La Philosophie à Paris

ENVIRONNEMENT / A qui profite le crime ?

27 Juillet 2006, 01:36am

Publié par Gilles Rotillon

"s'attaquer aux vrais problèmes" : le réchauffement climatique en est-il. Paris8philo.

 
Le développement durable est à l'ordre du jour. Il est difficile aujourd'hui de trouver une décision publique ou privée qui ne s'y réfère pas, de près ou de loin. Les gouvernements, les entreprises, les institutions internationales, les médias, tous protestent de leur implication dans cet enjeu majeur du siècle. Tous rivalisent d'initiatives, les traités prolifèrent, les commissions fleurissent, les discours s'enflamment, les peuples s'éduquent, bref, toutes les énergies se mobilisent. Qui peut douter de son succès devant un tel déploiement d'efforts ? Ce sera sans doute difficile, il faudra changer quelques-uns de nos comportements, faire quelques économies, mais nous n'avons pas le choix, et nous saurons nous adapter comme nous l'avons toujours fait dans le passé. Nous venons d'ailleurs de vivre la Semaine du développement durable, quatrième édition du nom, qui a vu « au moins 1 400 initiatives labellisées par le ministère de l'Ecologie et du Développement durable » ( Libération du 29 mai). Eurostat vient de publier un rapport à propos de la « Mesure des progrès accomplis sur la voie d'une Europe plus durable », où il présente une batterie d'indicateurs de développement durable (155 dont 110 effectivement calculés pour l'instant), véritables thermomètres pour suivre et évaluer la stratégie européenne sur la question. Si le nombre de thermomètres laisse augurer de l'importance du mal, il est aussi signe d'espoir par la vigilance qu'il révèle. Bref, qui ne voudrait croire Stephen L. Johnson, l'administrateur de l'Environmental Protection Agency (EPA) des Etats-Unis ­ l'équivalent de notre ministre de l'Ecologie ­ , qui, lors d'une visite récente à Paris, proclamait son espoir de « progresser vers un futur plus radieux et plus sain » ? Hélas, ce n'est pas si simple. Si le développement durable envahit les discours, c'est bien parce qu'il ne va pas soi et qu'il semble nécessaire d'en rappeler constamment l'ardente nécessité. Durant les trente dernières années, de multiples signes ont fait prendre conscience des bouleversements que nos modes de production et de consommation faisaient subir à notre environnement : effet de serre, déforestation, accès à l'eau, épuisement des ressources naturelles, « trou » dans la couche d'ozone... Voilà, sans chercher à être exhaustif, quelques événements qui ne cessent de nous avertir que notre développement actuel risque bien, justement, de ne pas pouvoir se poursuivre de la même manière. Autrement dit, de ne pas être durable. Encore n'est-ce ici que le « pilier environnemental » du sujet, puisque, comme nous l'indique la vulgate du développement durable, celui-ci possède trois piliers, les deux autres étant le pilier social et le pilier économique. Malheureusement, la situation sur les deux autres dimensions n'est guère plus brillante. Si l'on se penche, par exemple, sur le volet social, dont un des préceptes revendique une solidarité entre pays riches et pays pauvres et entre générations actuelles et futures, on ne peut pas dire qu'il est en très bon état. De même, le niveau des aides publiques au développement, données par les pays riches, est en moyenne depuis plus de vingt ans autour de 0,4 % du PIB alors même que l'objectif fixé par l'ONU est de 0,7 % (objectif dépassé seulement par le Danemark, la Norvège et les Pays-Bas). Enfin, le pilier économique, dont le PIB est le principal indicateur de bonne santé (bien qu'on sache qu'il n'est pas un indicateur de bien-être ou de développement), ne peut guère se satisfaire d'une croissance américaine construite à crédit sur un endettement colossal ou d'une croissance asiatique grosse de dégradations environnementales futures. Quant à l'Europe, comme le dit si bien la conclusion du rapport d'Eurostat cité plus haut, « il est clair que le développement de l'UE ne peut pas encore être considéré comme durable ni même en voie de le devenir. Très peu des objectifs fixés dans la stratégie en faveur du développement durable de l'UE en 2001 sont en passe d'être atteints ». Pour avancer, on ne peut guère imaginer imposer aux pays en développement de freiner leur croissance actuelle (pour ceux qui en ont une) quand ils commencent à en voir les fruits. Même si ceux-ci risquent de devenir amers, pour l'instant ils leur semblent justifier leurs choix. Il revient donc aux pays développés de montrer l'exemple. Et là encore, malheureusement, la situation est inquiétante. On sait que notre économie est très fortement dépendante du pétrole. Que deviendraient les échanges de marchandises, le tourisme en pleine expansion, l'agriculture grosse consommatrice d'engrais (tirés du pétrole), l'industrie utilisant le plastique pour tant d'objets de consommation... si le pétrole devenait beaucoup plus cher ? Sans parler de son épuisement, qui arrivera bien un jour, et pas aux calendes grecques. On s'entête à maintenir un coût du pétrole trop bas pour que se déclenchent les comportements de substitution qu'impliquerait son renchérissement. Comme le notent Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean dans leur récent livre Le plein s'il vous plaît !, le litre d'essence coûtait une demi-heure de Smic en 1974, il en coûte dix minutes aujourd'hui. Dès lors, comment s'étonner que l'utilisation de l'automobile se développe au détriment des transports en communs ? Et que les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent leur progression ? A quoi sert de calculer des indicateurs quand on voit que, en France, depuis plus de vingt ans, la proportion de nitrates dans l'eau augmente régulièrement du fait des pratiques agricoles (et pas à cause des agriculteurs, qui ne font bien souvent que répondre à la demande qui leur impose des rendements élevés, ­ il n'y a pas de jugement moral dans cette histoire) alors que la toute récente loi sur l'eau ne taxe pratiquement pas les agriculteurs, ne leur donnant aucune incitation à modifier leurs pratiques ? On pourrait malheureusement allonger la liste d'exemples montrant que les politiques mises en place s'apparentent plus à des placebos ou à des effets d'annonce qu'à un début de solution. Si les indicateurs sont sans doute nécessaires à l'élaboration de politiques efficaces et évaluables, ils n'en sont pas une à eux tout seuls. Et on a parfois un peu l'impression que, comme quand Clemenceau suggérait de créer une commission pour régler un problème, on crée des indicateurs pour résoudre les problèmes du développement durable. Il ne faut pas non plus fonder trop d'espoir sur une prise de conscience individuelle qui viendrait d'une éducation mieux faite et plus sensible à ces questions. Comment sinon expliquer que c'est justement dans les pays développés, qui ont un niveau d'éducation jamais atteint par le passé, que les comportements nuisibles à notre environnement se sont eux aussi multipliés et aggravés ? Descartes nous voulait « maîtres et possesseurs de la nature », nous ne le sommes peut-être plus pour très longtemps ! Il ne s'agit pas de dire que tous ces discours, toutes ces initiatives, ne servent à rien. Elles sont sans doute pour la plupart nécessaires, mais en aucun cas suffisantes et en rien à la hauteur des problèmes que nous devons résoudre dans les trente ou quarante prochaines années. En fait, elles donnent surtout bonne conscience, donnant ainsi le « droit », puisqu'on a trié ses déchets, d'aller prendre un billet d'avion pour faire le tour du monde ! Il ne s'agit pas non plus d'appeler aux comportements responsables sur une base morale ou de nier la montée des préoccupations environnementales dans l'opinion. Ces dernières n'existaient pas il y a quelques décennies, et elles seules expliquent aujourd'hui l'intérêt des politiques sur les problèmes écologiques et de développement. Mais la pression ainsi exercée sera-t-elle suffisamment forte pour que les adaptations indispensables se fassent à temps, sans crises majeures ? George Bush père avait déclaré en 1992, justifiant par anticipation la position de retrait des Etats-Unis sur le protocole de Kyoto, que le mode de vie des Américains ne se négociait pas. Il avait ainsi suscité de nombreuses réactions scandalisées, en particulier en Europe. Sans doute parce que la vérité est souvent scandaleuse quand elle ne fait pas plaisir (comme la déclaration du président de TF1 expliquant que la nature profonde de son métier était de vendre du temps de cerveau humain disponible pour Coca-Cola). Malheureusement, Bush a sans doute raison, et il met l'accent sur le fond de la difficulté. Car la solution réside certainement dans la « négociation » de notre mode de vie, non seulement celui des Américains, mais celui de beaucoup de pays développés. Si nous pensons vraiment que nous ne pourrons pas continuer longtemps à produire et consommer comme nous le faisons, il faut le faire autrement. Et pour l'instant il n'y a pas de forces sociales suffisamment puissantes, porteuses de cette exigence, pour entraîner nos politiques à s'attaquer vraiment aux problèmes.
 
Gilles Rotillon
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H
hello, il y a pleins d'articles intéressants sur ton blog, et j'ai appris pas mal de choses... si ça t'intéresse tu peux passer sur le mien. je parle d'écologie, d'environnment... le blog vient à peine d'être construit, donc il n'y a pas encore beaucoup d'articles, mais je vais en ajouter régulièrement... donc n'hésites pas à y mettre des commentaires
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