucun exemple qu'elles aient été appliquées.

En Angleterre, depuis le début du siècle le serment était prêté sur la Bible. Entre 1727 et 1730 le candidat tenait un maillet dans sa main droite et une truelle dans sa main gauche. En France, il le fut sur la Bible, plus souvent sur les Evangiles ou l'évangile de saint Jean, devant Dieu, selon le « Recueil Précieux. 1782 », généralement devant le Grand Architecte de l'Univers qui restera Dieu fort longtemps avant d'être considéré comme un symbole. En 1786, le Grand Orient ajouta à la suite du Grand Architecte, la formule « ... sur les statuts de l'Ordre et sur ce glaive, symbole de l'honneur ».

Le cérémonial de prestation et la consécration qui suivait subirent de nombreuses variantes. On le rendit solennel les assistants étaient tous levés, l'épée en main. Deux officiers conduisaient le néophyte, les yeux toujours bandés, devant la table du Vénérable (on ne disait pas encore l'autel ou le plateau). Il était debout, le genou droit posé sur un coussin sur lequel était placée une équerre. De la main gauche il tenait un compas ouvert, les pointes sur le sein gauche, la main droite à plat sur le « Livre », parfois levée vers le ciel. Il répétait alors la formule que lui disait le Vénérable.

Pendant tout le XVIIIe siècle le serment était prêté aux trois grades. Il y avait parfois, mais rarement, agenouillement des 2 genoux sur le coussin ci-dessus, souvent inversion, genou gauche, apprenti, genou droit, compagnon, les deux genoux, maître, et même apprenti ; cette diversité dura en Angleterre jusqu'en 1814. Quelquefois les deux mains du récipiendaire étaient posées sur le « Livre » le vénérable tenait alors le compas sur la poitrine de celui-ci. La scène du parjure fut une invention du XIXe siècle. Il ne semble pas qu'elle ait été pratiquée tout au long du XVIIIe, la prestation du serment était renouvelée après la chute du bandeau (Régulateur Maçon, 1801). Celle-ci intervenait après que le candidat ait été reconduit à l'occident. Sur sa demande, et au coup de maillet, on lui donnait la lumière. L'instant pouvait être impressionnant. Quelques frères « portaient des torches garnies de mèches à l'esprit du vin, dans le corps desquelles on avait introduit de la poudre de lycopode. En les secouant, la poudre sortait, ou s'enflammait à l'esprit de vin qui brûlait, ce qui produisait une très grande flamme et une très vive lumière ». Le néophyte découvrait alors l'assemblée de maçons rangés autour de lui et pointant leurs glaives dans sa direction. Après un silence, le Vénérable rassurait le nouvel apprenti en lui disant que cette attitude les rendait garants de l'aide qu'ils lui apporteraient désormais en cas de besoin.

Les assistants ayant regagné leurs colonnes, debout et l'épée en main le Maître de la Loge procédait à la consécration. Elle se faisait selon l'époque, le lieu et la Loge, par le maillet, puis par l'épée, par le maillet et l'épée, quelquefois maillet et compas. Le néophyte debout, ou debout et un genou sur le coussin et l'équerre qui avaient servi pour l'Obligation le Vénérable le constituait apprenti maçon, « à la gloire du Grand Architecte de l'univers » selon une formule à peu près semblable à celle employée de nos jours, puis confirmait son admission dans l'Ordre en le frappant sur la tête de trois ou trois fois trois petits coups de maillet ou d'épée. Accolade, remise du tablier et des gants. A l'époque et pendant tout le XVIIIe siècle la bavette du tablier d'apprenti était rentrée et invisible, celle du compagnon ornée parfois des outils était levée et boutonnée afin de la maintenir, celle du maître, baissée. Jusqu'au moment où le cordon de maître fit son entrée en loge dans les années 1775, seule la position de la bavette permettait de reconnaître le grade d'un frère. Au moyen âge le port des gants était associé aux cérémonies religieuses et militaires.

Chez les opératifs, l'employeur en offrait une paire à «l'apprenti enregistré » lors de sa réception, et sans qu'il y ait explication à ce propos. « The Maçon's examination », 1723, indique que le nouvel admis reçoit deux paires de gants blancs, l'une « pour lui, l'autre pour une femme », sans plus de commentaires. Prichard, 1730, n'en parle pas. Mais Hérault, Réception d'un frey-maçon, 1737, ajoute « ... la seconde paire est pour la femme qu'il estime le plus ». Vers 1760, en les remettant le Vénérable disait : « Un maçon ne doit jamais tremper ses mains dans l'iniquité » et en 1786 « les gants par leur blancheur vous avertissent de la candeur qui doit toujours régner dans l'âme d'un honnête homme, et la pureté de nos actions ». Quant à la femme « ... nous rendons hommage à leurs vertus. » et Goethe montrait que la grande valeur de ce cadeau résidait dans le fait « ... qu'un maçon ne pouvait le faire qu'une seule fois dans toute sa vie ». Habitude devenue tradition, l'offrande des gants s'est perpétuée jusqu'à nos jours.

Puis venaient l'invitation à la reconnaissance du nouvel apprenti, la communication des signes, des pas, de la marche, des mots. La première se faisait par batterie et acclamation, vivat, vivat, et semper vivat, remplacée vers le milieu du siècle par Houzé dans les Loges qui se voulaient écossaises. En Angleterre les travaux étaient interrompus, on portait un toast sur place, au nouveau frère, et les travaux reprenaient. En France une coutume s'était installée qui voulait que le, ou les nouveaux venus offrissent le banquet qui suivait obligatoirement la réception ; les abus furent tels qu'il fallut y renoncer.

L'origine des signes maçonniques reste mystérieuse et leur introduction dans la maçonnerie spéculative inconnue. Le moyen de reconnaissance des maçons opératifs résidait dans le « mot du maçon » et rien n'indique qu'il y ait eu une gestuelle l'accompagnant. Il n'est guère possible de retenir le « signe d'ordre » rencontré çà et là dans la statuaire médiéval comme étant un indice d'une tradition « maçonnique » chez les tailleurs de pierre. Ou alors il faudrait tenir compte de la description très précise qu'en donne Philon d'Alexandrie dans « La Vie contemplative » et Flavius Josèphe dans ses « Antiquités Judaïques », au cours du premier siècle de notre ère. On ne peut même pas le considérer, à l'instar du signe de détresse du Maître, quasiment universel, comme une sorte d'archétype de l'espèce humaine.

Les pas et la marche sont signalés dans les anciens textes de 1724, 1725, 1729 et 1730, mais sans leur description. En 1737 le procès-verbal du procès Coustos à Lisbonne indique qu'on entre en loge par trois pas, non décrits. Il faut attendre 1745 pour savoir qu'en France et en Allemagne, en station debout, les pieds étaient joints talon contre talon et que chaque pas se faisait en équerre, et le « Sceau Rompu » qui donne ces détails, ajoute que la marche du Maître se composait de trois pas en zigzag.« L'Anti-Maçon », 1748, montre dans un schéma trois pas pour chacune des marches, les pieds en équerre mais nettement séparés, en ligne droite pour l'apprenti, en zigzag pour les deux autres avec cette différence que pour la marche du Maître au cours des 2e  et 3e  pas il n'y avait qu'un pied posé à terre, un point sur lequel nous reviendrons lors de la réception à la maîtrise. En fait rien n'est fixé et la confusion durera jusqu'au delà de 1800. En 1760, le « The Three Distinct Knocks » exposant la pratique des « Antients » indiquait un pas pour les apprentis, deux pour les compagnons, trois pour les maîtres, sans spécifier comment ils se faisaient. Il confirmait ainsi la protestation de Laurence Dermott qui, dans « Ahimon Rezon » s'indignait que les modernes eussent changé la marche, laquelle, si l'on en croit « Jakin and Boaz » 1762, toujours au nom des « Antients » la définissait, dans l'ordre, 1, 2 et 2. D'autres, dans le cours des années qui suivirent donnèrent 1+2+3, ou 3, 5 et 8 ou 12+3, etc. etc. Il n'y eut jamais la moindre explication sur un sens éventuel de la marche des Francs-Maçons...

Nous avons vu l'origine des « mots », descendants illégitimes du mystérieux « Mason's Word » des opératifs, tirés de la Bible vraisemblablement dès la première décade du XVIIIe siècle. Ceux attribués aux trois degrés symboliques ne subirent pas les vicissitudes des autres composantes de l'Ordre maçonnique. L'inversion des colonnes et donc des vocables qui les désignaient, rendue nécessaire pour des motifs de sécurité ne fut qu'un épisode mineur, et ne mérite certainement pas le bruit que firent les « Ecossais » à son propos. Tout au plus peut-on signaler que quelques Loges anglaises choisirent le mot « mahabone » pour le troisième degré au lieu du terme courant venu jusqu'à nous. Et rappelons que le Grand Orient créa le mot de semestre le 23 octobre 1773.

A quel moment les apprentis maçons eurent-ils trois ans et pourquoi ? Tous les catéchismes jusqu'en 1750 leur donnent : « moins de sept ans » ainsi d'ailleurs que les compagnons, moins de sept ans, parce que chez les opératifs c'était le temps qu'il fallait pour passer d'apprenti à compagnon-ouvrier, ou compagnon-maître, celui-ci ayant par voie de conséquence « sept ans et plus ». Un document du 24 juin 1765 fait était d'une formule maintes fois utilisée jusqu'à nos jours, « P... L... N... Q... N... S... C... », par les nombres qui nous sont connus. D'essence pythagoricienne, venue par le canal de l'Hermétisme fort en vogue à cette époque, elle masquait, sous un aspect mystérieux, qui lui donnait de l'importance, une ignorance qui ne semble pas avoir disparu. L'usage s'établit d'accueillir le jeune frère par quelques brèves paroles de bienvenue, la réception se terminait alors. Elle était suivie du banquet déjà cité, dénommé « Loge de Table », laquelle mériterait une étude spéciale approfondie.

Jusqu'à 1730 il n'y eut pratiquement que deux degrés, la réception au second consistait en une obligation, la communication d'un signe non décrit, d'un mot toujours secret, des cinq points du compagnon. Les documents antérieurs à 1727, le Register House Manuscrit d'Edimbourg, 1696, le Trinity Collège Manuscrit de Dublin, 1711, The Mason's examination, 1723, le Graham Manuscrit, 1726, explicitent fort bien le cérémonial de passage de l'apprenti au grade de compagnon ainsi que ceux parus jusque vers 1750 à la suite du Prichard, 1730, en ce qui concerne l'apport symbolique intervenu à partir de cette dernière date. En dehors de l'épisode propre au meurtre d'Hiram, c'est un fait que le troisième degré s'établit par divisions successives des deux premiers grades en s'appropriant plus particulièrement les principaux éléments de celui de compagnon. Quelques-uns parmi eux retourneront plus tard à leur source primitive.

L'aspirant compagnon devait être instruit des « Mystères » de la Maçonnerie. Il était donc interrogé, d'une part sur les circonstances de son admission, le cérémonial utilisé, le pourquoi de celui-ci, d'autre part sur ce qu'il avait appris.

Questions et réponses étaient brèves. En fait, il récitait « par coeur », le catéchisme, soit un strict exercice de mémoire, ne nécessitant aucune réflexion. Les 90 demandes de Prichard concernent l'orientation, l'aspect et le mobilier de la Loge, le rôle de ses officiers, le « secret », la gestuelle. Ce texte révélateur est précieux on y apprend, et ce sera la seule chose à retenir, « Que le fondement de cette chambre sont trois colonnes ou piliers, force, sagesse et beauté », que le plafond « est un ciel de nuées embellies de toute sorte de couleurs », que le pavé « est orné d'ouvrages à la mosaïque  », « qu'au centre il y a une comète (l'étoile flamboyante) » et que « le tour de la Chambre est tapissé d'un brocard d'or qui constitue la clôture tout autour », tous ces éléments plus quelques outils étant dessinés sur le tableau de Loge. Egalement, « que Je point, ou point central empêche toute erreur du maître en faisant la circonférence, la ligne une longueur sans largeur, la surface une longueur avec une largeur et qu'un corps compact (volume) entoure le tout ».

Il y a aussi des devinettes. C'est ainsi que le maître est « vêtu d'une jaquette jaune et d'une culotte bleue », (il s'agit du compas qui à l'époque est son attribut), et que les secrets sont cachés « dans la poitrine gauche (du maçon), que la « clef » qui en permet l'accès est enfermée dans une « boette d'or », laquelle « ne s'ouvre et ne se ferme qu'avec une clef d'yvoire », pendue et attachée « à une couroye de six pouces ». Solution du rébus : la bouche, le palais et les dents, et si la langue est la clé d'yvoire (?) c'est qu'elle est « gardienne du verbiage » que sont les paroles.

Un apprenti ne saurait passer compagnon sans avoir « servi son maître », ce qu'il fit « avec de la chaux, des charbons de bois et une pelle de terre », signifiant respectivement «liberté, sérieux et zèle » (traduction édition 1743) ou « avec la craie, le charbon de bois et l'auge », soit « Liberté, ferveur et zèle » (1788). Cette libre interprétation des symboles, expression d'un humour très britannique en l'occurrence, n'avait pas dû tellement satisfaire l'abbé Pérau, dont l'apprenti, dans le « Trahi » 1742, avait travaillé avec « la chaux, la bêche et la brique », c'est-à-dire « liberté, confiance et zèle », car il crut d'ajouter, en note :

« Il faut être maçon pour sentir la justesse de ces emblèmes ». Pourtant, si l'on en croit la préface d'un ouvrage de l'un de ses concurrents en littérature maçonnique, il avait été « initié » d'autorité, et en cette occasion le terme « initié » est adéquat, pour s'être introduit indûment dans une loge, et, découvert, avait été préalablement « placé sous une gouttière ou (une fontaine durant une forte pluie) afin que l'eau le pénètre de la tête jusques aux pieds et que ses souliers en soyent remplis », punition réservée aux indiscrets et formulée dans les catéchismes.

Bien que le « ni nu ni vêtu », moins le bandeau et la corde au cou soit toujours en vigueur au rite émulation, ni les textes ni i'iconographie laissent entendre qu'il en fut ainsi durant la plus grande partie du XVIIIe siècle. Ce dut être un cadeau des « Antients » aux « Modems » dès la seconde moitié, confirmé lors de la fusion en 1813. En France, et tardivement, quelques très rares rituels écossais l'adoptèrent. L'aspirant ayant prouvé qu'il était instruit des mystères maçonniques, apprenait qu'il devenait compagnon « à cause de la lettre G » ou «pour l'amour de la lettre G », et réitérait dans les mêmes formes que précédemment, le serment prononcé lors de son admission au grade d'apprenti.

Il ne semble pas qu'il y ait eu de voyage au cours de la réception au second degré, à moins d'identifier comme tel les cinq pas pratiqués par le Rite Emulation qui les reçut du XVIIIe siècle. Ce qu'en disent les catéchismes n'a pas le caractère de la marche bien

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