La Philosophie à Paris

533. Le Dehors comme constellation affective.

15 Février 2013, 17:07pm

Publié par Anthony Le Cazals

Qu’en est-il des affects, le thymos chez Platon, cette « tierce part de l’âme » que nos platoniciens ont tôt fait de balayer du revers de main, alors que l’affect premier pour eux est la stupeur ? Dans le détachement de la vie que génère l'étonnement, la stupeur face au monde. Efface-t-elle à ce point tous les autres affects ? Les affects sont des signes vectoriels, des variations de puissance. Le vecteur est d’augmentation ou de diminution, de croissance ou de décroissance, joie ou tristesse DzCC_174. On pourrait croire avoir affaire, en second lieu, à des « libérations » qui augmentent ou à des « servitudes » qui diminuent la puissance. Pourtant apprendre à obéir est ce qui permet l’augmentation de la force par un bras de levier paradoxal. Il y a surtout là la volonté de ne pas faire de remous, de ne pas gaspiller la force en une crispation, une réaction nuisible. Ce sont des affections, des états de corps. C’est que les affections dérivent des affects mais ne s’y réduisent pas. Il y a tout un devenir incertain avant de parvenir à un état, qui est le franchissement d’un seuil ou d’un abîme — gap quantique 323 par exemple. Les signes d’augmentation de puissance sont signes de diminution.


Les affects ne sont pas les affections de joie ou de tristesse, de peur ou d’angoisse. Les affects, ce sont les signes, les forces et même les transmutations. Les affects, qui ne sont pas les « devenirs » ou les « processus » sauf pour une pensée de l’Ouvert,  nous renvoient à des passions. Quand ces passions nous entraînent, nous pouvons tomber dans une surexcitabilité qui conduit tout droit à un pessimisme de la sensibilité. On nommera les signes, « affects actifs ». La joie est une affection, un état où les affects actifs sont plus nombreux que les affects passifs. Les « affects actifs » sont alors des signes vectoriels d’augmentation de notre puissance. Chacun peut chercher à ramener les affects à des idées inadéquates mais c’est sortir du champ  dynamique d’exercice pour se tenir à l’abri dans l’expérience contemplative dite « transcendantale ». Ce serait revenir à l’idéalisme empirique qui continue à voir des idées plutôt qu’à produire des pensées. Pour l’idéaliste DzCC_179, les actions découlent des idées qui se trouvent activées par les affects, tels que l’angoisse, la compassion et la plainte. Les actions peuvent rentrer dans le cadre d’opérations et, dans ce cas, elles n’ont pas leur fin en soi car elles sont toujours articulées au travers des concepts en un système. Le véritable moteur de tout exercice est l’amour échangé de manière mobile et sans contrat, il n’y a ni lettre de crédit ni mariage contre nature, les choses se font simplement. Laissons de côté l’idéalisme transcendantal pour lequel il n’y a pas de signes, tout juste des intuitions sensibles. Le juge ou le prêtre n’est point le prophète. Les prophètes sont les plus grands spécialistes des signes … les prophètes ont chacun des signes personnels auxquels leur imagination répond DzCC_174. Peut-être qu’enfin un jour, des exercices de pensée entreront en percussion. Ce sera là un appareil, un dispositif de pensée : une pensée de la convergence 916 et non pas de l’excédence 517e, aussi appelée par les idéalistes qui sont au dedans de la métaphysique, une pensée du Dehors 900.


Ainsi on peut comprendre pourquoi le pouvoir a besoin de tristesse pour régner et se maintenir. Pour ce faire, un pouvoir doit s’exercer au jeu cruel et sans honte du châtiment. Instinct de vengeance dans sa dimension festive. Après les siècles du sensualisme — Rousseau et Kant — et du pessimisme — Schopenhauer qui influence toute la littérature : de Dostoïevski, Tolstoï, Strindberg, Maupassant, Conrad, Proust, Pirandello, Kafka, Th. Mann, Céline, Beckett, Bernhard, jusqu’à Houellebecq — le xxe siècle est le siècle de l’affect au travers des régimes totalitaires ou de la culture de masse. Il s’agit de faire reposer la domination sur un certain nombre d’affects tristes comme la peur de la répression et la haine de l’étranger pour les régimes totalitaires. Le régime nazi demeure pour les « hommes supérieurs » occidentaux le modèle du management, que copieront les économistes soviétiques s’inspirant des Américains qu’ils espionnent en tout point cf. Farewell pour sortir de l’économie de guerre.


Il ne s’agit pas de poser la coupure entre l’intelligible et le sensible après avoir mis de côté par un geste tous les affects. C’est faire là du sensible, l’ensemble des phénomènes qui apparaissent et que nous percevons sous l’illusion des sens. L’intelligible en ce qu’il est constitué d’idées est davantage porteur d’illusions : les idées sont avant tout des mythes et des rêves — ce que l’on retrouve chez Descartes BaiVD 971. Ce qui est sensible est principalement le visible avec son correspondant invisible — l’intelligible. C’est l’image traditionnelle de la face cachée du cube pour suggérer qu’il existe un invisible spirituel ou des idées, ce qui est analogiquement incompatible. Ce qui est mis de côté réellement, ce qui est nié par la forme d’un discours à l’emporte-pièce, ce sont les affects (le thymos). Les affects ont été jusque là niés. La théorie des affects est chez Nietzsche la psychologie que vient recouvrir la physiologie de la volonté de puissance NzFP°13[1]. L’affectivité est le « fond primordial » de la volonté SchMV et DzNP qui se tourne vers la puissance pour y contribuer plutôt que de s’affirmer en tant que telle et finir par se nier. La volonté se tournant vers la capacité, affrontant le terrible, se confrontant en toute aise à l’effroyable et se faisant par là aussi terrible. Ainsi un clivage s’opère entre décadence et accomplissement, la réalité mélangeant les deux. Les affects sont des « effets de lumière » DzCC_175 dans un espace rempli d’objets qui se rencontrent et s’entrechoquent au hasard. Il n’y a de hasard que dans les rencontres, et encore faut-il être prédisposé à la rencontre. Le Dehors est posé pour disjoindre le voir du dire et plus encore faire converger le dire avec le faire, la passivité avec l’activité. Cela doit permettre d’atteindre naturellement ou plutôt métaboliquement aux fulgurances 914 à la trajectoire métabolisée 927. 

 

Les tâtonnements classiques ont préfiguré cela —  ...il faut procéder par tâtonnement et recoupement, suivre à la fois plusieurs méthodes différentes dont chacune ne mènerait qu'à des possibilités ou des probabilités : interférant entre eux, les résultats se neutraliseront ou se renforceront mutuellement ; il y aura vérification et correction réciproques. Bergson BgMR_148. Ce que firent Deleuze et Guattari par exemple.

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